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Née il y a un siècle et disparue en 2008, Yma Súmac, descendante du dernier empereur inca, a poussé très haut les prouesses vocales. Discographie en six titres indispensables de celle qui passa du folklore andin au statut d’icône kitsch, révérée par les rockers.

Elle est venue au chant enfant, en essayant d’imiter les trilles perçants des oiseaux lorsqu’elle sillonnait la montagne autour de l’hacienda de ses parents. De la cordillère des Andes, où elle a été repérée à 20 ans lors d’une grande fête traditionnelle, aux collines de Hollywood, où elle a percé dans les années 1950, la diva péruvienne Yma Súmac (1922-2008) a grimpé des sommets dans tous les sens du terme. Car, vocalement, elle était quasi sans limites.

Son chant de rossignol tombé dans la marmite de potion magique, son personnage de belle plante tropicale (Ymma Sumack, nom de scène qu’elle s’était choisi à l’origine, c’est la « jolie fille » en quechua), ainsi que sa prestigieuse filiation, ont valu à cette descendante d’Atahualpa, dernier empereur inca, une carrière haute en couleur. Entre folklore andin et délires lyriques, mambo incantatoire et rock psychédélique, elle s’est imposée en Occident comme une déesse de l’exotica, icône underground kitsch et majestueuse que le grand public a fini par oublier mais qui continue de fasciner les rockeurs et quelques collectionneurs éclairés. À l’occasion du centenaire de sa naissance, on retraverse sa discographie hors norme en six titres vertigineux.

“Taita Inty” (1950)

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De ses premiers enregistrements folkloriques en Argentine, en 1943, on ne trouve en ligne que des versions imparfaitement restaurées. Ses tournées avec Inca Taqui, trio formé avec son mari, le compositeur et guitariste Moises Vivanco, à leur arrivée à New York en 1946, n’ont guère laissé plus de traces. Après des années de vaches maigres pour le couple, Voice of the Xtabay (1950) est l’album de la révélation. Capitol, qui a signé la chanteuse de 28 ans, a imposé à Vivanco de réarranger ses chansons pour un grand orchestre. L’idée ? Des cordes capiteuses et des tambours à l’écho rituel, pour amplifier le glam et le mystère de cette diva péruvienne d’illustre ascendance. Témoin le fameux Taita Inty, hymne traditionnel inca dont la mélodie remonterait à mille ans avant notre ère, où elle campe la vierge sacrifiée au dieu-soleil Inti.

“Chuncho” (1953)

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Si Yma Súmac était bien capable de couvrir vocalement (et en un temps record !) plus de quatre octaves, elle se contentait, sur la plupart de ses morceaux, d’une petite grimpette de trois octaves. Elle-même ne voyait pas l’intérêt de monter systématiquement dans ces aigus stridents qui ont contribué à forger la légende – très peu de chanteurs peuvent les atteindre avec une telle puissance. Son public, en revanche, était féru de ses grands écarts vertigineux. Voilà pourquoi Chuncho (« Créatures de la forêt »), rare titre de son répertoire de cette amplitude (4 octaves et 1/8ᵉ précisément), est rapidement devenu un incontournable de ses récitals.

“Tumpa” (1954)

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Après avoir brillé à Broadway, dans une comédie musicale (Flahooley, 1951) où elle jouait le rôle d’une princesse arabe, Yma Súmac est réclamée à Hollywood. Elle triomphe notamment dans Le Secret des Incas (1954), film avec Charlton Heston qui inspirera la saga des Indiana Jones. Jerry Hooper le tourne en partie dans les ruines du Machu Picchu, où Yma Súmac reprend trois titres déjà devenus des standards : Taita Inty, l’incantatoire Ataypura (berceuse du folklore andin que l’on entend sur la BO de The Big Lebowski, des frères Coen), et le facétieux, l’exubérant Tumpa (« tremblement de terre » en quechua). Entre scat tellurique et fantaisie néo-inca de haute voltige, l’exubérante Castafiore péruvienne s’impose à l’écran et sur la scène émergente d’une musique « exotica » qui ne dit pas encore son nom, mais dont elle va devenir la reine.

“Gopher Mambo” (1954)

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Quand elle ne revisite pas le corpus traditionnel des peuples amazoniens (l’album Legend of the Jivaro, inspiré par les airs de ces Amérindiens réducteurs de têtes) ou de la culture andine (Fuego del Ande), la chanteuse acrobatique débride sa voix sur les danses latines en vogue avec sa verve habituelle. L’indispensable Moises Vivanco lui compose ainsi Mambo !, album entier dédié au torride pas de deux cubain, qui devient pour elle prétexte à un florilège de bruitages insolites. Mi-reine, mi-bête, elle gronde, halète, vocalise, pépie gaiement, escortée par des cuivres enjoués et les percussions de l’orchestre de Billy May. Ce Gopher, en particulier, est resté d’une folle jeunesse, au point qu’Apple l’a utilisé pour la publicité de l’iPhone 12 en 2020 – le titre Bo Mambo a quant à lui été samplé en 2003 dans le Hands Up de Black Eyed Peas.

“Magenta Mountain” (1971)

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Après une décennie qui l’a portée au pinacle, la suivante voit le déclin de sa carrière américaine. En délicatesse avec le fisc, le couple entreprend en effet une longue tournée mondiale au début des années 1960. Yma Súmac triomphe de Paris à Tokyo, en passant par Moscou, où elle s’installe six mois. À son retour aux États-Unis, en 1964, son public l’a oubliée. C’est l’arrangeur et chef d’orchestre Les Baxter, vieux complice, qui la convainc de retourner en studio en 1971. Avec Miracles, la chanteuse fait un come-back rock’n’roll. Elle-même ne se retrouve pas dans ce groove funky et ces déflagrations psychédéliques. Le très perché Magenta Mountain, avec ses guitares planantes, est le seul titre qui trouvera grâce à ses yeux.

“I Wonder” (1988)

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Au Pérou, où elle est retournée vivre peu après son second divorce d’avec son Vivanco (1965), Yma Súmac ne fait plus recette, son public lui reprochant un répertoire trop américanisé. Aux États-Unis, où elle n’est revenue vivre qu’en 1984, son revival des seventies a été bref. Si bien qu’en 1988, quand elle retourne en studio pour le dernier enregistrement de sa carrière, elle est en retrait depuis déjà une vingtaine d’années. Sa version onirique de I Wonder, tiré du dessin animé La Belle au bois dormant, est compilée sur un album de reprises (Stay Awake) des grands thèmes de l’univers Walt Disney : assez pour piquer à nouveau la curiosité de la nouvelle génération, d’autant qu’Yma Súmac, soucieuse d’entretenir sa légende hétéroclite, entreprend par la suite de remixer son répertoire. Elle repart même en tournée et fait salle comble au Printemps de Bourges en 1992. Disparue en 2008, elle n’a cessé depuis d’être redécouverte.