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FRANCE - REPORTAGE

Fréjus, la vitrine «bétonnée» du Rassemblement national

14 SEPTEMBRE 2019 | PAR LUCIE DELAPORTE

Ce week-end, auprès de Marine Le Pen qui, cette année encore, rassemble ses troupes à Fréjus pour sa rentrée politique, David Rachline devrait annoncer sa candidature à sa réélection. Bilan de six années en quête de respectabilité.

Dès le samedi matin, une noria de bus achemine à Fréjus des centaines de militants RN de la région. Comme à chaque rentrée politique de Marine Le Pen dans la ville, le théâtre du forum sera ce week-end plein à craquer. Un cadre idéal pour que David Rachline annonce qu’il se représente à la mairie de Fréjus, ravie en 2014. Alors que la présidente du parti d’extrême droite a annoncé qu’elle souhaitait tendre la main pour ces élections municipales à des personnalités issues d’autres formations politiques, le jeune maire RN devrait présenter une liste d’ouverture.

Une information que ne veut pas confirmer son chef de cabinet, l’ancien surveillant de prison Julien Jouniaux. « Ce n’est pas le moment. Il est trop tôt. Nous sommes au travail pour le redressement de la ville », explique-t-il, refusant toute question supplémentaire sur le bilan de Rachline à Fréjus.

Avant l’été – ce ne sera donc pas comptabilisé dans les comptes de campagne –, la mairie a pourtant distribué à tous les Fréjussiens une magnifique brochure de 45 pages sur papier glacé intitulée « 5 ans pour Fréjus 2014-2019 » pour vanter l’action du maire.

Sécurité, embellissement, action culturelle… La réfection de chaque giratoire y est minutieusement recensée. Fréjus, 53 000 habitants, est la plus grande ville détenue aujourd’hui par le Rassemblement national et Rachline sait combien son bilan sera regardé à la loupe.

 

1a2243ed06caf23bf947c09913e123f7.pngMairie de Fréjus. © LD

 

Celui qui a conquis la ville alors qu’il avait 27 ans se targue d’en avoir renforcé l’attractivité touristique et économique, d’avoir fait baisser l’insécurité, le tout sans augmenter les impôts, comme il s’y était engagé. Et en amorçant le désendettement de la ville.

Une manière un peu idyllique de présenter son mandat qui fait bondir l’opposition locale.

« C’est simple, en six ans, il n’a presque rien fait. Enfin si, beaucoup de com’ et très peu d’action », juge, lapidaire, l’avocat Emmanuel Bonnemain, qui a annoncé sa candidature à la tête d’une liste sans étiquette. « Bien sûr, ça tourne : les ordures sont ramassées, des travaux de voirie sont réalisés. Mais pour le reste… Rien. Il n’a aucune vision », ajoute Bonnemain.

Rachline, qui cherche aujourd’hui à se présenter comme un bon gestionnaire, a pourtant, dès le début de son mandat, tenu à donner des gages à l’électorat frontiste.

À peine arrivé aux manettes, il a baissé les subventions des centres sociaux de la ville. « Ils intervenaient dans des quartiers populaires avec une forte population immigrée. Ce n’était pas vraiment dans ses priorités », précise Julien Poussin, militant de La France insoumise et candidat lui aussi. Le centre de Villeneuve, dont la responsable avait eu le malheur de se plaindre dans la presse de ces baisses de subventions, a dû fermer.

Le message était passé. Toute opposition publique serait immédiatement sanctionnée. Au forum des associations qui vient de se tenir à Fréjus, Rachline a interdit la venue d’associations jugées « politiques », c’est-à-dire en désaccord avec lui.

En bientôt six ans, le RN a réussi à noyauter bon nombre d’associations de la ville. C’est désormais Rachline qui nomme les présidents des conseils de quartiers, qui sont soumis, de fait, totalement à sa botte. Dans une ville où la population de rapatriés d’Algérie est très importante, Rachline soigne leurs associations et s’est empressé d’inaugurer une stèle en hommage « à tous ceux qui sont tombés pour que vive la France en Algérie ».

Alors qu’il avait fait campagne contre la construction d’une mosquée dans le quartier de la Gabelle – autorisée par son prédécesseur Élie Brun, il a beaucoup communiqué sur ses recours en justice pour empêcher sa construction. « Il a surtout fait semblant de s’opposer, précise Emmanuel Bonnemain. Quand il a été élu, elle était à l’état de dalle. Il l’a laissée se construire et n’a déposé ses recours sur les permis de construire qu’en novembre 2014, poussé par une campagne lancée par Fdesouche. Mais c’était trop tard. » La mosquée, aujourd’hui ouverte au public, est de l’avis de tous une réussite architecturale et Rachline n’évoque plus le sujet. « Dans le fond, il ne voulait pas se prendre le bec avec la communauté musulmane de la gabelle, estime Bonnemain. Cela a été une partie de poker menteur. Elle est ouverte mais il peut se prévaloir d’avoir fait déposer des recours contre sa construction. »

 

01cb60b3e372da8a74e166ca8708a626.pngPermanence du RN à Fréjus. © LD

 

Contrairement au maire RN de Beaucaire Julien Sanchez, adepte des coups de com’ et engagé dans un bras de fer avec la communauté musulmane en imposant du porc à la cantine tous les lundis, Rachline a plutôt choisi de temporiser.

Celui qui a été formé par Jean-Marie Le Pen s’est employé à respecter à la lettre la nouvelle feuille de route du parti : démontrer que le RN pouvait gérer une ville sans faire de vagues. Le RN, qui reste meurtri par les échecs dans les villes remportées dans les années 1990 (lire l’entretien de Sylvain Crépon), sait qu’il joue dans sa gestion municipale sa crédibilité à accéder au pouvoir au niveau national.

« Il a vendu les bijoux de famille mais n’a fait aucun investissement d’envergure »

Après avoir entretenu en début de mandat des relations houleuses avec l’opposition, insultant et coupant les micros à ceux qui lui déplaisaient, Rachline a un peu mis d’eau dans son vin. Nommé directeur de campagne de Marine le Pen en 2017, il a reçu l’ordre d’éviter tout dérapage pouvant nuire à sa candidate. Le remuant FNJ local a aussi été prié de la mettre un peu en veilleuse.

Pour faire tourner la boutique, Rachline a recruté un énarque au poste de directeur général des services, Philippe Lottiaux, candidat malheureux à Avignon en 2014, mais surtout ancien DGS de Patrick Balkany à Levallois. Une choix qui s’explique par le maigre vivier de cadres locaux compétents.

Le jeune élu a aussi récupéré pour s’entourer un certain nombre de transfuges de LR, à l’image de son premier adjoint Richard Sert, chargé du budget et des finances. Il a également maintenu à son poste de direction à l’urbanisme l’ex-épouse du maire sortant Élie Brun, qui a bien aidé à son élection en se maintenant au second tour dans une triangulaire. Celui qui n’avait de cesse de dénoncer le clientélisme de son prédécesseur a tenu à conserver des liens privilégiés avec les barons locaux du BTP, certains se trouvant, comme l’a dénoncé en 2017 la Cour régional des comptes, en situation de quasi-monopole.

Quand il remporte les municipales, la ville a 138 millions de dettes pour un budget de 128 millions par an. Rachline, qui s’est engagé à ne pas augmenter les impôts locaux, va vendre à tour de bras des terrains communaux pour le plus grand bonheur du BTP et des promoteurs immobiliers de la côte.

« Il a vendu les bijoux de famille mais n’a fait aucun investissement d’envergure », regrette l’élue d’opposition LR Annie Soler. Alors qu’il a vendu pour 48 millions d’euros de terrain foncier, Rachline n’a fait baisser la dette que de 17 millions d’euros. « Où est passé le reste ? », s’interroge Emmanuel Bonnemain, qui dénonce une gestion court-termiste. Pour construire un complexe scolaire, Rachline a signé un partenariat public-privé qu’il présente comme ayant coûté 10 millions d’euros à la ville. « C’est en réalité le double que devront sur 20 ans rembourser les Fréjussiens sous forme de loyer », fustige l’avocat.

La dernière lubie de Rachline : faire construire un hôtel cinq étoiles, un « bar dansant » et un aquarium géant sur la « Base nature » de la ville, un espace naturel de 135 hectares en bord de mer. « C’est le poumon de Fréjus. Un lieu aujourd’hui ouvert à tous qui pourrait être privatisé demain », s’insurge Pierre Barbe, président de l’association des Amis de la Base nature de Fréjus. Le projet provoque une telle levée de boucliers que le maire l’a mis en sourdine à l’approche des municipales.

En près de six ans, nombre de ses projets d’aménagement sont d’ailleurs tombés à l’eau.

Dans le quartier résidentiel de Saint-Aygulf, Racheline voulait construire sur la place principale un hôtel et un parking souterrain de 300 places. Devant les protestations des habitants, il a organisé un référendum dont les résultats lui sont revenus comme un boomerang, les habitants refusant à 76 % son projet.

Lancée en début de mandat, l’idée de construire à Fréjus une piscine géante adossée à une école de surf, la « Surf Academy », a viré au fiasco. « Ils devaient embaucher 90 personnes, un bar, restaurant… Ce devait être une vague submersive – cela s’est terminé en petit pédiluve, avec trois toboggans », ironise l’opposante Annie Soler.

286abb42f69013ef14e62cf6c6584431.pngBase nature de Fréjus. © LD
L’entreprise, basée à Hong Kong et dirigée deux anciens militants d’un groupuscule violent d’extrême droite (lire ici l’enquête de Marine Turchi), est partie en laissant des dettes et certaines personnes attendent toujours d’être payées.

 

Le projet, pour le moins fumeux, devait surtout faire plaisir à ses amis politiques. Car Rachline tient à travailler « en famille » et à récompenser ses amis. Selon nos informations, l’ancien du Bloc identitaire Philippe Vardon, aujourd’hui candidat à la mairie de Nice, facture 1 500 par mois ses conseils en communication pour le journal municipal. Franck Giletti, ancien conseiller de Jean-Marie Lechevellier à Toulon, a été récemment embauché à la mairie comme « chargé de mission » à un salaire très confortable. Dans l’opposition, certains se demandent si ce poste n’est pas un moyen de lui permettre de mener sereinement sa campagne à Puget, une commune proche de Fréjus que le RN espère ravir en mars prochain pour obtenir la majorité dans la communauté de commune.

Le fonctionnement clanique de la mairie semble diviser aujourd’hui la ville entre pro- et anti-Rachline. « Le climat a changé à Fréjus. Cela a divisé au sein même des familles, des groupes d’amis », rapporte l’élue d’opposition LR Annie Soler.

Rachline sait soigner ses électeurs. Pour la venue de Johnny Hallyday, au début de son mandat, des milliers de places gratuites ont été offertes aux Fréjussiens. Les jeunes apprécient aussi visiblement les événements comme le Summer Color Festival, un festival de musique électro mis en place par la ville. Cet été, les arènes de Fréjus – gérées par des proches du maire –, ont programmé Jean-Marie Bigard, qui a remporté un franc succès. « C’est vraiment du pain et des jeux », peste Jacky Giral, militant d’EELV qui reconnaît que cette politique a son efficacité sur certains électeurs.

Face à Rachline, l’opposition paraît – à presque six mois du scrutin – encore bien dispersée. La présidente du forum républicain, Marie-José de Azevedo, qui a organisé les assises de l’alternance, le reconnaît volontiers. « Nous avons invité tous les candidats qui souhaitent l’alternance. L’objectif est de se respecter pendant la campagne et de s’engager à se retirer en faveur du candidat le mieux placé face à Rachline. Mais c’est encore un peu compliqué pour certains », explique-t-elle. Les batailles d’egos font rage et les candidats s’auto-proclamant « de rassemblement » face à Rachline sont légion. Ce qui pourrait bien lui offrir un boulevard en mars prochain.

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