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Lettre ouverte aux autorités françaises

Président de la République

Premier Ministre

Défenseur des Droit

 

Mesdames, Messieurs,

 

Après l'attentat terroriste qui a eu lieu en France le 16 octobre 2020, les autorités françaises ont intensifié les actions pour expulser, entre autres[1] , les étrangers qui font l’objet d’un signalement pour radicalisation (ce terme vague lui-même n'a pas de définition juridique, et peut être interprété arbitrairement).

 

https://www.leparisien.fr/faits-divers/gerald-darmanin-ordonne-l-expulsion-de-231-etrangers-rad icalises-18-10-2020-8403795.php

 

A ce titre, un certain nombre de Tchétchènes sont menacés d'expulsion, vers la Russie, pays qu’ils ont fui, sauvant ainsi leur vie et leur liberté.

 

Toutes ces personnes ont des histoires différentes et leurs procédures judiciaires et administratives sont à des étapes différentes.

 

Beaucoup d'entre elles avaient la qualité de réfugiés politiques en application de l'article 1er A2 de la Convention de Genève du 28 juillet 1951. C'est-à-dire que la France avait reconnu qu'elles étaient en danger en Russie. Par la suite, du fait de leur signalement, elles ont été considérées comme dangereuses et l’OFPRA leur a retiré ce statut (Article 711.6 du CESEDA). Ainsi, les autorités préservent une apparente légalité lors de l'expulsion de ces personnes.

 

Le premier paragraphe du 14e article de la Déclaration universelle des droits de l'homme stipule :

 

Devant la persécution, toute personne a le droit de chercher asile et de bénéficier de l'asile dans d'autres pays.

 

L'expulsion de Tchétchènes vers la Russie, qui, il y a quelques années, semblait tout simplement impossible est de notre point de vue une violation flagrante de cet article.

 

Nous rappelons que les assassinats politiques sont courants, en Fédération de Russie.

 

Parmi les plus connus, la journaliste d’investigation et militante des droits humains Anna Politkovskaïa tuée en 2006 (condamnation Russie CEDH Application no. 15086/07,décision du 17 juillet 2018), l'avocat et défenseur des droits humains Stanislav Markelov et la journaliste Anastassia Babourova en 2009, l’avocat Sergueï Magnitsky en 2009, pour lequel la Russie a été condamnée par la CEDH (Applications nos. 32631/09and 53799/12, décision du 27 août 2019), la journaliste, militante des droits humains et représentante en Tchétchénie de l’ONG Memorial, Natalia Estemirova en 2009, ou encore l’opposant Boris Nemtsov en 2015.

 

De plus, comme au temps de l’Union Soviétique, les services secrets russes pratiquent ce type d’assassinat même à l’étranger ; l’homme politique, Zelimkhan Yandarbiev au Qatar, en 2004, l’ancien agent secret, Alexandre Litvinenko en Grande Bretagne, 2006, l’ancien garde du corps de Ramzan Kadyrov Oumar Israilov en Autriche, au cours de l’année 2009, le commandant Zelimkhan Khandogoshvili en Allemagne en 2019, les blogueurs, Imran Aliyev, en France et Mamikhan Oumarov en Autriche, au cours de l’année 2020…

 

La situation du peuple tchétchène est spécifique en Russie, et au sein même de la République de Tchétchénie. Stigmatisé et persécuté par les autorités russes, il subit actuellement un régime de terreur avec la dictature du Président Ramzan Kadyrov sur ses terres. Comme cela a été largement documenté par des rapports d’organisations non gouvernementales internationales et locales, des articles de presse. A ce propos, la Fédération de Russie a fait l’objet d’une multitude de condamnations par la CEDH.

 

Renvoyés en Fédération de Russie, les ressortissants tchétchènes courent un risque très important d’être soumis à des persécutions.

 

En particulier, si elles venaient à être jugées, non seulement en République de Tchétchénie, mais aussi sur tout le territoire de la Russie. En effet, les accusations et les peines qui en découlent sont également fondées sur des aveux extorqués sous la torture. De tels cas font parfois l'objet d'un examen par la CEDH. Le dernier exemple est une plainte du « Comité contre la torture » dans l'intérêt d'un résident de Tchétchénie, Abdul-Halim Abdulmezhidov, qui en 2017 a été torturé pendant 2 mois. Dans ce contexte, il a été forcé d’avouer tout ce dont il était accusé et a été condamné à plus de 8 ans d’emprisonnement.

 

https://doshdu.com/nezakonno-osuzhdennyj-zhitel-chechni-obratilsja-v-espch-v-svjazi-s-pytkami -silovikov/

 

Dans les prisons russes, les prisonniers, et tout particulièrement, les Tchétchènes effectuent des peines d’emprisonnement dans des conditions extrêmement difficiles , sont souvent soumis à des traitements inhumains et victimes de tortures[2] [3].

 

En témoigne, l'histoire de Zubayr Zubairayev, condamné à 5 ans de prison en 2007, a été tellement battu qu’il est devenu handicapé dépendant. En particulier, des gardiens de la prison de Volgograd, où il purgeait sa peine, lui ont cloué les pieds au sol et ont vissé des vis sous ses rotules.

 

https://www.ekhokavkaza.com/a/24609873.html,

 

https://www.kavkaz-uzel.eu/articles/194464/

 

En Tchétchénie, les humiliations publiques et filmées sont devenues très courantes. Les enlèvements et les exécutions se poursuivent comme l’illustre tristement l’exécution brutale de 27 jeunes Tchétchènes précédemment enlevés, dans la nuit du 26 janvier 2019.

 

https://www.newsru.com/russia/24jul2019/kadirov_kazni.html

 

En 2011, Apti Nazhuev a également été débouté, expulsé vers la Russie et renvoyé en Tchétchénie. En mai 2013, sa famille a annoncé sa disparition et, en juin, son corps a été retrouvé dans la rivière avec des traces de torture.

 

https://www.kavkaz-uzel.eu/articles/279550/

 

https://en.nytid.no/torturert-og-drept-etter-a-ha-blitt-nektet-asyl-i-norge/

 

Selon une information de l’association Le Comité de Tchétchénie, l'un des Tchétchènes récemment expulsés de France vers la Russie, a déjà avoué tout ce qui lui a été demandé sous la torture. Il aurait même renoncé à l’assistance d’un avocat. Il va être jugé dans un pays qu’il a quitté alors qu’il était enfant.

 

Le 3 décembre 2019, les autorités autrichiennes ont expulsé vers la Russie 27 originaires de Tchétchénie, dont Khassan Tamaev, qui a déjà été enlevé et porté disparu en Tchétchénie.

 

Quand bien même, les Tchétchènes actuellement menacés d'expulsion seraient coupables d'avoir commis des crimes, il est évident qu'en Russie ils ne peuvent pas compter sur un tribunal indépendant et impartial, sur un procés équitable, sur un traitement humain, sur le non-recours à la torture et à des traitements dégradants.

 

Ainsi, l'expulsion de Tchétchènes vers la Russie viole les droits humains fondamentaux (tels que l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ratifiée par la France le 03 mai 1974) et entraîne des conséquences irréparables.

 

Pour cette raison, nous lançons un appel à la communauté internationale en lui demandant d'influencer les autorités de la République Française et d'empêcher la poursuite des expulsions de Tchétchènes vers la Russie.

 

Signataires :

 

L’Assemblée des Tchétchènes d’Europe

Association Bart Marsho (France)

Human Rights Protection (France)

Association L'Union des Tchétchènes de la Côte d'Azur (France)

 

[1] En fait, ils ratissent plus large que les personnes radicalisées.

[2]ACAT, "Les multiples visages de la torture. Etude du phénomène tortionnaire en Russie, 2013, http://www.acatfrance.fr/public/acat_russie_fr.pdf

[3] http://www.rightsinrussia.info/rights-groups-in-russia/forhumanrights

http://www.humanrightseurope.org/2017/03/court-jailing-russian-prisoners-far-from-families-breached-human-rights-law/