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Christian Lehmann est médecin et écrivain. Pour «Libération», il tient la chronique régulière d’une société suspendue à l’évolution du coronavirus. Aujourd’hui, un point [de Claude-Alexandre Gustave] sur la situation d’une «épidémie dans l’épidémie».
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Une peinture sur herbe a été réalisée en novembre 2020 à Hebden Bridge en Angleterre pour rendre hommage aux enfants qui risquent de mourir chaque jour en raison de cause indirecte de l'épidémie de Covid-19. (Christopher Furlong/Getty Images. AFP)

 

 

Lundi, le masque ne sera plus obligatoire dans les transports, après avoir été abandonné dans les lieux clos. Lundi, la campagne vaccinale des enfants sera toujours au point mort, avec la fermeture programmée des derniers grands centres vaccinaux. Lundi, le Covid sera toujours invisibilisé, comme si la crise était dernière nous. Pourtant, cette volonté sur le passé de faire table rase se heurte à un épineux problème : celui de l’incidence anormalement élevée d’hépatites infantiles de cause indéterminée, dans les suites (corrélation n’est certes pas causalité…) d’une vague omicron ayant particulièrement touché les enfants. La publication de nouveaux rapports épidémiologiques est l’occasion de faire le point sur la situation avec Claude-Alexandre Gustave, biologiste médical :

 

«On recense désormais plus de 450 cas à l’échelon mondial, dont plus de la moitié au Royaume-Uni et aux Etats-Unis. Les enfants atteints ont très majoritairement moins de 5 ans, mais quelques cas sont également recensés chez des adolescents jusqu’à l’âge de 16 ans. Quelques dizaines de cas sont encore en attente d’inclusion, mais le rythme de recensement semble tout de même ralentir, ce qui donne l’impression d’une véritable vague d’hépatites survenue entre la fin de l’hiver 2021-2022 et ce début de printemps.

 

«Globalement, ces cas semblent pour l’instant rares mais ne sont pas un épiphénomène puisqu’ils induisent une nette hausse inhabituelle des passages aux urgences pour hépatites chez les moins de 5 ans. Ils semblent plutôt sévères puisque la majorité des enfants atteints requiert une prise en charge hospitalière. On dénombre également au moins 26 transplantations hépatiques, et malheureusement déjà 12 décès (5 aux USA, 6 en Indonésie et 1 au Brésil).

 

Syndromes digestifs

«A ce stade, aucune étiologie n’est identifiée. Les deux seules hypothèses qui semblent définitivement exclues sont, d’une part un lien avec la vaccination anti-Covid (plus de 75% des enfants atteints ont moins de 5 ans et ne sont donc même pas éligibles à la vaccination ; les cas âgés de plus de 5 ans et vaccinés sont exceptionnels) ; d’autre part une cause toxique /médicamenteuse (les enquêtes épidémiologiques ne retrouvent ni mésusage de paracétamol ni lien épidémiologique ou géographique ou temporel entre les cas).

«Parmi les hypothèses qui restent fortement suspectées, on retrouve tout d’abord l’hypothèse adénovirale. Elle suppose que ces hépatites seraient le résultat d’infections par un adénovirus commun, auquel les enfants seraient devenus inhabituellement sensibles. Plusieurs raisons sont évoquées, comme l’hypothèse hygiéniste d’une «dette immunitaire» induite par les mesures sanitaires qui auraient affaibli les défenses immunitaires des enfants ; ou encore l’hypothèse d’une sensibilité anormale à cet adénovirus suite aux infections par Sars-CoV-2 qui auraient, soit altéré l’immunité des enfants, soit induit des lésions hépatiques qui se révèlent lors de l’infection par un adénovirus commun.

 

«A la lecture des rapports épidémiologiques de l’European Center of Disease Control et de l’United Kingdom Health Security Agency, on remarque que bien qu’elle soit très activement recherchée, cette hypothèse adénovirale peine à être confirmée. On retrouve de grandes proportions d’enfants avec une PCR positive pour un adénovirus, mais essentiellement dans le sang, et plus précisément uniquement sur «sang total», ce qui peut correspondre à une détection artéfactuelle d’adénovirus persistant dans les lymphocytes, présents depuis des années suite à une infection ancienne. Ceci est aussi suggéré par l’absence marquante de traces d’adénovirus dans les biopsies hépatiques analysées. On note également que l’adénovirus le plus fréquemment retrouvé (AdV 41F), n’est connu que pour donner des syndromes digestifs (nausées, vomissements, diarrhées…) ou exceptionnellement des hépatites, mais uniquement chez des sujets sévèrement immunodéprimés, ce qui n’est pas le cas des enfants actuellement atteints.

 

Eventuel syndrome post-Covid

«L’hypothèse de la «dette immunitaire» est également mise à mal puisque près de la moitié des cas recensés se concentre au Royaume-Uni (pays où les mesures sanitaires concernant les enfants ont été les plus légères). On trouve également des cas en Suède ou au Brésil, pays qui ont marqué la communauté internationale par leurs stratégies sanitaires basées sur la quête d’immunité collective via l’infection par Sars-CoV-2. Et le contraste est marquant avec l’absence de cas dans les pays dits du «zero covid» (comme la Chine, l’Australie, la Nouvelle-Zélande…), où les confinements ont pourtant été les plus stricts, les plus nombreux et les plus longs. Il est donc plus qu’étonnant de voir la Société française de pédiatrie s’agripper à cette hypothèse hygiéniste de «dette immunitaire» alors que les pays où les enfants ont été les moins exposés aux virus (y compris SARS-CoV-2), depuis plus de deux ans, sont les pays où les cas d’hépatites se font toujours attendre malgré une surveillance active !

 

«Enfin, une nouvelle hypothèse fait son entrée dans les rapports de l’ECDC et UKHSA, qui ajoutent l’option d’un éventuel syndrome post-Covid (sur le même mode auto-inflammatoire que les syndromes d’inflammation systémique Pims, ou que les hépatites post-Covid CAH-C). Cet ajout fait suite aux rapports venant d’Autriche, Israël, Italie, où le seul point commun entre tous les enfants atteints par ces hépatites, est une infection récente par Sars-CoV-2. Les autorités sanitaires italiennes en font d’ailleurs leur hypothèse principale puisqu’elles déclarent l’hypothèse adénovirale comme «improbable». En Israël, l’hypothèse du syndrome post-Covid est cependant restreinte à un effet potentiel du variant BA.2 uniquement.

«Cet ajout résulte également du parallèle entre la vague massive de Covid omicron chez les enfants en ce début d’année, et la vague d’hépatites qui survient avec décalage de quelques semaines.

 

Abondante littérature scientifique depuis 2020

«Plus récemment, les autorités sanitaires japonaises suspectent également un lien entre ces cas d’hépatites infantiles sévères et le variant omicron. De telles hépatites ont déjà été décrites depuis 2020 suite à des cas de Covid chez l’enfant. Avec l’explosion massive des contaminations infantiles depuis omicron, leurs autorités sanitaires estiment qu’il n’est pas surprenant d’observer une hausse de ces cas d’hépatites infantiles, certes rares en fréquence, en raison d’une circulation massive des variants omicron chez les enfants.

«Ce type d’hépatites post-Covid (survenant environ quatre à six semaines après l’infection par Sars-CoV-2, même asymptomatique), ne serait pas nouveau, puisqu’on retrouve une abondante littérature scientifique sur le sujet depuis 2020, et surtout une description similaire de vague d’hépatites infantiles suite à la vague delta de 2021 en Inde.

 

«Pour l’instant, seul Israël a publié les données sérologiques des enfants atteints. Sur 12 cas recensés, 11 sont séropositifs pour Sars-CoV-2 (le douzième a un historique d’infection en décembre 2021). Sans être une preuve, il s’agit d’un signal épidémiologique fort car il correspond à une surreprésentation de séropositifs pour Sars-CoV-2 parmi les cas d’hépatites. S’il n’y avait pas de lien avec Sars-CoV-2, sur ces 12 cas d’hépatites, en considérant que 70% des enfants ont été infectés, et que seuls 40% des moins de 5 ans développent des anticorps suite à leur infection (constat documenté dans la littérature scientifique), on ne devrait trouver que 3 à 4 enfants séropositifs parmi les 12 cas israéliens, et pas 11…

«La quasi absence d’enfants vaccinés contre le Covid parmi ces cas d’hépatites, est aussi un autre signal épidémiologique à prendre en considération, même si ça n’est en aucun cas une preuve.

«A ce stade, beaucoup de données sont encore manquantes, notamment beaucoup de résultats sérologiques anti-Sars-CoV-2, la recherche de Sars-CoV-2 dans les biopsies hépatiques, les analyses immunologiques sur ces mêmes biopsies…»

 

Protocole français biaisé

Les enquêtes se poursuivent, mais après s’être distinguée à l’international avec son incapacité à mettre fin au délire national autour de l’hydroxychloroquine, la France reste une nouvelle fois en marge de la communauté internationale puisque la Direction générale de la santé (dont le directeur Jérôme Salomon est porté disparu depuis juillet 2021, en pleine pandémie) n’a toujours pas corrigé son protocole d’enquête épidémiologique publié le 3 mai suite à la définition de cas recherchés publiée par Santé publique France le 28 avril 2022. Pour faire court, le protocole français est biaisé. Il impose l’inclusion sélective des cas positifs pour l’adénovirus, et exclue du recensement de ces hépatites infantiles tout autre virus sauf en cas de co-infection adénovirale. Ceci conduit à une cohorte artificiellement 100% positive pour l’adénovirus. A l’opposé, les enquêtes internationales sont alignées sur un protocole «inclusif» qui n’exclut que les virus des hépatites A à E et reste «ouvert» à toutes les autres hypothèses sans a priori. Notre protocole reste donc incompatible avec les protocoles communs à l’UKHSA, ECDC et OMS. Les données épidémiologiques françaises ne pourront donc pas contribuer à l’enquête internationale. C’est pourtant un enjeu crucial, car l’identification correcte de l’étiologie de ces hépatites conditionnera leur prise en charge et déterminera donc le pronostic des enfants atteints. A moins que cette épidémie dans l’épidémie ne s’arrête, génie français oblige, à nos frontières.