JustPaste.it

« Face à la hausse des troubles psychiatriques chez les enfants, développer une politique de prévention est une priorité »

Tribune

Richard Delorme

Psychiatre

Alertant sur une hausse des tentatives de suicide des adolescents, le psychiatre Richard Delorme détaille, dans une tribune au « Monde », les stratégies à mettre en place pour favoriser un « plan Marshall » de la santé mentale des jeunes.

Publié le 02 août 2021 à 05h00, mis à jour le 02 août 2021 à 18h44 Temps de Lecture 4 min.

 

Tribune. Les vacances estivales ont commencé, et nous avons en tête que flotte pour les enfants un sentiment d’insouciance salvatrice. Nous espérons tous que l’été apaisera les frustrations et les souffrances des enfants dues à la pandémie de Covid-19. Pourtant, vu des portes de l’hôpital Robert-Debré, situé dans le nord-est de Paris, la situation ne s’améliore pas.

Depuis septembre 2020, nous accueillons deux fois plus d’enfants pour des urgences psychiatriques. Certains sont déprimés, anxieux, amaigris, sans sommeil, et d’autres, plus gravement, attentent à leur vie. Chaque mois, nous observons deux à trois fois plus d’enfants de moins de 16 ans qui tentent de se suicider, en comparaison à la même période sur les dix années précédentes.

Depuis le début de la pandémie, mars aura été le mois le plus difficile. Les recours aux urgences n’ont pas faibli en mai ou juin, et les premiers jours de juillet sont de mauvais augure.

 

La politique courageuse de la France pour limiter la fermeture des écoles n’aura pas suffi. Les inégalités sociales fortes dont souffre le nord-est de l’Ile-de-France expliquent en partie cette situation préoccupante. Selon l’Observatoire des inégalités, 67 % des familles les plus modestes ne partent pas en vacances, en raison de moyens financiers suffisants.


Des voix s’élèvent dans le monde – comme Devora Kestel, directrice du département santé mentale à l’Organisation mondiale de la santé – pour engager les acteurs politiques à lancer un plan Marshall en faveur de la santé mentale de l’enfant. Le « Building Back Better » [« reconstruire mieux », plan d’investissement pour moderniser les Etats-Unis] est une nécessité s’imposant face à la souffrance psychique d’une génération d’enfants constatée chaque jour. Investir dans l’enfance risque cependant d’être contraint par les difficultés économiques et l’appauvrissement des Etats au sortir de la crise, imposant des arbitrages financiers où la souffrance des enfants n’apparaîtra pas comme une priorité.

 

Sensibiliser les parents

Certains pays ont déjà proposé des actions multiniveaux pour améliorer le bien-être des enfants, limiter l’émergence des troubles psychiatriques et prévenir le risque suicidaire dans ces populations à risque. Développer une politique de prévention est une priorité majeure.


Dans l’urgence, il paraît important de faire émerger toutes les stratégies qui favoriseraient l’adaptation au stress de l’enfant, renforceraient les liens avec les pairs et la famille, et accroîtraient les compétences parentales permettant de soutenir leur enfant dans la crise. Par exemple, en sensibilisant les parents à la reconnaissance des situations ou des symptômes associés à un risque suicidaire élevé. Ou encore en sensibilisant le corps enseignant à la promotion de la santé émotionnelle et du bien-être de leurs élèves, comme proposé en Angleterre en février. Une place particulière était faite pour aider les élèves à croire en leurs capacités, développer leur indépendance, exprimer leurs opinions ou renforcer leurs compétences sociales.


De la même manière, certains pays ou Etats ont choisi d’intensifier le déploiement de programmes d’accompagnement à la parentalité validés scientifiquement, comme le Positive Parenting Program (Triple P). Ces programmes pour les parents favorisent la gestion émotionnelle, préviennent les violences intrafamiliales et les troubles du comportement des enfants.

 

Enfin, la prévention nécessite également le développement d’outils numériques à destination des familles pour renforcer leur autonomie et faire face aux difficultés psychologiques de leurs enfants durant la crise. Avec un peu plus de 800 000 visites depuis un an, le succès du site CléPsy créé dès les premiers jours de la crise sanitaire confirme la volonté des parents de devenir des acteurs du bien-être mental de leur enfant.

 

Favoriser la justice sociale

La présence de pensées suicidaires dans l’enfance – outre la nécessité d’intervenir vite et de prendre en charge l’enfant – est un facteur de risque de développer un trouble psychiatrique à l’âge adulte. Nous sommes tous les jours surpris de voir des garçons et des filles de 10 ans, parfois plus jeunes, voulant mourir.

Comme l’a montré la pandémie que nous vivons, la conduite de la crise et la politique publique de l’enfance sont limitées par la difficulté que nous avons à avoir des données chiffrées cohérentes et en temps réel des problèmes psychiques des enfants. Il y a une urgence à développer une santé publique forte pour l’enfance. Cela a d’ailleurs été souligné par le président de la République qui a diligenté en décembre 2020 une enquête en population pédiatrique.


La politique de prévention nécessite aussi – et plus que jamais – de favoriser la justice sociale et l’équité dans l’accès au soin pour la santé mentale des enfants. Cela peut paraître surprenant lorsque l’on pense au système français de couverture sociale. Cependant, en dehors des considérations de remboursement, on voit une difficulté massive d’accès aux soins dans les zones urbaines pauvres, comme c’est le cas dans le Nord-Est parisien, où il faut souvent de douze à dix-huit mois pour avoir un premier rendez-vous dans un centre médico-psychologique (contre six mois ailleurs dans Paris). Les structures de soins sont peu nombreuses, saturées et souvent en déficit de personnel.

Les vingt dernières années ont vu un déficit d’investissement médical vers les populations socialement vulnérables. Et pourtant l’European Council for Health Research a souligné la nécessité de favoriser l’émergence d’un système de soins d’excellence au cœur des populations vulnérables.Richard Delorme est chef du service de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent à l’hôpital Robert-Debré, à Paris.

Richard Delorme(Psychiatre)