René Dosière : « L’affaire de Rugy est ravageuse pour l’image de la classe politique »
Pour l’ancien député PS, spécialiste de la chasse aux dépenses publiques, « la meilleure solution » aurait été que François de Rugy « se retire ».
Source L'OBS Par Maël Thierry et Timothée Vilars Publié le 14 juillet 2019 à 16h12
Depuis son départ de l’Assemblée nationale il y a deux ans, René Dosière, grand pourfendeur des dépenses indues de la République, est devenu président de l’Observatoire de l’éthique publique. S’il déplore l’impact médiatique causé par les révélations sur les dîners fastueux de François de Rugy, l’ex-député PS, interrogé par « l’Obs », veut retenir que la situation s’améliore sur le front de la transparence et de la sobriété de l’action publique.
Le scénario se répète d’année en année : le cireur de chaussures d’Aquilino Morelle, le coiffeur de François Hollande, les homards de François de Rugy... N’avez-vous pas l’impression que les polémiques touchant au train de vie de la classe politique se focalisent sur des symboles statutaires, plutôt que sur le fond du gaspillage d’argent public ?
Mon sentiment est que sur ces sujets, la toile de fond s’est nettement améliorée. Hélas, ces comportements individuels associés à une forte charge symbolique, des cigares de Christian Blanc en 2010 aux vins fins de François de Rugy, continuent d’avoir un impact ravageur pour l’image de la classe politique. Dans le contexte de la crise des « gilets jaunes », qui a éclairé la misère d’une partie de la population et l’opposition exacerbée entre les élites et le peuple, sur fond de toute-puissance des réseaux sociaux, c’est encore pire. C’est surtout le « choc des photos », comme dirait « Paris-Match », qui est terrible : que voulez-vous faire face à ces images de tables débordant de mets luxueux ? La réaction de l’opinion est compréhensible.
Justement, comment réagir face à ces images ?
Le traitement de cette affaire ne devrait pas occulter les efforts accomplis en matière de moralisation de la vie politique, et je considère pour cette raison que cette histoire a été mal traitée médiatiquement. Je n’en pense pas moins que la meilleure des solutions aurait été que le ministre se retire. La notion d’exemplarité est aujourd’hui si importante qu’on ne peut plus se permettre le moindre accroc.
Qu’est-ce qui vous choque dans cette histoire de dîners fastueux à l’hôtel de Lassay ?
Outre ce caractère fastueux et apparemment systématique, le problème est surtout qu’on ne sache pas s’ils se déroulaient dans un contexte privé ou public, et qu’on ne connaisse pas le rôle précis de l’épouse de François de Rugy dans leur organisation. Quand il s’agit de repas et de réceptions privées avec de la famille ou des amis, la déontologie élémentaire implique que l’intéressé prenne en charge les frais. A la suite de l’affaire des cigares, Nicolas Sarkozy avait lui-même écrit une lettre à ses ministres pour leur rappeler qu’ils devaient prendre en charge leurs dépenses personnelles. D’autant que ces personnalités disposent d’une indemnité personnelle à cet usage ! Et le président de l’Assemblée a, en plus de son traitement, une indemnité pour les frais de représentation. Il y a une Commission de contrôle des dépenses de l’Assemblée nationale, elle pourrait demander la liste des invités. Pour autant, je pense qu’une enquête judiciaire qui se pencherait sur la question conduirait probablement à un non-lieu... Il n’est pas anormal, lorsqu’on est président d’Assemblée, président de la République ou Premier ministre, qu’on ait besoin de rencontrer des personnalités de la société civile.
On a l’impression que les dépenses du président de la République sont plus surveillées que celles du président de l’Assemblée nationale...
Il est vrai que depuis quelques années, l’Elysée donne l’exemple : le président de la République dispose d’une rémunération depuis 2008. On interdit les dépenses privées sur le budget de l’Elysée, faute de quoi le président rembourse. La Cour des comptes est là pour contrôler tout cela. Lorsque le président se déplace avec l’avion gouvernemental pour un déplacement privé, il doit rembourser de manière forfaitaire. A l’Elysée, il a aussi des appartements privés avec une cuisine privée et rembourse tout dès qu’il reçoit sa famille ou ses amis dans ses résidences. Chacun doit avoir un minimum de probité ! Chaque ministre dispose de frais de représentations. Environ 80% passent en repas, et quand ils invitent à déjeuner ou à dîner, c’est sur cette enveloppe.
Le problème, ce n’est pas justement l’encadrement de ces frais de représentation ?
Ce qui cloche, c’est peut-être le train de vie de notre République qui n’est pas encore suffisamment modeste. Lorsqu’on s’appelle François de Rugy, ministre d’Etat et ancien troisième personnage de l’Etat, qu’on préconise de longue date un renouvellement des pratiques politiques, cela fait tache.
Vous pensez à ce que l’on appelle « les ors de la République » ?
Non : les institutions de notre République sont abrités dans des monuments anciens, qui font partie de notre patrimoine. Là où nous pouvons progresser, c’est sur un certain protocole de la réception. On accepte très bien certains fastes pour la réception de dignitaires internationaux, pour des raisons d’image de la France et de culture gastronomique. Pour les réceptions de la vie quotidienne, c’est autre chose. Mais il n’y a pas de règles écrites sur les plats et les vins à servir dans chaque contexte, et je ne crois pas qu’il puisse y en avoir.