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« Les JO d’hiver donnent l’occasion à Pékin de se présenter comme une “puissance verte” »

TRIBUNE

Jean-François Dufour

Directeur de la société de conseil DCA Chine-Analyse

L’expert de l’industrie chinoise Jean-François Dufour observe, dans une tribune au « Monde », les efforts de la Chine pour redorer son blason sur le front de l’écologie, à l’occasion de l’ouverture des Jeux olympiques d’hiver, vendredi 4 février.

 

Tribune. De la reprise en main de Hongkong à la répression au Xinjiang, des pressions sur Taiwan aux manœuvres militaires en mer de Chine méridionale, des accusations d’espionnage industriel à celles de surendettement de pays pauvres, la Chine est l’objet de nombreuses attaques qui la handicapent sur la scène internationale.

Dans ce contexte, les Jeux olympiques d’hiver de Pékin 2022, qui s’ouvrent vendredi 4 février, constituent un enjeu majeur parce qu’ils sont l’occasion pour le régime de présenter son seul argument fédérateur sur la scène internationale : celui d’une puissance « verte », engagée dans une transition énergétique qui peut jouer un rôle moteur au niveau mondial.

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Le boycott diplomatique, mais surtout l’absence de public, revers de la politique zéro Covid, terniront l’éclat de la démonstration. Mais Pékin a lourdement investi dans celle-ci et essaiera d’en tirer le meilleur parti.

 

Les premiers jeux « neutres en carbone »

Le mot d’ordre prévalant à la préparation des JO d’hiver 2022 a depuis longtemps été énoncé par le gouvernement chinois : ces Jeux doivent être les premiers« neutres en carbone » de l’histoire. Ils doivent donner au monde une image concentrée du nouveau modèle énergétique « vert » que la Chine aspire à construire.

 

Pour répondre à ce mot d’ordre, de nombreuses grandes entreprises publiques se sont mobilisées. Les géants nationaux du BTP l’ont appliqué dans la construction ou la rénovation des infrastructures nécessaires aux Jeux. D’autres entreprises l’ont déployé dans le système de transports qui va desservir ces infrastructures, d’autres encore dans leur alimentation en électricité.

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Avec 100 % de véhicules à « énergie propre » pour le transport de passagers, et 85 % pour l’ensemble des véhicules impliqués, la logistique des JO constituera un élément important de la démonstration. Une part reviendra aux véhicules électriques du japonais Toyota, partenaire olympique global ; mais les constructeurs automobiles chinois profiteront également de l’occasion.

 

Des transports « verts »

Les constructeurs Yutong et Beiqi Foton fournissent notamment des bus à hydrogène, nouvelle priorité d’avenir pour l’industrie automobile nationale. Ces bus seront alimentés par des stations de recharge construites pour l’occasion par China Petrochemical Corp (Sinopec) et China National Petroleum Corp. (CNPC), les deux grands groupes pétroliers nationaux engagés dans un « verdissement » de leur image.

Et ces stations elles-mêmes seront approvisionnées par de l’hydrogène « vert » (produit à partir d’énergie renouvelable, à la différence de l’hydrogène « gris » issu du traitement des hydrocarbures) fourni par le groupe State Power Investment Corp. (SPIC), pionnier national dans le domaine.

Les Jeux seront ainsi une vitrine de l’ensemble d’une filière hydrogène, prochaine frontière visée pour le secteur national des transports. SPIC est aussi l’un des acteurs qui ont investi dans l’installation ou la rénovation de capacités de production d’énergie solaire ou éolienne à proximité des infrastructures olympiques. Mais l’effort sur les énergies renouvelables va bien au-delà.

 

Une électricité « verte »

Le meilleur exemple en est fourni par la centrale hydroélectrique de Fengning, à 200 kilomètres au nord de Pékin. Cette station de pompage-turbinage mobilise l’énergie renouvelable non utilisée en journée pour alimenter un réservoir en hauteur depuis lequel l’eau est rebasculée vers des turbines en contrebas en période de pointe de consommation, stockant ainsi l’énergie produite par des sources intermittentes.

Alimentée par les stations photovoltaïques et les fermes éoliennes du Hebei (la région de Pékin) mais aussi de Mongolie-Intérieure, elle est emblématique d’une nouvelle priorité nationale associée au développement des capacités de production d’énergie renouvelable. Construite par State Grid Corp. of China (SGCC), le principal distributeur d’électricité chinois, elle constituera à terme, avec 3 600 mégawatts de capacité – l’équivalent de trois réacteurs nucléaires – la plus puissante au monde, même si ses deux premières turbines suffiront à répondre aux besoins des JO.


Comme pour les véhicules à hydrogène, elle est la vitrine de plans de développement d’échelle nationale, puisque l’Agence nationale de l’énergie (NEA) prévoit que 120 000 mégawatts de capacité de pompage-turbinage soient installés en Chine à l’horizon 2030 – à comparer à 160 000 mégawatts pour l’ensemble du monde en 2020. L’investissement considérable de Pékin dans cette vitrine – illustré par les 2,7 milliards d’euros de coût de la seule centrale de Fengning – va voir sa rentabilité écornée par deux phénomènes inattendus au moment de sa construction.

 

Une politique « verte » pour contrer l’hostilité internationale

Le premier, le boycott diplomatique des Jeux mené par les Etats-Unis, suivis notamment par le Canada, l’Australie, le Japon et le Royaume Uni, aura un impact limité. S’il signale le refus des pays concernés de valider l’opération de communication chinoise, l’audience globale de l’événement sera nettement moins sensible à l’absence des diplomates qu’elle ne l’aurait été à celle des athlètes.

Le deuxième facteur, d’origine domestique, sera beaucoup plus handicapant. La politique zéro Covid appliquée par le gouvernement, en privant l’événement de public, donnera une image curieusement déshumanisée, loin de ce qu’escomptaient les autorités. La présence d’invités triés sur le volet, non seulement ne compensera pas l’absence d’affluence populaire, mais rendra plus difficile l’acceptation des restrictions par le reste de la population.

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Malgré ces handicaps, les autorités insisteront sur la communication autour des « premiers JO neutres en carbone de l’histoire ». La Chine « verte », plus que « rouge », est le seul argument qui lui permette aujourd’hui de contrer une hostilité croissante sur la scène internationale.