Un tsunami de défiance contre les élites et les institutions politiques
Le refrain de la défiance entre le peuple et les élites a été chanté tant de fois qu'il résonne moins fort. Le sondage Cevipof-OpinionWay devrait pourtant alerter. Voilà dix ans que ce baromètre existe. Et jamais, dans son histoire, il n'avait présenté un tableau aussi sombre de notre société. «Lassitude», «morosité» et «méfiance» sont les trois mots qui expriment le mieux «l'état d'esprit actuel des Français». Mais où sont passés les effets du pacte de bienveillance et de réconciliation porté par Emmanuel Macron au moment de son élection?
La cote d'alerte est atteinte. Jamais les Français n'avaient exprimé une telle défiance dans les instances et les acteurs de la vie démocratique. Le président de la République - sa fonction et sa personne - est l'épicentre de ce séisme. Tous les indicateurs du baromètre de la confiance du Centre d'étude de la vie politique (Cevipof), réalisé chaque année par l'institut OpinionWay, et désormais publié dans Le Figaro, sont au rouge. Et dans des proportions inégalées depuis le début de cette enquête, en 2009. Réalisée du 13 au 24 décembre, cette dixième vague confirme le phénomène de colère exprimé par la crise des «gilets jaunes», lesquels restent majoritairement soutenus (lire page 4).
«Lassitude», «morosité», «méfiance» sont les trois mots qui expriment le plus «l'état d'esprit actuel» des Français. Cela a toujours été le cas depuis dix ans, mais, en un an, la progression de chacun de ces sentiments est spectaculaire (respectivement + 7, + 8 et + 4 points). Et cet état d'esprit conduit à une sévérité elle aussi inégalée à l'égard de la politique, qui leur inspire à 81% des sentiments négatifs (méfiance, dégoût, ennui, peur) et à 17% seulement des sentiments positifs (intérêt, espoir, respect, enthousiasme).
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Dans cette énumération, un signal d'alarme: c'est l'expression du «dégoût» qui progresse le plus (32%, + 7 points). Et cela dix-huit mois après l'arrivée au pouvoir d'Emmanuel Macron, dont la victoire avait porté l'espoir d'un rajeunissement et d'un renouvellement de la vie politique. «On a du mal à reconnaître le pays qui a porté au pouvoir Emmanuel Macron et sa promesse de révolution démocratique, estime Bruno Cautrès, chercheur au CNRS et enseignant à Sciences Po et au Cevipof. La colère, la déception, les tensions, le sentiment d'abandon: tout se passe comme si le pacte de bienveillance et de réconciliation dont était porteur le projet de dépassement des antagonismes du “vieux monde” avait été déchiré en quelques mois.»
Le procès du chef de l'État
De fait, ce ressac mesuré fin 2018 est d'autant plus fort que, dans un climat ancien et durable de défiance à l'égard des institutions publiques, un léger mieux avait été enregistré fin 2017. Pour la première fois, les indicateurs de la confiance étaient - légèrement - orientés à la hausse. Et c'est parce que Macron avait incarné cette timide inversion de la courbe qu'il pâtit le plus lourdement de ce retour vers la défiance généralisée. L'écart croissant dans le regard sur les différentes institutions politiques est d'ailleurs une illustration parfaite des débats de ces dernières semaines. Et, plus généralement, des procès intentés au chef de l'État depuis le début du quinquennat.
Interrogés sur leur confiance dans les responsables politiques selon leur échelon territorial, la hiérarchie est quasiment inchangée depuis dix ans et suit scrupuleusement le degré de proximité: son maire, puis son conseiller général, puis son député, puis «le président de la République actuel», puis, enfin, ses députés européens. Mais la confiance en son maire continue de progresser (58%, + 1 point), quand celle pour son député recule (31%, - 4 points) et que celle du chef de l'État s'effondre (23%, - 13 points).
Au cœur de la crise des «gilets jaunes», cette défiance exprimée sur les fonctions exercées est encore plus nette quand on soumet aux sondés le nom de leurs titulaires. Ainsi, la confiance envers Emmanuel Macron chute de 16 points pour s'établir à 20% seulement. Inversement, Marine Le Pen, dont l'image s'était dégradée en 2017, gagne 8 points de confiance. «Ce qui progresse le plus, dans les jugements sur le chef de l'État, remarque Bruno Cautrès, c'est le nombre de ceux qui déclarent qu'ils avaient confiance en lui au départ mais qu'ils n'ont plus confiance en lui aujourd'hui.» C'est donc bien la déception d'un espoir initial qui explique cette sévérité.
Sanction du mandat macronien
La défiance à l'égard de Macron est-elle la conséquence d'un rejet global des institutions politiques? Ou est-ce celle-ci qui tire toutes les autres vers le bas? Là encore, le phénomène est ancien. Depuis 2009, l'écart entre ceux qui considèrent que «la démocratie fonctionne bien ou assez bien» et ceux qui pensent qu'elle ne fonctionne «pas bien ou pas bien du tout» n'a cessé de se creuser. Mais, en un an, cet écart s'est accru de 18 points.
À la veille de l'ouverture de la grande consultation nationale, il n'est donc pas étonnant que l'aspiration à de nouvelles formes d'expression politique soit si spectaculaire. L'un des éléments les plus frappants de cette dixième vague du baromètre est que le vote aux élections soit de moins en moins perçu comme un bon moyen pour «peser sur les décisions prises en France»: 67% en 2010, 61% en 2017, 55% aujourd'hui, soit un recul de 6 points en un an. Tandis que manifester dans la rue est cité par 42% des sondés, 16 points de plus qu'en 2017. Et ils sont 72% (+ 3 points) à vouloir «pouvoir imposer un référendum sur une question à partir d'une pétition ayant rassemblé un nombre requis de signatures». Un plébiscite anticipé pour le référendum d'initiative citoyenne.
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Autre hiérarchie quasi immuable depuis dix ans: la confiance dans les différentes instances de la vie publique. Le crédit continue de se renforcer dans celles qui représentent le soin et la protection (hôpitaux, armée, police, école) et ne cesse de se tasser dans celles qui ont un caractère institutionnel (les syndicats, les médias, les partis). Encore un indice de ce besoin de proximité et d'écoute exprimé avec impatience et, désormais, avec colère. Certes, rappelle Bruno Cautrès, ce climat s'ancre dans «une tendance de fond née au début des années 1990 avec la globalisation et qui a fait naître des frustrations entre les promesses d'un monde ouvert et la réalité ressentie des inégalités sociales». Mais l'accélération mesurée cette année signe la sanction d'un mandat macronien accusé d'avoir aggravé une fracture qu'il était censé résorber.