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Au port de Marseille, les « effets immédiats » des tensions en mer Rouge

Les attaques des rebelles houthistes entraînent un retard de plusieurs semaines dans les arrivées des porte-conteneurs au Grand Port maritime de la cité phocéenne, qui craint que ne s’installe un évitement de Marseille au profit du nord de l’Europe ou du Maroc.

Par Gilles Rof (Marseille, correspondant)

 

Le « CMA CGM Palais Royal », le plus grand porte-conteneurs au monde, dans la baie de Marseille, le 14 décembre 2023.

 Le « CMA CGM Palais Royal », le plus grand porte-conteneurs au monde, dans la baie de Marseille, le 14 décembre 2023. CHRISTOPHE SIMON / AFP

 

Pas de « conséquences définitives », mais « des effets immédiats ». En présentant, jeudi 18 janvier, le bilan 2023 du Grand Port maritime de Marseille (GPMM), Christophe Castaner, président de son conseil de surveillance, a confirmé que les tensions en mer Rouge perturbaient directement, depuis la mi-décembre 2023, l’activité des bassins marseillais.

 

Les attaques des rebelles yéménites houthistes contre les navires de commerce passant par le canal de Suez, au nom de la solidarité avec les Palestiniens de Gaza, ont provoqué « des décalages de l’ordre de deux à trois semaines » sur les arrivées prévues à Marseille-Fos, selon l’ancien ministre de l’intérieur. Un retard dû au rallongement du temps de transport pour des porte-conteneurs et des vraquiers en provenance de Chine, d’Inde ou du Moyen-Orient, forcés d’emprunter la route maritime contournant l’Afrique, via le cap de Bonne-Espérance.

 

Si le GPMM annonce une baisse de 7 % de son trafic global à 72 millions de tonnes en 2023 (− 11 % pour les seules marchandises), principalement en raison du ralentissement des échanges avec la Chine, sa gouvernance assure ne pas pouvoir chiffrer encore l’impact direct des attaques en mer Rouge, par laquelle transite environ 12 % du commerce mondial. « Aujourd’hui, il n’y a pas d’effet massif sur les flux, mais on peut légitimement penser que, si cela perdurait, il y en aurait », estime M. Castaner.

Conséquences brutales chez les dockers

« Globalement, ce n’est pas bon pour nous », reconnaît, de son côté, le président du directoire, Hervé Martel, qui redoute que le détour imposé pousse les armateurs à privilégier les ports du nord de l’Europe, au détriment de la Méditerranée. Autre crainte partagée par la place portuaire : la possibilité de voir les plus gros porte-conteneurs passés ces derniers jours par le cap de Bonne-Espérance débarquer l’essentiel de leur chargement avant Marseille. « Les ports marocains pourraient monter en puissance, avec des effets de transbordement », note Christophe Castaner. Alors desservi par des unités plus petites qui caboteraient en Méditerranée, le Grand Port maritime de Marseille se verrait ainsi privé d’une partie du volume de conteneurs qu’il traite habituellement.

Les retards dans les escales ont déjà des effets sur les métiers du GPMM, notamment sur les bassins ouest, dévolus aux marchandises. Les pilotes, habitués à guider une moyenne de cinq porte-conteneurs géants par semaine, ont vu cette partie de leur activité s’effacer pendant une vingtaine de jours. Chez les dockers, les conséquences sont encore plus brutales.

 

« Depuis le début de 2024, nous en sommes à six jours de travail », assure Christophe Claret, responsable CGT des dockers de Marseille-Fos. « On nous promet des arrivées pour ce week-end et lundi [22 janvier], et un rattrapage pour fin janvier. Mais le mois va être maigre », note le syndicaliste, qui prédit déjà des effets financiers sur l’ensemble de l’environnement portuaire si la baisse d’activité était amenée à se poursuivre.

Augmentation des tarifs de fret

« Tous les secteurs sont touchés par les retards, mais ce sont surtout les activités qui fonctionnent à flux tendu qui subissent des conséquences, analyse Jean-François Suhas, pilote et président du conseil de développement du GPMM.Pour les vracs liquides ou solides, il y a des stocks. Mais il y aura des ruptures ou des délais d’attente allongés pour certains produits comme les voitures, dont beaucoup sont produites en Asie. »

 

« Actuellement, on a plus de questions que de certitudes », avance prudemment M. Martel. Amal Louis, directrice du développement commercial du Grand Port maritime de Marseille, s’interroge sur les réactions des armateurs : « Vont-ils mettre plus de navires pour maintenir leur capacité de transport sur un trajet allongé ? Marseille va-t-il perdre des rotations ? » Déjà les professionnels du transport maritime ont augmenté leurs tarifs de fret, jusqu’à doubler le coût du conteneur entre Asie et Europe, pour prendre en compte le déroutage d’une partie de leurs navires.

 

CMA CGM, dont le siège mondial est à Marseille, applique ses hausses depuis le 15 janvier. En début de mois, les rebelles houthistes ont annoncé avoir pris pour cible Le Tage, l’un des porte-conteneurs du géant français du transport maritime. Arrivé jeudi 18 janvier dans le port de Constanta (Roumanie), il n’a, selon son propriétaire, subi aucun incident. CMA CGM, qui a détourné une quarantaine de ses navires au plus fort de la menace en mer Rouge, mi-décembre, a décidé de continuer à faire passer ses bateaux par la mer Rouge et le canal de Suez, sous la protection de la marine française. Un choix assumé pour continuer d’alimenter les ports méditerranéens, et donc Marseille.