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Source: premium.lefigaro.fr

 

Le matraquage fiscal des plus aisés, issue inéluctable du grand débat?

 

CHRONIQUE - Les 20 % plus hauts revenus du pays sont dans le collimateur de la démagogie.

Pour stigmatiser les riches, les Français ont longtemps parlé des «deux cents familles». Les 200 plus gros actionnaires de la Banque de France, seuls autorisés à participer à son assemblée annuelle quand celle-ci avait un statut de banque privée (jusqu'en 1945) et comptait 40.000 actionnaires.

Plus près de nous, et tout aussi mythique, il y a eu l'ISF (impôt sur la fortune) et ses «ploutocrates», avant la transformation (2017) en IFI, impôt sur la fortune immobilière. L'ISF était acquitté par 350.000 personnes, grosso modo 1 % des 38 millions de «foyers fiscaux», alors que l'IFI touche 120.000 contribuables.

Avec le «nouveau monde» de la macronie, un concept tout neuf a surgi: les «20 %», soit «les deux déciles supérieurs en revenus» de la population. Ils regroupent 7,6 millions de «foyers fiscaux», un peu plus de 13 millions de gens en incluant les enfants (dans une France de 67 millions d'habitants, selon l'Insee).

Avec le «nouveau monde» de la macronie, un concept tout neuf a surgi : les «20 %», soit «les deux déciles supérieurs en revenus» de la population.

Il s'agit d'un concept fondateur, apparu pendant la campagne présidentielle 2017, quand le candidat Macron a annoncé tout à trac qu'il supprimerait la taxe d'habitation pour 80 % des ménages. Promesse tenue, laquelle se réalisera en trois étapes de 2018 à 2020. Depuis lors, le président de la République, considérant qu'«un mauvais impôt l'est pour tout le monde et pas seulement pour 80 %», a déclaré à plusieurs reprises son intention de supprimer la TH pour toutes les résidences principales en 2020. Mais rien n'a été acté à ce jour.

Seule certitude, la coupure entre les 80 % et les 20 %, qui relève du grand principe politique «diviser pour régner», reste bien ancrée dans les esprits. Précisons que, pour faire partie des 20 %, il faut disposer d'un revenu annuel de 49 350 euros, selon l'Insee (revenu disponible de la famille, y compris prestations sociales et après versement des impôts directs). Soit environ 4000 euros par mois. C'est le niveau à partir duquel «on est riche», avait décrété il y a une dizaine d'années François Hollande, contribuant à affaiblir la campagne présidentielle 2007 de sa compagne socialiste Ségolène Royal: l'électorat des cadres a compris qu'il avait du souci à se faire en matière fiscale.

On ne parle plus vraiment de «riches», mais des «plus aisés», formule délicieusement surannée évoquant «le charme discret de la bourgeoisie»

Définir le seuil d'entrée dans le royaume des riches est certes une vaine querelle. Si l'ISF a été un point de fixation sur les ronds-points, le sort des «20 %» n'a pas la même charge symbolique, même si «les métropoles, leurs beaux quartiers et les voitures de luxe» attisent les ressentiments. D'ailleurs, on ne parle plus vraiment de «riches», mais des «plus aisés», formule délicieusement surannée évoquant «le charme discret de la bourgeoisie». Il ne faut pourtant pas s'y tromper, les «20 %» - le «1 %» supérieur inclus - représentent au total 41,7 % de l'ensemble des revenus disponibles des Français. C'est une assiette fiscale considérable qu'il est tentant de braquer, comme on dit d'une agence bancaire.

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Déshabiller les 20 % pour rhabiller les 80 % serait potentiellement rentable pour les finances publiques et politiquement populaire en termes de voix. Les membres du gouvernement ont multiplié les suggestions dans ce sens ces dernières semaines: remise en cause des «niches fiscales» en fonction des ressources (Darmanin), taxation des plus-values sur la résidence principale (Le Maire) et, dans le genre lyrique, «il faut un acte II social du quinquennat» (Schiappa). Quant à LREM, le parti du président, il préconise entre autres un durcissement de l'IFI, un plafonnement des indemnités chômage pour les cadres, une indexation des retraites sur l'inflation pour les faibles revenus exclusivement, etc.

La cacophonie est à son comble et on réinvente la roue. Ainsi Jacqueline Gourault, la ministre de la Cohésion des territoires, a-t-elle suggéré que «tout le monde devrait payer l'impôt sur le revenu», fût-ce de façon symbolique. Elle oublie que c'est déjà le cas: «tout le monde» acquitte la CSG, qui est un impôt direct dès le premier euro de revenu (à l'exception de 11 % des Français les plus pauvres, disposition sur laquelle il est exclu de revenir).

Le grand débat ne fait qu'ajouter au bricolage des dix-huit mois précédents.

Le vice inhérent au «grand débat» est d'avancer des propositions ponctuelles sans aucun souci de cohérence. «Les recommandations de créer de nouvelles tranches supérieures de l'impôt sur le revenu n'ont pas de sens si on ne remet pas simultanément en question la flat tax sur les revenus financiers, car cela reviendrait à alourdir l'imposition des seuls salaires», observe l'économiste et ancien député PS Pierre-Alain Muet, auteur du livre Un impôt juste, c'est possible!. De même, Gérald Darmanin , le ministre des Comptes publics, s'interroge aujourd'hui sur les niches fiscales, alors qu'à l'automne 2017, quand il a instauré la flat tax, c'était l'occasion ou jamais d'y songer, ce dont il s'est dispensé.

Le grand débat ne fait qu'ajouter au bricolage des dix-huit mois précédents. «Plus personne ne comprend la différence entre impôt et cotisation», regrette (dans un entretien au Monde) Jean Pisani-Ferry, conseiller économique du candidat Macron pendant la campagne 2017. Il fait allusion à la suppression des cotisations d'assurance-chômage des salariés remplacées par une hausse de la CSG, qui est un impôt (ne donnant droit à aucune contrepartie personnelle), sans qu'on en ait tiré les conséquences sur les indemnités chômage! Et il note que «les 20 % juste en dessous des 1 % les plus riches» sont les grands perdants des changements mis en œuvre depuis mai 2017 .

Pour sa part, Emmanuel Macron, lors de ses «one-man-shows» du grand débat, se dit «plutôt favorable (sic) pour réduire le niveau de fiscalité». Propos très vague qui a trait à la pression fiscale globale mais n'exclut nullement un jeu d'accordéon aux dépens des «20 %». Le président pense qu'«on ne sort de l'ambiguïté qu'à son détriment», selon la formule célèbre (cardinal de Retz), qui est la plaie de nos mœurs politiques, d'hier et d'aujourd'hui.

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