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SORTIE DE CRISE… OU PAS: Pourquoi l’injection d’une dose de démocratie directe laissera autant de citoyens orphelins que la démocratie représentative

 

© LUCAS BARIOULET / AFP

 

Atlantico le 07 février 2019 par  Jérôme Fourquet, Jean-Sébastien Ferjou

 

Jérôme Fourquet est directeur du Département opinion publique à l’Ifop.
Jean-Sébastien Ferjou est l'un des fondateurs d'Atlantico dont il est aussi le directeur de la publication. Il a notamment travaillé à LCI, pour TF1 et fait de la production télévisuelle. Voir sa bio

 

Atlantico : Dans un sondage IFOP pour Valeurs Actuelles, 77% des Français se disent favorables au Référendum d'initiative populaire. Si ce dernier venait à être adopté, ils se déclarent à 85% favorables à l'alignement des pensions de retraite de la fonction publique et du privé, mais aussi à 55% pour le rétablissement de la peine de mort ou à 55% pour l'autorisation de l'usage récréatif du cannabis. Il faut noter l'important absentéisme sur ces questions, avec des pourcentage de participation dépassant rarement les 60%. Entre désintérêt pour la politique et élan pour une démocratie plus participative, que veulent vraiment les Français ?  

Jérôme Fourquet : On voit avec le mouvement des Gilets Jaunes qu'il y a un déficit démocratique, nos concitoyens réclament d'être plus consultés, mais aussi de proposer eux-mêmes un certain nombre de mesures et de les soumettre au vote. En somme, ne plus être dans un système de dénégation totale avec la démocratie représentative, modèle de plus en plus contesté. Ce qui vient spontanément à l'esprit quand on réclame plus de démocratie directe, c'est le fameux RIC (référendum d'initiative citoyenne). Néanmoins nous vivons dans une société très diversifiée et hétérogène, quand on dit que les français veulent plus de démocratie, on résonne de manière globalisante, il suffit de regarder les réclamations (pour le référendum) pour se rendre compte qu'elles sont très diverses. Il faut donc articuler ces demandes avec l'intérêt général de la société, car tous les français ne souhaitent pas être consultés sur les mêmes sujets. En fonction des thématiques, différents segments de la population s'y intéressent. On changerait de paradigme si le recours au référendum devenait plus fréquent,  on passerait d'une démocratie représentative à une démocratie hybride. Le changement pourrait s'opérer sur l'agenda politique, avec le surgissement de certaines réformes qui ne pourraient être actées sans un large soutien du peuple. Mais comme dit plus haut, les demandes des Gilets Jaunes sont parfois très éloignées, par exemple la légalisation du cannabis et le maintien de l'interdiction de la PMA.

Jean-Sébastien Ferjou : Nous sommes face à ce qu'on pourrait appeler le "syndrome de 2005" (mais qui dépasse de loin la question européenne) : il s'agit pour les Français d'obtenir les moyens politiques et institutionnels qui leur permettraient de traduire leur Non ou leur opposition à une direction politique en actes concrets. Cela fait 25 ans qu’ils votent sur la fracture sociale, ou pour sa réduction et qu’on ne leur propose ou oppose que la politique du cercle de la raison et l’impératif moral vicié du « il faut s’adapter ». Qu’ils refusent l’accueil de plus d’immigrés ou la concurrence déloyale liée à des traités de libre-échange ou des traités de l'OMC mal respectés, ne change rien.
Le RIC, c’est aussi ça. C’est demander de pouvoir remettre son nez dans le cours des choses au milieu d’un quinquennat, dans la mesure où, quels que soient les programmes ou les promesses sur lesquels ils ont voté, c’est le camp de la raison qui l’emporte. C’est ce que montre Barbara Stiegler dans son livre sur le dogme du « Il faut s’adapter ». 
Pire en France : le camp de la raison semble être marié à celui de l’inertie : par exemple, on veut bien respecter (ou faire semblant de respecter) les 3%, mais pas baisser les dépenses publiques. Du coup, tout le monde est mécontent, Alain Minc comme Mélenchon .

Les revendications les plus soutenues par les Français dans le sondage de l'IFOP sont cependant concrètes : peine de mort, PMA etc. ... Le gouvernement doit-il prendre en compte ces revendications ?  

Jérôme Fourquet : En effet, les partisans de la démocratie représentative jugent que le référendum est un outil très dangereux, qu'il peut mener à une dérive populiste. Ces propositions contreviennent avec les idées du gouvernement, et, selon eux, avec les valeurs de notre société. Typiquement sur le sujet de la peine de mort, la France est tenue par des conventions internationales qui rendent impossible juridiquement un retour en arrière. Il ne faut pas rouvrir la boite de Pandore, la généralisation du RIC pourrait mener à des dérives. Dans le même temps, Emmanuel Macron a compris que pour retrouver un certain crédit, il faut que le grand débat débouche sur des décisions fortes. Elles peuvent être misent en place soit par décision gouvernementale, soit par référendum populaire. Cependant l'intérêt du président n'est pas d'aller dans le sens de l'opinion pour toutes les propositions. De plus, tout référendum ne suffirait pas forcément à baisser l'engouement populaire autour des Gilets Jaunes, cela suffirait-il à étancher la soif de démocratie directe de nos concitoyens ? Enfin faut-il déjà proposer au RIC des sujets qui intéressent les Français.

Jean-Sébastien Ferjou : L’égalité public/privé, la peine de mort, l’ISF etc... sont plus des demandes de l’ordre du symbole, de l’incarnation d’une direction globale (égalité fiscale ou salariale, fin du laxisme, etc...) que des revendications en tant que telles. Car toutes les autres réponses visant à introduire plus de démocratie directe ne pourront avoir qu’une portée limitée. De toute façon, au mieux, elles seront superficielles et factices. 

Jamais un gouvernement ne lâchera réellement sur le RIC, et à juste titre, car s’il le faisait vraiment, notamment sur le droit de révocation, ça serait la fin de la démocratie représentative. 


En laissant entendre qu’il pourrait rentrer dans cette logique, Emmanuel Macron se tire une balle dans le pied et nous en tire une à tous.
Si l’habileté lui permet de consolider son socle électoral et de remobiliser ceux qui croient à la raison ou que les dérives extrémistes effraient, sur le fond de la crise politique il ne fait rien, ou en tout cas rien qui puisse renforcer, refonder, ressourcer la démocratie représentative et le socle sociologique et politique dont elle a besoin. La France n’est plus faite que de minorités. Personne n’essaie véritablement de reconstruire la possibilité de majorité politique et sociologique, c’est-à-dire de majorités qui soient des creusets faisant vivre ensemble des gens ayant potentiellement des intérêts divergents. En l’état, on voit des forces politiques qui au mieux mobilisent des électorats très homogènes. Et on voit bien que les stratégies électorales, de manière assez fatalistes ou cyniques, jouent de plus en plus sur les différentiels de mobilisation et se contentent de viser des majorités dans les urnes somme toutes très relatives si on les ramène à leur poids réel dans le pays, tant tout cela se fait au prix d’une abstention élevée ou de la sur-mobilisation d'électorats qui sont somme toute peu représentatifs si les autres électorats sont absents (les seniors, les Social Justice Warriors ou à l’inverse les très conservateurs, les écolos radicaux, les super intégrés au système, etc...). 

Si ce n'est pas la démocratie directe qui permettrait de répondre aux attentes des Français, quelle alternative existe-t-il ? 

Jean-Sébastien Ferjou : Rien n’est fait pour que le Parlement joue son rôle de contrôle et de contre-pouvoir objectif à l’exécutif, même lorsque les majorités présidentielles et parlementaires se superposent. Rien non plus n’est fait pour retrouver des partis ayant une chance de redevenir des partis de masse. Idem du côté de la démocratie sociale et des syndicats. 


Dans les régimes présidentiels comme aux États-Unis, le congrès exerce un vrai rôle sur la direction du pays, même lorsqu’il partage la couleur politique du locataire de la Maison-Blanche. Dans les régimes parlementaires, comment Royaume-Uni le parti majoritaire contrôle de près ce que fait le Premier ministre. Et dans les pays à la culture du consensus et de la coalition, comme en Allemagne, la négociation de projet de gouvernement précis fait que la possibilité d’enfumer les électeurs par rapport aux promesses initiales est bien moindre. 
Le sondage montre que les Français restent allergiques au bulletin de vote. Car un grand nombre d’entre eux sont des orphelins de la politique. Aucun parti ni aucun projet ne leur convient vraiment et le vote est devenu pour beaucoup et depuis près de 25 ans, l’arbitrage entre du pire et du moins mauvais. 


Il est vrai que supprimer des parlementaires émasculés et réduits au rang de chair à canon de plateaux télé peut avoir un sens en termes de "cost-killing" si on verse dans le cynisme. Leur donner un rôle à à hauteur de ce que la démocratie mérite serait bien plus ambitieux, mais il est vrai bien plus inconfortable aussi pour les petits marquis qui peuplent les bureaux de l’Elysée, toutes mandatures confondues. Et ne parlons pas de la technostructure qui ne voient pas au nom de quoi des non-experts pourraient prétendre détenir la moindre légitimité intellectuelle pour prendre des décisions même lorsque l’élection leur a conféré la légitimité populaire.