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Réseaux, Sarah Knafo, cathos tradis... "Le Radicalisé", le livre évènement sur Eric Zemmour

Par Étienne Girard
21-27 minutes

Dans les milieux politiques, Eric Zemmour fascine. Dans les milieux financiers, il intéresse. Les cercles catholiques ultras et influents l'adulent. Comment ce garçon timide d'origine modeste est-il devenu le nouveau héraut des "grands remplacés" et un probable candidat à l'élection présidentielle ? Ci-dessous, les bonnes feuilles de l'ouvrage "Le Radicalisé" (Seuil), par Etienne Girard, en exclusivité pour L'Express. 

Le déclencheur Knafo

La réflexion revient souvent. Ses proches, qui l'ont connu débordant d'enthousiasme, ont la surprise de l'entendre soudain traîner un léger spleen en évoquant ses émissions. "Je l'ai trop fait..." Auprès de son éditrice Lise Boëll, il s'interroge comme jamais auparavant : "Qu'est-ce qui peut me faire vibrer ?" Pas les élections européennes, en tout cas. En 2019, il a refusé trois propositions pour s'y présenter. Pas question de perdre son statut parisien pour aller voter des amendements sur les quotas de pêche à Strasbourg. 

La présidentielle, c'est autre chose. Elle demeure la seule élection qui intéresse les Français. Y figurer permet d'entrevoir la possibilité d'un destin, de figurer dans les livres d'histoire. Pour Zemmour, qui a été toute sa vie le scribe des aventures des autres, le rejeton maudit de l'élite, lui qui ne s'est jamais totalement remis de son échec à l'ENA, quelle revanche cela constituerait ! [...] Caresser l'idée semble toutefois lui suffire, car l'essayiste n'ignore pas les risques d'une telle entreprise. Dès qu'il se projette un tantinet, les obstacles paraissent trop nombreux. Patrick Buisson, qui a pourtant tenté de le convaincre de s'engager pour les européennes, fait désormais partie de ceux qui le découragent. "Relis la Bible, répète l'ex-conseiller de Nicolas Sarkozy. Un prophète ne peut pas être roi." Parfois, il suffit d'une personne pour dérégler un équilibre subtil, pour envoyer valdinguer un programme calibré. Dans la vie d'Eric Zemmour, ce grain de sable s'appelle Sarah Knafo. Ils se connaissent depuis 2007. Sarah Knafo a 13 ans, son père est un ami d'"Eric", qu'elle surnomme parfois "Z". Trente-cinq ans les séparent. Mêmes origines juives séfarades, même jeunesse en Seine-Saint-Denis, à Pavillon-sous-Bois pour la jeune femme. 

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L'essayiste lui inculque ses idées, lui fait réviser Sciences po avec succès, la pousse à présenter les concours administratifs. Il est le mentor et elle l'apprentie. "Eric, c'est un monstre", juge Sarah, admirative des aptitudes intellectuelles de son pygmalion. A 19 ans, elle indique sur son compte Twitter se considérer "séguiniste et bonapartiste", comme son maître, pose avec Le Père Goriot, de Balzac, le romancier fétiche du journaliste du Figaro. 

A cette époque, Sarah adhère à Critique de la raison européenne, l'association souverainiste de l'IEP de Paris, à l'UNI, le principal syndicat de droite, à l'UMP, tendance musclée. Plusieurs de ses camarades, à qui elle parle de son lien privilégié avec le chroniqueur, comprennent qu'il s'agit d'un oncle, un bruit qu'elle se garde bien de réfuter clairement. Un jour que l'étudiante fait mine d'abandonner la préparation de l'ENA, "Z" la sermonne : "Tu ne vas pas faire ta crise d'adolescence maintenant !" Elle doit réussir là où il a échoué. Elle y parvient du deuxième coup, en 2016. Pendant l'examen, par souci de discrétion, elle a momentanément changé son nom sur Facebook, pour Sarah de Rubempré. Un hommage au héros balzacien qui obsède Zemmour, jusqu'à nommer ainsi sa maison d'édition à l'été 2021. 

[...] Deux ans plus tard, quand elle sort de l'école pour rejoindre la Cour des comptes, un grand corps de l'Etat, son parrain en est subjugué. Sa protégée incarne la relève qu'il a toujours attendue. "Il y avait quelque chose de filial, puis notre relation s'est équilibrée", affirme souvent Sarah Knafo. Peu à peu, elle s'impose comme sa conseillère en lui préparant des notes chiffrées envoyées par e-mail avant ses émissions, ou en donnant son avis sur ses choix de carrière. 

[...] Sarah rêve d'une candidature souverainiste de droite à la présidentielle. Elle aussi exècre Marine Le Pen, encore plus depuis qu'elle a découvert son compte Instagram dédié à ses chats. "Elle n'est pas habitée par la fonction présidentielle, elle n'est pas faite pour ça", en conclut l'énarque devant des amis. Le désir latent d'Eric Zemmour rencontre son énergie. A ses côtés, l'essayiste trouve peu à peu le culot de revendiquer un rôle qui n'a jamais été le sien. Surtout lorsque sa partenaire le provoque, avec toute l'insolence que son âge permet. "Tu ne penses pas que Natacha Polony serait une meilleure candidate que toi ?" lui fait-elle, un jour de juin 2019 au Bonaparte, le café qu'ils fréquentent à Saint-Germain-des-Prés. Zemmour bondit : "C'est n'importe quoi, moi je vais cliver la société sur l'islam et l'immigration, pas comme ces souverainistes de gauche !" 

[...] Peu à peu, les résistances de Zemmour commencent à lâcher. [...] Lorsque, début 2021, une palanquée de trentenaires issus des réseaux de Philippe de Villiers et Christine Boutin vient le trouver pour se mettre à son service, le journaliste est mûr. Lors de la première réunion d'une douzaine de ses soutiens, le 6 avril, au domicile de Sarah Knafo, rue des Saints-Pères, à deux pas de Sciences po, il se dévoile, autour de parts de pizzas. "Je fais ma mue, et c'est grâce à vous que je vais faire ma mue", commence-t-il. Interrogé sur le sens de cette candidature, alors qu'il bénéficie d'un grand confort matériel dans sa vie d'éditorialiste, l'essayiste se lance : "J'y vais, parce que je suis fou." La phrase que tous attendaient pour y croire. [...] 

Le 14 juillet, il réunit discrètement pour la première fois une cinquantaine de ses soutiens, leveurs de fonds, militants de Génération Z, un mouvement de jeunesse qui vient d'être créé, conseillers de l'ombre, à l'Espace Molitor, une salle de réception du XVIe arrondissement de Paris. Il y a un buffet, on passe de la musique, mais, avant, Eric Zemmour délivre son premier discours devant ses troupes. Il n'annonce pas formellement sa candidature, mais personne n'en doute plus. "Les élites intellectuelles ont perdu l'esprit de résistance, clame-t-il. Il faut que vous vous prépariez à devenir cette élite patriote. Nous serons sans doute les seuls à être contre le système." Théâtral, l'essayiste annonce la bataille de toutes les batailles : "Préparez-vous à la tempête." 

La plupart des militants en sortent rassérénés, mais certains cadres ont noté qu'avant et après l'allocution, Zemmour est resté auprès de Sarah Knafo, ne bavardant qu'avec les personnes qu'elle lui présentait. Il n'a pas fait le tour de la salle pour discuter avec ses soutiens, dont certains le rencontrent pour la première fois. Un impair diplomatique sans conséquence quand on est journaliste, plus problématique venant d'un futur candidat à la présidentielle. En rentrant chez lui, un des participants se rend compte de la progression qu'il reste à accomplir pour faire de ce projet de bric et de broc une candidature crédible aux plus hautes fonctions : "Cette campagne, cela peut devenir quelque chose d'énorme ou cela peut devenir quelque chose de terrible." Cette source ne sait pas ce que dit alors Philippe de Villiers à plusieurs de ses interlocuteurs. L'ancien député européen d'extrême droite, ami d'Eric Zemmour, se tient en marge de l'initiative. Il a remarqué la mainmise de Sarah Knafo sur le dispositif, y voit un vice rédhibitoire : "Ils se fascinent l'un l'autre. Ça finira mal." 

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Le radicalisé, par Etienne Girard, aux Editions du Seuil (octobre 2021)

Seuil

Les réseaux

Réunification au restaurant libanais. Ce vendredi 2 juillet 2021, un bataillon de 23 personnes s'engouffre dans une taverne du XVe arrondissement de Paris, spécialisée dans les mets du pays du Cèdre. Autour de la table, il y a une ancienne candidate à l'élection présidentielle, Christine Boutin, 1,19 % des voix en 2002, un ex-postulant à la primaire de la droite en 2016, Jean-Frédéric Poisson, 1,45 % des suffrages. Et Eric Zemmour. L'objectif de ce déjeuner est de sceller une alliance entre Via, le nouveau nom du Parti chrétien-démocrate, fondé en 2001 par l'égérie des catholiques conservateurs, et les réseaux du polémiste, en vue de la présidentielle. Le moment a quelque chose d'un Yalta de la droite hors les murs. On se jauge, on se dévisage discrètement, mais l'ambiance reste conviviale. Poisson, le président de Via, a fait venir 15 membres de son bureau politique, parmi lesquels Paul-Marie Coûteaux, un des meilleurs amis du journaliste du Figaro, et François Martin, le président de l'association des anciens de HEC actifs dans la géostratégie. Zemmour a convoqué son comité exécutif, sorte de conseil restreint de ses six conseillers les plus importants, dont l'incontournable Sarah Knafo. 

Dans le grand partage envisagé, Eric Zemmour a vocation à devenir le candidat de l'alliance à la présidentielle, tandis que Jean-Frédéric Poisson est pressenti pour devenir le patron de la commission d'investiture aux législatives. Autant dire le grand organisateur du futur mouvement. Ainsi, le christianisme politique se retrouvera au coeur de cette nouvelle droite que Zemmour veut bâtir. [...] 

La plupart des conjurés s'en cachent à peine : la candidature Zemmour, quoi qu'il advienne, doit être l'occasion de purger à la fois le problème Les Républicains, trop mous, et le péril Marine Le Pen, qui vampirise 20 % des voix au premier tour tout en paraissant incapable de s'imposer au second. Dans le scénario où le journaliste du Figaro ne l'emporterait pas en 2022, cette aventure doit au moins permettre de faire perdre la présidente du Rassemblement national, pour reconstruire ensuite un mouvement conservateur plus proche de leurs valeurs. "Soit on sauve la France, soit on sauve la droite", résume parfois Antoine Diers. [...]  

Dans le plus grand secret, le journaliste bénéficie aussi des conseils de personnalités de premier plan, séduites par son profil intello et ses idées sur l'immigration. De potentiels ministres en puissance. Depuis que Paul-Marie Coûteaux les a présentés, dans un restaurant du boulevard Saint-Germain, en mars 2019, Zemmour s'est beaucoup rapproché de Pierre Brochand, directeur de la DGSE, les services secrets français, entre 2002 et 2008. "On échange quasi quotidiennement", reconnaît l'éditorialiste de CNews quand nous l'interrogeons, en septembre 2021. Le maître espion né en 1941, ancien ambassadeur de France en Hongrie, en Israël ou au Portugal, est persuadé que l'immigration incontrôlée peut "remettre en cause la paix civile", c'est-à-dire provoquer la guerre civile, comme il l'a expliqué à une table ronde de la fondation Res Publica, en juillet 2019. Lorsque nous lui demandons par SMS s'il rédige des notes sur l'immigration, la sécurité ou la géopolitique pour Eric Zemmour, Pierre Brochand nous envoie un lien de son intervention à Res Publica, avec le commentaire suivant : "Pas vraiment nécessaire de rédiger des notes." Zemmour confirme aussi correspondre régulièrement sur sa possible candidature avec Henri Proglio, l'ancien PDG de Veolia et d'EDF. "Ils se sont rencontrés cette année et se sont tout de suite très bien entendus", ajoute leur ami commun Loïk Le Floch-Prigent. Le grand patron s'est déjà rendu rue des Saints-Pères. Il s'agit là en quelque sorte d'un retour aux sources pour l'industriel, animateur non encarté du Groupement de recherche et d'études pour la civilisation européenne (Grece), un groupe de pensée d'extrême droite, à HEC à la fin des années 1960, puis participant occasionnel aux premières réunions du Club de l'Horloge, un cercle de hauts cadres militant pour l'union des droites, à partir de 1974. 

Groupies tradis

Pour se rendre au lieu de rendez-vous, Eric Zemmour a choisi de remonter la rue Athénas, une perpendiculaire à la rue Voltaire, où se trouve la librairie Dobrée, dans le centre de Nantes. Ce 10 décembre 2014, le polémiste y donne une dédicace de son dernier livre, Le Suicide français. Itinéraire délicieux, puisque le journaliste peut découvrir, de loin, la longue file d'attente qui serpente sur le trottoir. Une centaine d'admirateurs l'attendent. Sur son passage, chacun se retourne, des dames âgées saluent leur héros, plusieurs cris d'encouragement retentissent. "Bravo, Eric !" lancent deux hommes aux tempes grises près de l'entrée, en applaudissant. L'ovation se répand immédiatement dans la queue. Cette arrivée ressemble à un triomphe. 

Personne, et pas même les caméras de France 2 venues couvrir l'événement, n'a prêté attention au jeune homme en costume qui escorte l'écrivain. A 29 ans, François-Xavier d'Hautefeuille dirige les éditions Diffusion de la pensée française, mieux connues sous le nom de Chiré. Créée en 1966 par son beau-père Jean Auguy, cette société est considérée par le chercheur Jean-Yves Camus comme "le plus important diffuseur par correspondance d'extrême droite en Europe". Véritable institution dans les réseaux catholiques traditionalistes, elle revendique une ligne "contre-révolutionnaire", c'est-à-dire opposée à la doctrine des Lumières et aux droits de l'homme, assume d'Hautefeuille. Dans le sillage de Charles Maurras, le fondateur de l'Action française, maître à penser absolu du groupe, Chiré relaye par exemple la thèse d'un complot franc-maçon à l'origine de la Révolution de 1789, sur lequel l'abbé Augustin Barruel a écrit un pavé de 1 200 pages. 

L'éditeur se veut surtout particulièrement friand de signatures obsédées par les juifs, au point que René Monzat, auteur avec Jean-Yves Camus d'une longue enquête sur les droites nationales et radicales, a vu dans l'entreprise un "trait d'union entre la droite antisémite des années 1930 et la montée du Front national". Sur son site Internet, on retrouve la plupart des livres de Robert Faurisson, l'universitaire condamné pour négationnisme, ceux de Pierre Pascal, inspecteur général à la radio du gouvernement de Vichy, ou encore, pour 8 euros, Les Juifs maîtres du monde, un recueil de textes commenté par l'essayiste Léon de Poncins, dont la couverture montre un homme au nez crochu. [...] 

Cette excursion dans une des places fortes de la France "catho tradi" n'a rien d'un hasard. Pour cet opus, son premier livre original depuis son exclusion d'On n'est pas couché, Eric Zemmour s'est adjoint les services d'une nouvelle attachée de presse, chargée de faire rencontrer un nouveau public à l'auteur. Pas n'importe lequel. Isabelle Muller dispose de puissants réseaux, tout particulièrement chez les catholiques les plus à droite. En 1998, cette fervente croyante aux pommettes saillantes, toujours apprêtée, se fait connaître en coordonnant une pétition de maires contre le Contrat d'union sociale (CUS), l'ancêtre du Pacs. En parallèle, elle exerce des fonctions de vice-présidente de l'Association pour la promotion de la famille (APPF), fondée en 1994 par deux responsables de l'Opus Dei, une organisation rattachée au Vatican, missionnée pour défendre les intérêts de l'Eglise. Isabelle Muller va devenir la communicante attitrée en France de l'association, connue pour entretenir le secret sur l'identité de certains de ses membres haut placés. [...] Dans les années 2000, elle se rapproche naturellement de Philippe de Villiers, le fondateur du Mouvement pour la France, qui en fait sa principale conseillère pour la communication. Le gérant de parc d'attractions la recommandera vivement auprès d'Eric Zemmour : "Prends-la, c'est la meilleure." [...] De nombreuses conférences, sur ce modèle hybride dont Eric Zemmour raffole, mêlant dédicace, exposé et questions-réponses, sont organisées un peu partout sur le territoire. Chaque fois, Isabelle Muller s'en occupe. "J'ai choisi les déplacements en fonction des gens que je connaissais, de mon réseau, des salles", nous confirme-t-elle. [...] A Bordeaux, le 5 mai 2015, Eric Zemmour devise devant plus de 500 personnes à l'Athénée, le centre de conférences situé à deux pas de l'hôtel de ville. [...] Comme une rock star aux petits soins avec ses fans, le journaliste est allé leur délivrer un message d'amitié sur le parvis, derrière les barrières de sécurité. Personne ne s'interroge sur le sexagénaire au physique de sosie de Claude Guéant qui lui posait des questions sur la scène. Bernard Pascaud dispose pourtant d'une petite notoriété. [...] Ce militant monarchiste est le président de Restauration nationale, un mouvement fondé en 1955 sur les cendres de... l'Action française, le parti de Charles Maurras, royaliste et xénophobe, connu pour avoir fomenté une tentative de coup d'Etat, le 6 février 1934. [...] Eric Zemmour sait faire rosir de plaisir son nouveau public. Dans ses conférences, qu'il anime devant une assemblée toujours plus fournie, il aime à répéter cette phrase qu'il attribue à Chateaubriand : "Vous détruisez le christianisme, vous aurez l'islam." Lors d'une conférence au Chesnay, dans les Yvelines, le 15 avril 2015, le voilà interrogé par l'abbé Pierre Amar, prêtre du diocèse de Versailles, très actif dans le mouvement de la Manif pour tous. "Il me manque, dans ce que vous dites, une dimension verticale, spirituelle, qu'en pensez-vous ?" demande l'ecclésiastique. Le journaliste opine : "On est passé à l'hostilité absolument délétère au christianisme. On est passé à la négation de la culture chrétienne de la France. Nous avons remplacé une authentique religion et spiritualité de haut vol par un millénarisme post-chrétien droit-de-l'hommiste qui est absolument de bas niveau. Sur ces ruines naît l'anarchie, l'anomie." La salle n'en finit plus d'applaudir. Ce soir-là, la rencontre est animée par Jean-Marie Le Mené, un militaire devenu magistrat à la Cour des comptes, par ailleurs président de la fondation Jérôme-Lejeune, opposée à l'avortement, et membre de l'Académie pontificale pour la vie, qui dépend du Vatican. Lui aussi est un proche d'Isabelle Muller, qui collabore souvent à la revue de la fondation. 

Viré de l'Interallié

"Je vous adresse tout mon mépris". Ce 8 mai 2019, Eric Zemmour éructe. On vient de l'humilier sévèrement, et tout cela pour une affaire de slip de bain. "J'ai dû lui expliquer que son attitude ne correspondait pas aux codes du Cercle de l'Union interalliée", nous raconte Denis de Kergorlay, le président de ce club huppé situé rue du Faubourg-Saint-Honoré, à une minute de l'Elysée. Pendant deux ans, le polémiste a tenté d'intégrer ce saint des saints de la bourgeoisie parisienne, fondé par le maréchal Foch en 1917. [...] En mai 2017, il fait acte de candidature [...]. Le jury qui l'auditionne est emballé, mais Denis de Kergorlay souhaite mettre à l'épreuve l'impétrant. Il lui propose de donner une conférence dans les locaux de l'Interalliée, une prestation qui ouvre droit à six mois d'accès aux installations du club, ses magnifiques salons du XVIIe siècle, avec bibliothèque de 15 000 livres, moulures, plafond haut et tableaux de maître, son superbe jardin à la française, mais aussi ses équipements sportifs. Eric Zemmour adorerait en bénéficier. Depuis quelques années, il a pris l'habitude de nager tous les matins. La piscine couverte du complexe, refaite en 2010 et équipée de saunas, de jacuzzis ainsi que de hammams, fait se pâmer le Tout-Paris. Surtout, elle se trouve à huit minutes à pied de son domicile. Le rêve. Le journaliste tope pour la conférence, qui doit être consacrée aux six premiers mois de la présidence Macron. 

[...] L'annonce de l'adhésion imminente du polémiste, tapissée sur les murs des vestiaires de la piscine et au bar, comme le veut le règlement, suscite une première fronde. Charles-Henri Filippi, l'ex-patron de HSBC France, désormais associé-gérant chez Lazard, accompagné d'un grand diplomate en exercice, démarche Denis de Kergorlay pour faire annuler la procédure. "Il n'a pas l'esprit Interalliée", soutiennent-ils. Les deux parrains de l'éditorialiste, introducteurs statutaires sans qui aucune candidature n'est possible, se rétractent. 

S'ouvre alors une période de méli-mélo typique du monde si feutré des clubs parisiens. Le président décide de temporiser. Il a pris en sympathie le salarié du Figaro, qu'il croise plusieurs fois par semaine dans les locaux du club. Ne fait-il pas partie, après tout, des intellectuels français en vue ? Il le laisse dépasser le stade des six mois sans rien dire. Kergorlay lui cherche en parallèle deux nouveaux parrains, à trouver parmi les adhérents qui apprécient l'oeuvre du journaliste. Renaud Girard, le chroniqueur géopolitique du Figaro, et Alexandre Orlov, l'ex-ambassadeur de Russie en France, acceptent la mission. Le premier par amitié pour son collègue, le second parce qu'il partage largement la vision de la France de l'essayiste. Seulement, entre-temps, Eric Zemmour s'est mal comporté. Un adhérent s'est plaint de ses exposés politiques dans les vestiaires. Pendant que tel ou tel haut fonctionnaire se relaxe, il débat à voix haute, n'hésite pas à invectiver ses interlocuteurs comme on le ferait sur un plateau de télévision. "Eric Zemmour a fait du prosélytisme dans les vestiaires, un membre du club s'est plaint", nous confirme Denis de Kergorlay. 

[...] Cette fois, plus de doute possible, Zemmour n'a pas sa place, conclut le président du Cercle de l'Union interalliée. [...] Il envoie un SMS à l'intéressé pour lui faire part de la décision définitive du club, confirmée par un comité de direction. L'accès à la piscine devra naturellement lui être retiré. Zemmour répond immédiatement, furieux : "Je ne suis pas déçu mais écoeuré. Je n'ai jamais eu l'intention de transformer le Cercle Interallié en foire d'empoigne. J'ai toujours été discret et réservé dans les locaux du Cercle. Je considère que vous êtes le premier responsable de cet échec", explose-t-il. S'ensuit un développement menaçant empli d'une rage froide. "Quant à mes adversaires, ils incarnent exactement ce que disait le général de Gaulle à Peyrefitte sur la bourgeoisie qui avait choisi Vichy : "Pour pouvoir continuer d'aller dans leurs dîners en ville, ils sont prêts à tout même à sacrifier la patrie." Je vous autorise à leur transmettre mon jugement. En vous disant ce que j'ai sur le coeur, je vous rends le service insigne de croire que vous avez eu bien raison d'écarter un excité. Sachez que vos délibérations soi-disant dignes sont empreintes d'une lâcheté et d'un aveuglement qui vous feront honte dans quelques années". [...] 

Avec le recul, Kergorlay, propriétaire d'un château en Normandie, pense avoir réveillé une blessure pas tout à fait guérie chez le journaliste : "Ce qui l'intéressait à titre principal, c'étaient les équipements sportifs, mais pas seulement. Il y avait quelque chose de plus symbolique derrière." 

Le Radicalisé (Seuil), 224 pages, en librairies le 28 octobre.