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Assurance chômage : le gouvernement s’acharne sur les chômeurs les plus précaires

Le 23 Mai 2024 8 min

Durcissement drastique des conditions d’indemnisation et régime plus sévère pour les moins de 57 ans font partie des nouvelles règles de l’assurance chômage que le gouvernement doit annoncer dans les prochains jours.

 

 

Reportées à cause de la crise néo-calédonienne et de l’assassinat de deux agents pénitentiaires, les nouvelles mesures concernant l’assurance chômage devraient enfin être dévoilées par le Premier ministre en début de semaine prochaine, voire dès ce week-end.

L’annonce d’un nouveau tour de vis ne fait guère de doute. La question est de savoir quels sont les leviers que le gouvernement choisira en définitive d’activer : durée de travail nécessaire pour être indemnisé (6 mois aujourd’hui), période de référence pendant laquelle le demandeur d’emploi doit avoir travaillé (24 mois actuellement), durée maximale d’indemnisation (18 mois pour les chômeurs de moins de 53 ans à ce jour), délai de carence avant de toucher une allocation ou encore révision des règles concernant les seniors…

Pris isolément ou combinés entre eux, ces paramètres auront des conséquences plus ou moins sévères selon les catégories de chômeurs et généreront des économies conséquentes, voire massives. C’est ce que montre un document de travail de l’Unédic diffusé aux partenaires sociaux mais non rendu public.

 

Consultés depuis mercredi 22 mai par la ministre du Travail, Catherine Vautrin, qui les reçoit également ce jeudi, ces derniers n’arrivent donc pas les mains vides. Si le Medef a déclaré soutenir un durcissement de l’assurance chômage, les organisations syndicales s’appuient sur les projections de l’organisme paritaire pour tenter d’infléchir les intentions gouvernementales.

 

8 mois sur 20

Parmi les scénarios évoqués, l’Unédic a ainsi évalué les effets d’un allongement de la durée de travail requise pour percevoir l’allocation de retour à l’emploi (ARE). Et c’est cette piste qui tient la corde, a confirmé François Hommeril, le président de la CFE-CGC (qui représente les cadres), à l’issue de sa rencontre avec la ministre rue de Grenelle, mercredi en fin de matinée. A l’avenir, un demandeur d’emploi devra avoir travaillé 8 mois et non plus 6 pour prétendre à une allocation.

La réforme envisagée mettrait des bâtons dans les roues à toutes celles et ceux qui alternent contrats courts et périodes de chômage

 

Sans surprise, ce durcissement empêche un certain nombre de demandeurs d’emploi d’accéder à une indemnisation, ce qu’a commencé à révéler le rapport intermédiaire d’évaluation de la réforme de 2019-2021. Mais alors que le gouvernement était déjà passé de 4 mois de travail requis dans les derniers 28 mois à 6 mois sur 24 mois, il resserre l’écrou en rétrécissant encore cette période de référence.

Réduite à 20 mois, elle mettra des bâtons dans les roues de toutes celles et ceux qui alternent contrats courts et périodes de chômage. Concrètement, il faudra travailler davantage en continu et éviter les intervalles trop longs et trop nombreux sans activité, sous peine de se voir exclu du système.

La mesure promet d’être drastique. La piste « 8 mois sur 20 » n’a pas été précisément estimée par l’Unédic, mais plusieurs scénarios s’en approchent. Dans l’hypothèse où la durée de travail requise passerait de 6 mois à 7, voire 12 mois, de 11 à 31 % des allocataires verraient leurs droits reportés pour une économie maximale de 2,3 milliards d’euros.

 

« 12 milliards pris sur le dos des chômeurs »

« L’Unédic est en train de calculer un nouveau chiffrage en fonction de ce cas de figure, 8 mois sur 20, mais on estime d’ores et déjà que 15 % des demandeurs d’emploi n’auront plus droit à une indemnisation », pointe Michel Beaugas, en charge du dossier assurance chômage à Force ouvrière.

Et ce changement de règle affecterait particulièrement celles et ceux qui ont déjà été touchés par les précédentes réformes, souligne l’Unédic : les moins de 25 ans, ceux qui ont un salaire journalier de référence faible (inférieur à 1 400 euros brut) et les salariés en CDD ou en mission d’intérim.

« Depuis 2019 et la reprise en main de l’assurance chômage par le gouvernement, la part des demandeurs d’emploi indemnisés est passée de 52 % à 40 %. Toutes ces réformes qui visent à baisser l’indemnisation et à en fermer l’entrée ne sont que pure manipulation budgétaire pour que l’Etat puisse gagner beaucoup d’argent. A l’été 2023, un décret pris en conseil des ministres, sans aucune concertation, lui permet de ponctionner l’Unédic, via une moindre compensation des exonérations de cotisation. En 2027, ce seront 12 milliards qui auront été pris sur le dos des chômeurs », rappelle Michel Beaugas.

Le gouvernement a beau se défendre de vouloir mener cette réforme pour faire des économies, il espère, selon des informations du Parisien, en tirer 3,6 milliards par an. Et d’autres volets devraient compléter le durcissement des conditions d’ouverture de droit.

 

Main lourde sur les seniors

Le sort réservé aux seniors revient ainsi sur la table. C’est d’ailleurs cette partie de la négociation de la convention d’assurance chômage de novembre dernier qui a permis au gouvernement de reprendre une nouvelle fois la main. Dans leur projet d’accord conclu sur le fil, les partenaires sociaux s’étaient engagés à réaliser 400 millions d’économies annuelles en adaptant les règles de l’assurance chômage sur le report de l’âge de départ en retraite de deux ans.

Les chômeurs de moins de 57 ans n’auront plus de régime différencié et seront tous limités à 18 mois d’allocation

Mais ils avaient exigé que l’emploi des seniors fasse partie d’une négociation ultérieure à part entière. Le gouvernement avait dès lors décidé de suspendre sa décision d’agréer la convention d’assurance chômage et de la conditionner à un accord signé entre les partenaires sociaux sur le pacte de la vie au travail. Ces derniers n’ont pas réussi à s’entendre et on connaît la suite. Désormais seul à la barre, l’exécutif impose ses conditions.

Un temps évoqué par le gouvernement, l’alignement de la durée d’indemnisation maximale de tous les seniors sur le droit commun (18 mois) ne semble plus faire partie des discussions. Cette disposition maximaliste aurait eu un impact énorme, selon l’Unédic qui la chiffre à 1,2 milliard d’économie. Mais Catherine Vautrin garde la main lourde pour les moins de 57 ans qui n’auront plus de régime différencié et qui seront tous limités à 18 mois d’allocation. La ministre du Travail supprime en effet les bornes de 53-54 ans (qui bénéficient de 22,5 mois aujourd’hui) et 55-56 ans (27 mois).

« Cette mesure devrait générer au moins 300 millions d’euros d’économie par an », jauge le secrétaire confédéral de FO.

Pour inciter les entreprises à embaucher des seniors, la ministre du Travail a également évoqué la mise en place d’un bonus à la reprise d’activité, une proposition défendue par la CPME, le syndicat patronal des petites entreprises. Les plus de 57 ans qui accepteront un emploi mois bien rémunéré que ce qu’ils percevaient antérieurement recevront un complément de salaire, payé par l’assurance chômage, pendant la durée de leur indemnisation. Ils cumuleront ainsi allocation et salaire mais dans des conditions plus favorables que par le passé.

 

Vers une nouvelle baisse de droits ?

« Non seulement c’est l’Unédic qui paie à la place des employeurs mais au bout du bout, ces salariés vont se retrouver avec un salaire plus bas puisque ce complément ne couvre que la durée d’indemnisation. Sans compter que la retraite est calculée sur ce salaire, pas sur l’ensemble de la rémunération », déplore Michel Beaugas.

Et d’ajouter :

« Avec toutes ces mesures, le gouvernement compte créer 90 000 emplois, mais ce ne sera pas des créations, ce sera juste des emplois plus précaires que certains accepteront de prendre. »

Parmi les autres décisions, la ministre entend étendre à l’ensemble des secteurs d’activité le dispositif de bonus-malus appliqué aux entreprises qui recourent aux contrats courts. Elle devrait enfin renforcer le principe de contracyclicité en vigueur depuis 2023, les règles d’indemnisation étant plus favorables quand la conjoncture se dégrade et plus dures lorsqu’elle s’améliore. La mesure a déjà fait chuter la durée d’indemnisation d’un quart, le taux de chômage étant passé sous les 9 %, seuil de déclenchement de la mesure. Mais dès lors qu’il tomberait sous la barre de 6,5 %, cela provoquerait une nouvelle baisse de droits de 40 %, soit une durée d’indemnisation limitée à 14,5 mois, et une économie supplémentaire de 3 milliards d’euros.

Avec un taux assez stable de 7,5 % pour le premier trimestre 2024 (+ 6 000 chômeurs enregistrés), l’objectif de 6,5 % semble assez lointain. Sauf si la sévérité des mesures décourage un certain nombre de demandeurs d’emploi de s’inscrire à France Travail. Ils viendraient alors grossir les rangs du halo du chômage et dégonfleraient artificiellement les chiffres du chômage. Ce qui autoriserait in fine le gouvernement à procéder à un énième coup de rabot.

Impuissants face à cette nouvelle offensive contre les chômeurs, qui s’appliquera dès le 1er juillet, les syndicats ont soutenu publiquement la proposition de loi du groupe Liot, examinée début juin en commission, qui appelle le gouvernement à empêcher « la réforme de trop ». Sans trop nourrir d’illusion sur ses chances d’aboutir.