Dès lundi 6 novembre à 11h25, les femmes françaises travaillent gratuitement : il est temps d'agir pour l'égalité salariale
De nombreuses mesures sont identifiées pour lutter contre ces inégalités. Il faut les mettre en place d'urgence, appellent les signataires de ce texte, parmi lesquels figurent plusieurs députées de partis de gauche.
Une auxiliaire de vie, dans les Pyrénées-Orientales, en août 2022. (Aline Morcillo /Hans Lucas. AFP)
par Un collectif d'autrices et de député·es de gauche
Ce lundi à partir de 11h25 (1), les femmes commencent à travailler gratuitement jusqu'à la fin de l'année. Pourquoi ? Parce qu'elles sont plus contraintes que les hommes dans leurs choix et la charge domestique, poursuivent davantage de carrières hachées, de temps partiels subis, de métiers précaires et ont de petites retraites. Parce qu'elles gagnent encore en moyenne près de 25 % de moins que les hommes. Pourtant, les solutions sont à portée de main. Il ne manque que la volonté politique au sommet de l’État.
Il paraît d'abord indispensable de réformer notre système fiscal. En matière d'égalité, nos finances publiques ne sont pas neutres. Elles répondent encore à une organisation patriarcale puisque, par exemple, le quotient conjugal à l'imposition pénalise toujours le plus bas salaire d'un foyer, c'est-à-dire en grande majorité celui des femmes.
Pour y répondre il faut faire de l'égaconditionnalité un principe budgétaire. Il est défendu depuis 2016 par le Haut Conseil à l'égalité et conditionne l'attribution de financements publics au respect de l'égalité femmes-hommes. Pourquoi ne pas défendre l'obligation pour les entreprises de l'égalité des salaires et de parité dans les emplois stratégiques sous la menace de sanctions effectives et réelles ? Pourquoi ne pas sanctionner les employeurs qui recourent de manière abusive au temps partiel ? Nous l'avons proposé à plusieurs reprises dans les différents textes de loi depuis 2022. Les refus du gouvernement et de la majorité sont systématiques.
Une autre solution serait d'adopter, à l'échelle locale et surtout nationale, des budgets sensibles au genre. Cela est déjà expérimenté à l'étranger - au Maroc, en Autriche, en Suède... - et à l'échelle locale - Lyon, Strasbourg, Brest... -, mais il faut désormais aller au-delà. L’État devrait donc généraliser ce principe et appliquer le budget sensible au genre à l'ensemble du projet de loi de finances. C'est ce que nous proposons au budget 2024, actuellement examiné à l'Assemblée nationale, mais la multiplication des 49.3 ne laisse, hélas, guère de chances d'en débattre.
Tâches historiquement invisibilisées
Il s'agit aussi de lutter contre la division sexuée de notre marché du travail et de nos foyers. Les congés parentaux doivent être alignés. Dans une société où les pères veulent et doivent jouer leur rôle à part entière, et alors que les mères ont deux fois plus de risques d'interrompre leur activité professionnelle contre seulement un père sur neuf, il est temps de mettre fin à ce déséquilibre.
Le partage des tâches domestiques et parentales doit devenir une perspective politique. C'est un enjeu d'éducation. C'est aussi un défi de prise en compte sociale de l'ensemble de ces tâches historiquement invisibilisées. Quand les femmes sont entrées massivement sur le marché du travail salarié dans les années 1960, les pouvoirs publics ne se sont pas préoccupés de savoir comment allaient être réalisées toutes les tâches domestiques et parentales effectuées par elles gratuitement. En réalité, il aurait fallu anticiper et planifier la socialisation d'un certain nombre de ces activités, en créant par exemple un service public de la petite enfance pour tous les moins de trois ans - plus d'un demi-siècle plus tard, nous n'y sommes toujours pas ! Par ailleurs, la gratuité des tâches historiquement dévolues aux femmes a envoyé le signal selon lequel dès lors qu'il est question de tâches ménagères, de soin, d'éducation des enfants, d'aide aux proches dépendants, ce n'est pas vraiment du travail : il peut donc être sous-payé.
Le Code du travail doit également évoluer et intégrer les conséquences des violences conjugales sur l'emploi, reconnaître les critères de pénibilité des métiers majoritairement exercés par des femmes, et prendre en compte les spécificités de la santé des femmes au travail.
Enfin, il est urgent et nécessaire de revaloriser les métiers féminisés. Dans une société vieillissante et vulnérable, les métiers du lien occupés principalement par les femmes - les «essentielles» - ont nécessairement vocation à se développer : en 2030, presque un million de personnes devraient occuper un emploi d'aide à` domicile par exemple. La revalorisation de ces professions - notamment à travers la hausse du smic qui touche à 60 % des femmes - réduirait les inégalités professionnelles pour préserver le service public du soin, de la santé, de la petite enfance, de l'aide à la personne, face au vieillissement et au bouleversement climatique.
Grève en Islande
En Islande, pays pionnier en matière d'égalité femmes-hommes, les femmes font grève chaque année pour manifester contre l'injustice persistante des inégalités économiques. C'est ainsi que le 24 octobre, la Première ministre Katrin Jakobsdottir a participé à la grève générale avec des dizaines de milliers de femmes pour défendre leur droit à un salaire égal. Il est temps que la France montre la même ténacité. Car se battre pour l'égalité professionnelle, c'est aussi chercher à activer un changement total dans l'organisation des activités humaines en prise avec ce qui compte, c'est-à-dire nos vies, notre bien-être, la biodiversité, notre santé et celle de nos parents et de nos enfants. C'est une révolution économique à même de remettre notre structure productive au service de nos besoins véritables.
Pour toutes ces raisons et parce que le gouvernement ne prend pas les mesures (2) qui permettront de lutter contre les inégalités de genre, seule la gauche, unie, défendra un modèle féministe érigeant l'égalité comme pilier des combats communs.
Signataires : Rebecca Amsellem, rédactrice de la newsletter les Glorieuses, Clémentine Autain, députée LFI, Mahaut Chaudouët-Delmas, autrice de Demain ne peut qu'être féministe, Hendrick Davi, député LFI, Arthur Delaporte, député PS, Elsa Faucillon, députée PCF, Marie-Charlotte Garin, députée EE-LV, Fatiha Keloua-Hachi, députée PS, Benjamin Lucas, député Generation·s, Sébastien Peytavie, député Génération·s, Lucile Peytavin, historienne et essayiste, François Piquemal, député LFI, Lucile Quillet, autrice, Mereana Reid Arbelot, députée GDR, Sandrine Rousseau, députée EE-LV, Danielle Simonnet, députée LFI.
- Calcul réalisé par les Glorieuses, newsletter qui mène une campagne de sensibilisation en faveur de l'égalité salariale entre les femmes et les hommes, à partir de la base des données Eurostat.
- Le dernier rapport de la Cour des comptes pointe notamment le manque de définition et de déclinaison d'une stratégie globale dans la politique d'égalité entre les femmes et les hommes depuis 2017.