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liberation.fr par Simon Blin

 

Macron, l’autorité au service du néolibéralisme

 

Et si le basculement autoritaire du macronisme trouvait sa source dans la nature même de son programme économique ? Un livre percutant défend l’hypothèse : la Guerre sociale en France. Aux sources économiques de la démocratie autoritaire de Romaric Godin, journaliste spécialiste de l’économie française à Mediapart. Le titre est aussi clair que le propos est offensif : le rognement des libertés publiques, la répression des manifestations chaque samedi de gilets jaunes, le gazage des marches pour le climat sous prétexte de contenir quelques casseurs dans les cortèges, bref la violence déployée par l’Etat depuis un an n’aurait d’autre origine que sa volonté d’enfin «soumettre» le pays aux réformes néolibérales.

Revenons en 2017. Pour Emmanuel Macron, si la France ne réussit pas - c’est l’aspect décliniste de sa campagne présidentielle -, c’est en raison de son refus de s’aligner sur l’ordre néolibéral mondial instauré après la crise des années 70. Bien que la France ait emboîté le pas de la mondialisation débridée (tournant de la rigueur en 1983, appartenance de la France au marché unique et à la zone euro), son modèle reste imparfait aux yeux du futur président.

Car la France présente une économie «hybride» (Bruno Amable) où les anciennes formes de solidarité (les corporations, les syndicats…) ont continué à persister, rappelle Romaric Godin. En France, la victoire du néolibéralisme «n’est pas une victoire sur le pays, mais une victoire à l’intérieur des élites politiques», écrit-il. Face au détricotage des politiques de redistribution ou de protection issues de l’après-guerre, l’opinion française a su résister tant bien que mal. Rares sont les pays ayant connu des mouvements sociaux d’ampleur barrant la route au libéralisme comme la grande grève de 1995 contre la réforme des retraites et de la sécurité sociale d’Alain Juppé ou la mobilisation de 2006 anti-CPE face à Dominique de Villepin.

2017 signe donc l’année de la contre-attaque : le capitalisme, explique Romaric Godin, a une «revanche» à prendre sur le modèle social français. Macron est son homme. Même si cette volonté d’en finir avec le «libéralisme de petits pas» débute avec ses prédécesseurs (politique d’austérité, réforme des retraites…), Macron manifeste un positionnement bien plus «radical» encore et dispose d'une base politique dévouée à son projet de casse du «pacte social».

Après Thatcher et Reagan, il souhaite s’inscrire dans le récit victorieux néolibéral en faisant partie de ceux qui font «les bonnes politiques». Un épisode médiatique est emblématique : le 1er mai 2018, jour de la fête du travail, le Président s’affiche en une de Forbes. «Leader of the free markets» («chef de file de l’économie libre»), titre le bimensuel des milliardaires. Dans l’entretien, un mot d’ordre : donner la priorité à la liberté du capital avant toutes les autres. C’est à cette idée de base, au cœur du consensus entre économistes néokeynésiens et néoclassiques depuis trente ans, que le modèle social français refuse de consentir.

Plus qu’une bataille de politique économique, une «révolution culturelle» est en train de se jouer, explique Romaric Godin. «La théorie néolibérale de la croissance surdéfend l’idée que les conditions culturelles favorisent l’innovation. Si chacun accepte le principe de la compétition et de la justice par le marché, alors chacun s’efforcera de trouver un projet qui le distingue en se rendant "utile" au consommateur.» Qui dit changement de culture dit nouvelles institutions et nouveau langage. D’où l’idée, pour mieux faire passer la pilule, de la «start-up nation», sorte de société d’«entrepreneurs innovants» qui nécessite d’abandonner le principe de protection du travail face au capital.

Dans l’histoire récente, la France n’a pas été la seule a s’opposer au rouleau compresseur néolibéral. Et pour faire céder les peuples réfractaires, il a toujours été d’usage de faire appel aux institutions internationales et aux mécanismes de marché, comme l’ont démontré les cas grec et argentin.

Sauf qu’avec la France, rien de tout cela. Les banques n’ont jamais eu aucun moyen de pression, le taux d’intérêt français n’a pas explosé et le pays n’a jamais risqué la faillite, quoi qu’en disent certains depuis plus de dix ans ! Et quand les résultats des réformes structurelles engagées ne sont pas au rendez-vous (pas d’augmentation des parts de marché françaises, pas d’amélioration de la compétitivité même avec le CICE), reste un ultime recours : la force. «La pensée néolibérale est née du refus de se soumettre aux passions démocratiques», résume Godin.

Selon l’économiste américain Dani Rodrik, le néolibéralisme fait peser à terme une «double menace» sur la démocratie : d’un côté, les «démocraties illibérales» (Hongrie, Pologne) focalisent l’attention sur les minorités et la défense de l’identité nationale tout en poursuivant la transformation néolibérale ; de l’autre, les «libéralismes autoritaires» placent les intérêts capitalistes au-dessus des libertés publiques. Pour ce qui est de la France, écrit Romaric Godin, «le chemin est tout tracé vers la seconde option».

Simon Blin

Romaric Godin La Guerre sociale en France La Découverte, 230 pp. 18 €.