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« A la conférence de presse de Macron, le fantôme du général de Gaulle était omniprésent »

Chronique

Solenn de Royer

Mardi soir, Emmanuel Macron a mimé à dessein le Général dans la scénographie, les mots et le tableau d’une France d’antan, dépeinte avec des accents conservateurs, observe Solenn de Royer dans sa chronique au « Monde ».

 

Le président français Emmanuel Macron à bord du porte-avions « Charles-de-Gaulle », naviguant entre le canal de Suez et la mer Rouge, le 19 décembre 2022.

  Le président français Emmanuel Macron à bord du porte-avions « Charles-de-Gaulle », naviguant entre le canal de Suez et la mer Rouge, le 19 décembre 2022. LUDOVIC MARIN / AFP

 

Derrière la façade du « nouveau monde », l’ancien. Dominique de Villepin se trompait quand, en visitant, en 2019, la nouvelle salle des fêtes de l’Elysée entièrement redécorée, il regrettait que le couple présidentiel eût retiré tout le « mystère » d’une pièce où, disait-il, on avait l’impression qu’à tout moment pouvait surgir le général de Gaulle, entre deux lourdes tentures. Car, mardi 16 janvier au soir, lors de la grande conférence de presse organisée par l’Elysée dans cette même salle des fêtes, le fantôme de Gaulle était omniprésent. Une convocation savamment calculée. En préparant l’événement, les conseillers du président avaient demandé à ce dernier s’il préférait s’adresser aux journalistes derrière un pupitre ou à un bureau. « Un bureau, avait répondu Macron. On va faire gaullien ! »

 

De fait, l’image était troublante. Tout, dans la mise en scène et le timing (le soir, en prime time), rappelait les conférences de presse, très théâtrales, du Général. Arnaud Jolens, le responsable « image » de la présidence, s’était d’ailleurs plongé dans les archives de l’Elysée pour bâtir son « plan de réalisation » pour les télévisions, nombreuses à retransmettre l’événement. Pour être fidèle aux images de l’époque, le fauteuil de Macron avait été remonté de 20 centimètres, afin que « le rapport buste-table » soit le même que pour de Gaulle.

 

Même mimétisme dans les mots. En parlant d’« ordre » et de « progrès », deux leitmotivs de son intervention, le chef de l’Etat faisait référence de manière subliminale à l’entretien télévisé accordé par le Général en 1965, au cours duquel il avait disserté sur l’articulation entre le « mouvement » et l’« ordre ». « La ménagère veut le progrès, mais ne veut pas la pagaille. C’est vrai aussi pour la France », avait-il lancé dans une intervention devenue culte. « L’ordre va avec le progrès », a répété Macron sous les lambris de l’Elysée.

 

« La France est la France », disait souvent le fondateur de la Ve République, qui raffolait des formules tautologiques pour frapper le « bon sens » (mot utilisé à maintes reprises, mardi, par Macron) des Français. « Il faut que la France reste la France », a lancé son successeur, dans le sillage de l’ex-candidat Reconquête !, Eric Zemmour, qui avait lui-même repris un slogan de Laurent Wauquiez, président Les Républicains (LR) de la région Auvergne-Rhône-Alpes, qui s’était alors vu reprocher une rhétorique d’extrême droite.

Une France sépia idéalisée

Renouer avec le macronisme des origines, comme le suggèrent les stratèges de l’Elysée, passait donc d’abord, mardi soir, par l’affirmation d’un imaginaire gaullien dont s’était inspiré Macron dans sa conquête et ses premiers mois au pouvoir : position transpartisane, pragmatisme et efficacité, méfiance à l’endroit des représentants politiques, des syndicats et des journalistes (des « stylographes », méprisait le Général), appel à de hauts fonctionnaires zélés pour gouverner par ordonnances, pratique verticale du pouvoir.

 

Une référence utile – dans le gaullisme se mêlent grandeur de la France et valeurs de la République – au moment où le chef de l’Etat lance un « réarmement civique » afin de tenter de redonner aux Français le goût du vivre ensemble dans un pays travaillé par les inégalités et la question identitaire.

 

Le « rendez-vous avec la nation » de ce président impopulaire, qui entend retrouver l’oreille et le cœur des Français, passe donc par la réponse à une « angoisse culturelle », doublée d’une supposée « demande de conservation », théorisées depuis longtemps à l’Elysée – et quotidiennement alimentées par les médias de Vincent Bolloré.

Macron a choisi de rassurer en proposant aux Francais un retour vers une France sépia idéalisée : instauration progressive de l’uniforme à l’école, apprentissage de La Marseillaise par les élèves de primaire, cérémonie de remise du diplôme au collège. « La France sera plus forte si nous sommes plus unis, si nous réussissons à partager des valeurs, une culture commune, le sens du respect », a-t-il plaidé, assumant entre les lignes une nostalgie pour la période supposée glorieuse des années 1960, où la France exerçait encore un rayonnement dans le monde.

Clins d’œil à la droite conservatrice

Tout au long de sa conférence de presse, Macron a ainsi multiplié les formules désuètes, vantant sa fréquentation de « la laïque », ou se présentant comme « un enfant des deux écoles », comme le chantait Michel Sardou. Elevé par une grand-mère adorée, Macron a toujours revendiqué une forme de décalage avec son temps, étalant des goûts loin des standards de sa génération. « J’ai grandi de manière anachronique », confiait-il au Monde en 2018.

Mais, au-delà de ce tropisme personnel, et de ce fameux « ethos de droite » qui s’épanouit à mesure que le temps passe, la convocation de la France d’hier répondait d’abord à un calcul électoral, à six mois des européennes. En multipliant les clins d’œil à la droite conservatrice, le président entend conserver son socle et contrer la progression du Rassemblement national.

 

Interrogé sur le décalage entre un gouvernement présenté en préambule comme étant « le plus jeune de la Ve République » et des mesures qui fleurent bon la France d’antan, Macron s’est défendu d’être « vieux jeu ». En 1967, de Gaulle avait terminé sa grande conférence de presse en dissertant sur « l’après-gaullisme » : « Tout a toujours une fin. Chacun se termine. Pour le moment, ce n’est pas le cas. » « Je gouvernerai jusqu’au dernier quart d’heure », fait valoir Macron en écho. Il y a décidément des ritournelles qui ne changent pas.