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lepoint.fr par Louise Cuneo

 

Débat sur les européennes : un concours d'éloquence raté

 

Spécialiste de l'art oratoire, Romain Decharne a décortiqué les prestations des candidats lors du premier débat pour l'élection européenne. Son jugement est sans appel : nombreux sont ceux qui doivent travailler davantage leur prise de parole. Il propose d'offrir à celle qu'il juge « grande perdante du débat », Nathalie Loiseau (LREM), un cours particulier. Et un exemplaire du hors-série du Point dédié à l'éloquence, dans lequel il livre un mode d'emploi pour apprendre à convaincre.

Le Point : Quel était l'enjeu du débat ?

Romain Decharne : Face à onze autres candidats, ce n'était pas facile de se faire une place. Chaque prise de parole était donc essentielle. De plus, le sujet ne passionne pas les foules : les téléspectateurs ne resteront sans doute pas trois heures devant leur écran. Il fallait donc marquer les esprits pendant la première partie du débat et prendre la parole parmi les premiers. Une recommandation d'autant plus importante à suivre lorsque les orateurs sont très nombreux : en passant après les autres, un orateur risque de se faire faucher ses arguments par ceux qui ont parlé avant, incarnant ainsi soit celui qui répète, soit celui qui n'a pas d'idées. Mieux vaut alors choisir de rebondir sur ce qui a déjà été dit, pour créer de l'interaction et inciter le public à écouter. C'est la spontanéité. Qui est alors privilégiée. Attention toutefois à la « fausse interaction », lorsqu'on attaque ses adversaires de front, ou encore à répondre sans prendre vraiment la parole, car on perd alors en crédibilité. Le plus difficile est donc de se distinguer par rapport aux autres.

Comment faire pour se distinguer ?

Il y a plusieurs manières de faire la différence : la tenue vestimentaire, l'objet présenté sur le plateau en début d'émission, la voix, la clarté de l'argumentation… Cela va tellement vite qu'il faut soigneusement choisir ce que l'on va dire. Florian Philippot, par exemple, a voulu s'exprimer sur trop de sujets : le public a moins retenu ce que disait le candidat des Patriotes que les propos de Nicolas Dupont-Aignan, alors même qu'ils étaient tous les deux sur des lignes politiques similaires. Le candidat de Debout la France parlait, lui, plus lentement, en insérant des micro-silences, évoquant de fait moins de thèmes, mais de manière plus claire. Autre exemple à suivre : Yannick Jadot, qui a suivi de manière précise une seule idée à la fois.

Y a-t-il d'autres écueils à éviter ?

Il ne faut pas non plus tout apprendre par cœur, sans quoi on risque de recracher ce que l'on a appris. La difficulté est d'être dans l'instant présent et dans la spontanéité. Il faut que le public ait la sensation que le candidat est sincère. Il faut aussi être à l'écoute des autres. Et enfin, avoir des arguments convaincants, ce qui est difficile en à peine une minute.

Comment détermine-t-on ceux qui ont « réussi » le débat ?

Les gagnants sont ceux qui ont réussi à être compris et ceux dont le nom a été retenu par le public à l'issue du débat. Il y a aussi ceux qui ont rendu le débat vivant ou qui ont su rebondir sur les arguments de leurs adversaires, voire lancer un nouveau sujet de discussion. Pour cela, il faut être dans l'instant présent.

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La préparation joue beaucoup ?

Elle est indispensable et essentielle. Raphaël Glucksmann n'a pas assez préparé, c'est l'un des grands perdants de la soirée : il a adopté une attitude de rentier avant même d'avoir pris le pouvoir. Mais il faut aussi savoir prendre des risques. Ce sont souvent les challengers qui sont les meilleurs, et fréquemment aux extrémités de l'échiquier politique d'ailleurs. Ils sont tous dans la subversion. Et c'est compréhensible, car les partis au pouvoir ont pour but de prendre le moins de risques possible – ils ont tout à perdre. Ils refusent d'aborder le réel et nient la réalité. Si Nathalie Loiseau n'avait pas son parti derrière elle, elle ne survivrait pas…

Vaut-il mieux ne pas se faire remarquer, ou se faire remarquer pour de piètres performances oratoires ?

Cela dépend : l'éloquence est avant tout une affaire de sincérité. C'est pour cette raison que Glucksmann a raté son débat. Cela dit, mieux vaut avoir un style gauche et être remarqué qu'être insignifiant, à condition ne pas être antipathique. Car, à défaut de se distinguer par son talent, on dénote et on se souviendra de nous. Jeudi soir, Nathalie Loiseau a ainsi surpris par sa médiocrité, alors même qu'étant au pouvoir elle devrait montrer l'exemple. Il faut accepter ses défauts et essayer de les retourner à son avantage. Mieux vaut avoir un style gauche et être remarqué. François-Xavier Bellamy aussi s'est distingué par son style inattendu. Mieux vaut avoir une identité qu'être sans âme.

Quels conseils donneriez-vous aux candidats pour se faire remarquer lors d'un prochain débat ?

Il faut savoir être synthétique. Être naturel. Ne pas aborder trop de thèmes, mais les explorer à fond. Utiliser des exemples concrets et éviter le langage technocrate : sur l'Europe, par exemple, parler plutôt de la libre-circulation des populations que de l'espace Schengen. Évoquer davantage la vie quotidienne des citoyens. Et penser à s'adresser au public.

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