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« On doit changer de modèle, mais on ne sait pas comment faire »


Patrick Artus directeur de la recherche et des études de Natixis

Pourquoi les lois de la macroéconomie ne fonctionnent-elles plus ?

On comprend ce qui se passe au cas par cas. Prenez la courbe de Phillips : on n’observe plus de lien entre baisse du chômage et montée de l’inflation. Il y a plusieurs raisons à cela : la corrélation est plus faible entre moins de chômage et hausse des salaires ; quand la croissance est forte et le chômage bas, le prix du pétrole ne monte plus, etc.

Si vous prenez maintenant les effets d’une dépréciation du change, on voit bien l’industrie gagner des parts de marché mais le volume des importations ne diminue pas et comme ces dernières sont plus chères, l’impact final est négatif. Tout cela est dû à la mondialisation des chaînes de valeur : il faut importer pour pouvoir fabriquer et exporter. Les facteurs explicatifs sont donc divers.

Les entreprises épargnent aujourd’hui plus que les ménages !

Surtout, elles épargnent plus que leurs besoins d’investissement, et cela reste vrai : leur taux d’auto­financement, c’est-à-dire la part des investissements qu’elles peuvent financer avec leurs profits, est supérieur à 100 % ; au Japon, il est même proche de 200 % ! Que se passe-t-il ? Le partage de la valeur ajoutée a été déformé au détriment des salariés. Cela permet aux entreprises de faire monter les profits et d’investir, et, quand elles n’ont plus besoin d’investir, de constituer des réserves de cash. Il y a trop de profits.

Cela réclame-t-il un meilleur partage de la valeur ajoutée ?

La déformation du partage de la valeur ajoutée est le phénomène majeur des économies contemporaines. Cela explique pourquoi il n’y a plus d’inflation en période de plein-emploi et que le seul agent qui reste avec des besoins de financement soit l’Etat. Cela crée de gros problèmes politiques et sociaux et conduit à des économies où il n’y a pas assez de salaires et trop de dette publique. Un modèle économique qui reposerait sur une demande soutenue par les salaires et avec moins de dette publique serait plus efficace : il serait moins soumis au risque de crise financière et plus stable politiquement.

Mais augmenter les salaires sera inflationniste, les banques centrales seront alors incitées à monter les taux d’intérêt, à un moment où on a trop de dette publique et privée, surtout après la pandémie, ce qui nous promet une nouvelle crise financière. On sait que l’on doit changer de modèle, mais on ne sait pas comment faire.

La pandémie est-elle venue bousculer les raisonnements économiques ?

Elle est moins venue bousculer les raisonnements économiques qu’en préciser certains. Le premier est qu’une dette publique irréversiblement détenue par une banque centrale est de fait annulée. Les intérêts que lui paie l’Etat nourrissent ses profits, qu’elle reverse à l’Etat ! Cette dette est donc gratuite. Si la banque centrale refinance la dette lorsqu’elle arrive à échéance, elle n’est jamais remboursée. Si elle est gratuite et non remboursée, elle est annulée.

Le second est qu’il faut, autant que possible, limiter la taille des récessions, car elles conduisent à un recul de la croissance potentielle du fait de la perte de capital productif, de capital humain, de la multiplication des entreprises « zombies », trop endettées, inefficaces, investissant et innovant peu.

 

Source alternatives-economiques.fr propos recueillis par Christian Chavagneux

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