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Au Chili, la Constituante s’achève dans la douleur

CHILI : UNE NOUVELLE ÈRE POLITIQUE

 

Au Chili, la Constituante s’achève dans la douleur

 

Le 4 septembre prochain, les Chiliens sont appelés à se prononcer sur le texte né des débats de l’Assemblée constituante. Mais cette dernière doit faire face à une campagne de désinformation, le tout sur fond de désenchantement face aux premiers mois du mandat du président de gauche Gabriel Boric.

 

Yasna Mussa

 

25 juin 2022 à 12h42

 

 

 

SantiagoSantiago (Chili).– « Ce processus a été difficile et parfois mal compris. Nous avons commis des erreurs, mais nous pouvons dire que nous avons rempli le mandat du peuple chilien », a déclaré le 16 mai María Elisa Quinteros, présidente de la Convention constitutionnelle. Ce jour-là, les 154 membres de la Convention ont remis le projet des 499 normes qui composent la nouvelle Constitution, résultat d’un processus qui a duré dix mois.

 

La session plénière a eu lieu dans les ruines de Huanchaca, à Antofagasta (Nord), où s’est déroulée la cérémonie solennelle de la remise officielle du projet de la nouvelle Constitution à la commission d’harmonisation, chargée de veiller à la concordance et à la cohérence des normes, ainsi que de réviser et de corriger son contenu.

 

La feuille de route de ce processus démocratique, qui vise à remplacer le texte constitutionnel actuel rédigé sous la dictature, s’achèvera par un plébiscite qui, contrairement à celui qui l’a initié, requiert un vote obligatoire.

 

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Les membres de la Convention constitutionnelle lors de la présentation officielle du projet de la nouvelle Constitution, au Monument national Ruinas de Huanchaca à Antofagasta, au Chili, le 16 mai 2022. © Photo Cristian Rudolffi / AFP

 

 

La date choisie est le 4 septembre, un jour de nostalgie dans la mémoire chilienne, car à cette date, en 1970, Salvador Allende remportait la présidentielle. « Le Chili ouvre un chemin que d’autres peuples d’Amérique et du monde pourront suivre », avait-il dit à cette occasion. Une déclaration qui correspond au moment que vit aujourd’hui le pays, avec un processus constitutionnel sans précédent qui montre la voie dans plusieurs domaines : la parité, le changement climatique, la perspective de genre…

 

L’organe de rédaction a avancé à une vitesse inédite, avec de longues journées de discussion et peu de jours de repos, afin de respecter les délais. Mais bien avant que la page blanche ne compte ses premiers articles, une forte campagne en faveur du rejet a commencé à émerger.

 

Informations erronées

 

La campagne anti-Convention constitutionnelle a été très présente dans les médias lors du premier référendum, lorsque le Chili a décidé d’approuver le processus avec 78,28 %. Par la suite, lors du vote populaire pour élire l’organe chargé de rédiger le texte, les coalitions de gauche, les mouvements sociaux et les indépendants ont obtenu la majorité, laissant à la droite une faible représentation.

 

Les dix mois de débat ont révélé le peu de présence des secteurs les plus conservateurs, ce qui a exacerbé les positions. Plusieurs de ses dirigeants ont ouvertement appelé à refuser la nouvelle Constitution. La situation est devenue plus évidente lorsque, au sein de la Convention, certains constituants de droite ont commencé à diffuser des informations erronées ou des interprétations des normes très éloignées de la réalité.

 

« Les travailleurs ne seront plus propriétaires de leur épargne retraite », a ainsi déclaré Bernardo Fontaine tant sur les réseaux sociaux que dans des interviews. Le conventionnel, qui a gagné son siège en tant qu’indépendant, soutenu par le parti de droite Evópoli, faisait référence au vote de la Convention constitutionnelle sur une norme promue par le mouvement No+AFP, approuvée par la commission des droits fondamentaux.

 

Il s’agit d’une question sensible pour les travailleurs et travailleuses, et l’une des revendications les plus importantes qui ont surgi lors du mouvement social, lorsque les citoyen·nes ont protesté contre les faibles pensions et exigé un système qui permettrait d’accéder à une retraite digne, très différent de l’actuel, privé et géré par des administrateurs de fonds de pension (AFP).

 

La Fondation Interpreta a analysé 7 389 067 mentions sur les réseaux sociaux concernant la Convention constituante depuis sa création et a déterminé que la campagne pour le rejet a commencé le jour même de son inauguration, le 4 juillet 2021. Elle relève une volonté de « brouiller les pistes », « l’un des résultats observables possibles d’une stratégie de manipulation des médias ».

 

« Campagne de terreur »

 

« Il s’agit d’une érosion de la légitimité du processus de l’intérieur », estime Julieta Suárez-Cao, docteure en science politique, professeure associée à l’Institut des sciences politiques de l’université pontificale catholique du Chili et coordinatrice du réseau des femmes politistes. L’universitaire estime que, malgré ce bruit ambiant, la Convention a pu fonctionner, avançant malgré les boycotts de certains secteurs et les fausses informations. « Je suis convaincue qu’il s’agit d’une campagne de terreur, sans aucun doute », déclare Suárez-Cao.

 

Au centre historique de Santiago, sur la très fréquentée avenue Ahumada, deux hommes sont assis sous un parasol. Sur la table, quelques dépliants expliquent et énumèrent certaines des règles que l’on peut lire dans le projet de la nouvelle Constitution.

 

Ernesto Medina, président du mouvement « Aquí la gente » (« Ici les gens »), explique que depuis plus de 25 ans son association travaille sur différents types de campagnes qui nécessitent le soutien des citoyen·nes. Pour lui, la défense du oui (à la nouvelle Constitution, « Apruebo ») est essentielle. 

 

« Il y a une énorme désinformation sur ce qu’est la Constitution. On confond ce qu’est le gouvernement ou ce qu’il a fait de mal avec ce qu’est la nouvelle Constitution, alors il faut expliquer de manière simple ce qui est en train de se passer, dit Ernesto Medina. C’est le résultat du fait que, malheureusement, les mesures complètes n’ont pas été prises, mais je crois que cela va s’améliorer avec le temps, nous avons encore plusieurs mois avant le 4 septembre. »

 

Pendant qu’il parle à Mediapart, quelques passants viennent s’informer ou échanger. Quelques minutes plus tard, Saul Vargas, président de la Confédération nationale des travailleurs chiliens (CNT-Chili), s’approche. Malgré sa position critique sur le processus, il se montre optimiste quant au plébiscite qui aura lieu dans les prochains mois.

 

« Le peuple est intelligent, on peut faire confiance aux travailleurs, et au-delà de ces sondages spécifiques, le peuple approuvera cette Constitution. Il est évident que les gens sont en colère contre tous les politiques, pas seulement contre ce gouvernement et tous les partis, parce qu’ils mentent tous et qu’aucun n’a tenu ses promesses envers le peuple. Mais je pense que nous avons trop de morts, trop de gens en prison. Il y avait quatre millions de personnes dans les rues qui se battaient et ils vont approuver cette Constitution. Le reste est un effet de la presse contrôlée par les propriétaires de ce pays. Je crois que le peuple fera ce qu’il doit faire : mettre fin à la Constitution de Pinochet », affirme Vargas.

 

La politiste Julieta Suárez-Cao estime que la Convention a été un espace permettant de reconnecter les citoyennes et les citoyens avec la politique, et d’élargir ainsi la participation démocratique. « Il y a eu des initiatives populaires pour les normes, beaucoup d’audiences publiques, des mécanismes de participation. Tout ce qui a été approuvé, disons, par rapport à la Constitution actuelle est beaucoup plus inclusif, plus démocratique, plus représentatif », souligne-t-elle, en réponse aux critiques soulevées par le « rechazo » (« rejet »), qui soulignent que le résultat du texte serait une imposition de la gauche, dépourvue de démocratie.

 

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Parmi les opposants, certains ont basculé dans une descente en flammes de la Convention, sans aucune nuance. C’est ce qu’a fait « Amarillos por Chile » (« Les Jaunes pour le Chili »), un mouvement qui affirme ne pas être un parti politique et regroupe des figures connues de l’élite politique et académique ayant accès aux médias de masse. Il a relayé un discours anti-Convention selon lequel le texte serait antidémocratique et diviserait le pays. Son leader, Cristián Warnken, chroniqueur et présentateur de télévision, a même affirmé que le texte avait des « connotations de gauche radicale » sans même l’avoir lu...

 

Julieta Suárez-Cao se demande comment un texte pourrait avoir moins de légitimité que la Constitution actuelle. « Comment est-ce possible qu’elle ne nous unisse pas alors qu’elle provient d’un référendum, d’une élection de conventionnelles et de conventionnels, que pour être adoptées, toutes les normes doivent recevoir un soutien de deux tiers, qu’il est question d’un État paritaire, plurinational, avec des libertés et des garanties pour l’enfance et les personnes âgées. En aucun cas on ne peut dire que cette Constitution pourrait être anti-démocratique. »

 

La campagne officielle du référendum de sortie aura lieu entre le 5 août et le 1er septembre. Chaque camp bénéficiera d’un temps d’expression égal sur les chaînes de télévision.

 

Yasna Mussa