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En 2018, le CAC 40 a redistribué plus de 57 milliards aux actionnaires

Le chiffre devrait, comme d'habitude, faire polémique dans un contexte marqué par le mouvement des Gilets jaunes. Mais il faut relativiser. PAR MARC VIGNAUD

On entend déjà les figures des Gilets jaunes reprendre l'argument en boucle sur les plateaux télé. En 2018, les entreprises du CAC 40 ont distribué 57,4 milliards à leurs actionnaires sous forme de dividendes (46 milliards) et de rachats d'actions, soit plus qu'en 2007 avant l'éclatement de la crise financière, selon la lettre spécialisée en finance Vernimmen.net reprise par Les Échos, mercredi 9 janvier.

« Pour la première fois que nous compilons ces données, toutes les entreprises du CAC 40 ont versé un dividende avec le retour au bercail d'ArcelorMittal, certes de façon symbolique (83 millions d'euros), pour une entreprise de cette taille », relèvent les deux auteurs de cette étude, Pascal Quiry et Yann Le Fur, professeurs de finance à HEC.

Mais il faut évidemment relativiser de tels chiffres. D'abord, parce que 2017 a été une année très porteuse pour les groupes français les plus prospères et les plus internationalisés. La croissance mondiale a été bonne et leurs résultats ont aussi progressé. Comparé aux bénéfices, l'augmentation des dividendes par rapport à ceux distribués en 2017, de 4,7 %, est relativement limitée puis les résultats nets courants part du groupe ont bondi de 18 %, expliquent Pascal Quiry et Yann Le Fur.

Des écarts au sein du CAC

Le taux de distribution, c'est-à-dire le rapport entre les bénéfices du CAC 40 et les dividendes, recule par rapport aux années précédentes, à 46 %. En tenant compte des rachats d'actions et des dividendes extraordinaires, on passe à 59 %.

Ce tableau global cache également de fortes disparités entre groupes du CAC 40. Les trois premiers groupes ont assuré 33 % du volume total distribué ! Total arrive en tête avec 10,1 milliards, suivi de Sanofi (4,8 milliards) et de BNP Paribas (3,8 milliards).

Il s'agit là d'entreprises dites « matures », pour lesquelles il est « plus sain » de reverser des dividendes à leurs actionnaires, « plutôt que de les gaspiller en surinvestissements ou en placements oisifs de trésorerie, et de priver ainsi de capitaux propres d'autres groupes qui en auraient besoin pour se développer et vers qui les dividendes et rachats d'actions de ces mastodontes seront réinvestis », considèrent les deux auteurs. Avant de prendre un exemple : « Dans nos activités d'investissement, nous côtoyons au capital de la start-up prometteuse Karos un des fonds d'investissement de la famille Arnault, alimenté grâce au 5e payeur de dividendes qu'est LVMH. »

L'exception française

Il faut aussi noter que les entreprises du CAC 40 ont un profil très particulier. « Par construction, le CAC 40 regroupe les 40 groupes cotés français ou d'origine française aux meilleures performances. Pas plus que l'on ne peut juger du niveau en finance des Français en interrogeant nos 40 meilleurs étudiants, on ne peut juger de la bonne santé de l'économie française en se penchant uniquement sur le CAC 40, dont le périmètre évolue au demeurant chaque année pour sortir les moins performants (LafargeHolcim et Solvay en 2018) et leur substituer des impétrants plus performants (Hermès et Dassault Systèmes) », argumentent les auteurs.

Dans une chronique pour Le Point, l'économiste Patrick Artus, pourtant auteur d'un livre sur les excès du capitalisme actionnarial (Et si les salariés se révoltaient), rappelait, au moment de la sortie d'une étude de l'ONG Oxfam censée illustrée les excès de distribution de dividendes des grands groupes français, que si ceux-ci versent effectivement des dividendes élevés, « la rémunération totale du capital pour les actionnaires est de l'ordre de 9 %, ce qui est probablement acceptable et est beaucoup plus faible qu'aux États-Unis, où elle atteint 14 % alors que les dividendes sont faibles et que les actionnaires sont rémunérés par la hausse des cours boursiers due en particulier aux rachats d'actions par les entreprises ». Car la valeur actionnariale dépend aussi de l'évolution des cours de la Bourse…

Lire aussi Artus - Pourquoi l'analyse d'Oxfam sur la répartition des bénéfices est biaisée

Est-ce à dire qu'il n'y a pas de problème avec la répartition de la valeur dans le monde ? Pas si l'on en croit Patrick Artus, le directeur de la recherche économique de la banque Natixis. « Dans la plupart des pays de l'OCDE, la dynamique à l'œuvre est bien celle d'une déformation permanente du partage de revenus en faveur des profits et au détriment des salariés. Le processus a débuté à la fin des années 80 », écrit-il dans son livre corédigé avec la journaliste Marie-Paule Virard. Mais ce phénomène est moins fort en Europe qu'aux États-Unis et au Japon, qui peine à se sortir d'une déflation larvée, tant la progression des salaires y est faible.

La France, au contraire, fait figure d'exception, selon l'économiste. « Le partage des revenus y est favorable aux salariés en France et la rentabilité du capital pour l'actionnaire y est nettement plus faible que dans le monde anglo-saxon ». Ce qui ne veut pas dire que tout va bien dans l'Hexagone. Mais plutôt que les performances des entreprises françaises sont insuffisantes pour dégager de une progression suffisante des salaires, surtout face à l'explosion des prix de l'immobilier.

Publié le 09/01/19 à 13h13 | Source lepoint.fr