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Avec France Travail, l’exécutif veut remettre les précaires au boulot, bâton à la main

Avec France Travail, l’exécutif veut remettre les précaires au boulot, bâton à la main

 

L’exécutif a dévoilé les grandes lignes d’une vaste réforme du service public de l’emploi, prévue dès 2024. Pour atteindre le « plein-emploi », il prône une collaboration plus efficace de toutes les institutions existantes, une obligation d’inscription des bénéficiaires du RSA et une refonte du système de sanctions.

 

Cécile Hautefeuille

19 avril 2023 à 18h58

 

 

 

 

C’est l’un des chantiers prioritaires qu’Emmanuel Macron a annoncé vouloir lancer d’ici le 14 juillet. Et la transformation de Pôle emploi en « France Travail » s’annonce comme un long et grand chambardement, dont les détails ont été dévoilés ce 19 avril par Thibaut Guilluy, haut-commissaire à l’emploi. Ce dernier a remis le rapport sur lequel il planche depuis huit mois : 274 pages et 99 propositions pour atteindre « le plein-emploi » – soit un taux de chômage à 5 %, contre 7 % actuellement.

 

Ce rapport préfigure une réforme profonde du service public de l’emploi, embarquant à bord d’un nouveau vaisseau amiral tous ses acteurs : Pôle emploi, missions locales, collectivités ou associations. Il n’y aura aucune fusion, et chaque entité gardera ses troupes et ses prérogatives. L’objectif est plutôt de les faire « collaborer efficacement ». C’est « une sorte d’équipe de France de l’insertion, de la formation et de l’emploi », expose, sans rire, le rapport.

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Lors d’un forum de l'emploi organisé à Arras. © Photo Philippe Huguen / AFP

 

Le capitaine sera Pôle emploi, rebaptisé France Travail dès le 1er janvier 2024. À ses côtés, deux autres opérateurs : les missions locales (déjà chargées de favoriser l’accès à l’emploi des jeunes) et Cap emploi (qui s’occupe du handicap), respectivement renommés France Travail Jeunes et France Travail Handicap. Une myriade d’acteurs publics comme privés (Apec, CAF, maisons de l’emploi, entreprises adaptées…) deviendront leurs « partenaires ». La gouvernance de ce réseau sera assurée par l’État, les collectivités locales et les partenaires sociaux.

 

France Travail a vocation à devenir l’unique « porte d’entrée » des privé·es d’emploi vers le suivi et l’accompagnement. Bénéficiaires du RSA, jeunes, personnes en situation de handicap ou en recherche de formation : toutes et tous devront passer cette porte et s’inscrire via « un portail commun » en ligne, ou auprès « du réseau des guichets physiques des opérateurs France Travail voire de ses partenaires ».

Aucun acteur, pas même l’État, n’est aujourd’hui en mesure d’identifier l’ensemble des personnes dépourvues d’emploi sur son territoire et de connaître leurs besoins.

Thibaut Guilluy, haut-commissaire à l’emploi

Comme cela est déjà le cas pour les bénéficiaires de l’allocation-chômage et du RSA, un premier entretien d’accompagnement sera censé mesurer les « compétences et appétences » et les « besoins sociaux et professionnels », et se solder par la signature d’un « contrat d’engagement » actant un « plan d’action » à respecter. Cette procédure d’inscription « permettra l’orientation rapide vers le bon parcours d’accompagnement », précise le rapport, qui signale des failles dans le système actuel. « Compte tenu de la dispersion des acteurs et des responsabilités, aucun acteur, pas même l’État, n’est aujourd’hui en mesure d’identifier l’ensemble des personnes dépourvues d’emploi sur son territoire et de connaître leurs besoins », regrette-t-il.

 

« France Travail sera garant que plus aucune personne ne reste sans solution », s’enthousiasme le haut-commissaire à l’emploi. Concernant les bénéficiaires du RSA, leur accompagnement renforcé figure parmi les chantiers, avec l’objectif de les faire toutes et tous entrer dans le giron du nouvel opérateur. Autrement dit : elles et ils devront s’inscrire, ce qui n’est actuellement pas obligatoire.

 

Aujourd’hui, seul·es 40 000 bénéficiaires du RSA sont suivis par Pôle emploi, et cette aide sociale est actuellement distribuée et gérée par chaque département, ce qui peut occasionner des ratés dans la distribution, mais aussi des illégalités dans les critères de versements.

 

La réforme du RSA, conditionnant son versement au principe « de 15 à 20 heures d’activité d’insertion » par semaine, annoncée pendant la campagne présidentielle et déjà expérimentée dans plusieurs départements, sera menée en parallèle. Comme le souhaite Emmanuel Macron qui tient au principe des droits et – surtout – des devoirs des privé·es d’emploi.

 

Nouvelles obligations et nouvelles sanctions

 

Le rapport France Travail remis ce mercredi jette aussi les bases de nouvelles méthodes d’obligations et donc de sanctions. Dès le préambule de la partie dédiée au « contrat d’engagement », le ton est donné. Et il n’augure rien de bon.

 

« Pendant trop longtemps, nous nous en sommes tenus à fixer des obligations formelles en contrepartie de l’inscription au chômage ou du bénéfice d’une allocation faute de pouvoir offrir à tous ceux qui en avaient vraiment besoin un accompagnement adapté. […] Avec, comme corollaire, une faible exigence vis-à-vis des personnes en termes de mobilisation et un régime de sanctions peu applicable et inégalement appliqué. »

 

Le sous-entendu est clair : les exigences envers les privé·es d’emploi méritent d’être revues et durcies. Le constat sur l’obligation de recherche d’emploi n’est pas plus rassurant : « Ce dispositif, s’il a sa pertinence sur le principe, est aujourd’hui difficile à apprécier pour le conseiller et facile à détourner pour le demandeur d’emploi ne remplissant pas les objectifs escomptés. »  Il appelle donc à une évaluation du dispositif « pour en valider la pertinence et l’efficacité au regard du but recherché, à savoir d’inciter et responsabiliser le demandeur d’emploi dans sa recherche effective d’emploi ».

 

Depuis 2018, indique encore le rapport, les sanctions pour refus de deux offres d’emploi sont jugées « stables » : 405 sanctions prononcées pour ce motif en 2021 et 318 en 2022 (soit 0,016 % des radiations). Pour le haut-commissaire à l’emploi, cela signifie nécessairement que l’obligation de recherche d’emploi « est plutôt inopérante dans les faits »… et non que les personnes concernées pourraient en fait respecter leurs obligations en la matière, comme Mediapart le racontait dans ce reportage.

 

Sur le volet sanctions, le haut-commissaire propose de tout revoir de fond en comble, en uniformisant le système, tout en laissant à chaque opérateur la prise de décision. Il invite ainsi à introduire, en complément de l’existant, une « suspension remobilisation rapidement applicable ». Il s’agirait d’une sanction « intermédiaire », permettant « de suspendre le droit à une indemnité/allocation temporairement », sans pour autant suspendre l’accompagnement, contrairement à ce qui prévaut aujourd’hui à Pôle emploi avec les radiations.

 

La mission France Travail recommande par ailleurs un système de sanctions « plus progressif », misant « sur une approche globale de la situation du bénéficiaire et un regard pluridisciplinaire, plutôt qu’une approche mécaniste ». En d’autres termes, prendre en compte la situation des personnes avant de les priver de ressources.

 

Les diverses institutions qui devront coordonner leurs actions ne partagent bien souvent pas même un simple logiciel de suivi. « Ainsi, conclut le rapport, l’écosystème des obligations/sanctions pourrait sortir de la logique “une faute, une sanction” […] qui consomme beaucoup de temps et laisse peu de place aux échanges en lien avec le retour à l’emploi. » Ce dernier point pourrait séduire le médiateur national de Pôle emploi qui prône, de longue date, une « gradation » des sanctions.

 

Si le but de France Travail est la simplicité, sa mise en œuvre paraît à première vue fort complexe. Elle suppose que tous les acteurs cités arrivent à travailler ensemble, et à bâtir des procédures et référentiels communs, ce qui n’est pour l’heure pas garanti, y compris sur le versant technique.

 

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Les diverses institutions qui devront coordonner leurs actions ne partagent bien souvent pas même un simple logiciel de suivi, et on se souvient du crash du RSI, la sécurité sociale des indépendants, pour ces raisons en 2008.

La mise en commun devrait donc se faire progressivement pour l’horizon 2027. « Nombre de propositions auront [...] vocation à être expérimentées dès 2023 avec quelques régions volontaires avant de les étendre à tout le territoire national nourries par les apprentissages du terrain », précise tout de même le rapport.

 

Un projet de loi « plein-emploi » portant la création de France Travail, mais aussi la réforme du lycée professionnel déjà sur les rails, devrait être présenté en Conseil des ministres fin mai, pour un examen parlementaire qui aurait lieu dans le courant de l’été. Selon le rapport, entre 2,3 et 2,7 milliards d’euros devront être investis chaque année.