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La loi « séparatisme » invoquée en Corrèze contre des associations écologistes

La loi « séparatisme » invoquée en Corrèze contre des associations écologistes

L’inquiétude s’est emparée d’une partie de la société civile corrézienne depuis qu’un représentant de la préfecture a, selon plusieurs sources, affirmé lors d’une réunion que certaines associations ne pourraient plus accéder à des subventions au motif qu’elles auraient violé leur « contrat d’engagement républicain ». La préfecture dément.

Nicolas Cheviron

30 décembre 2022 à 10h30

 

Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme).– Depuis plusieurs mois, une partie de la société civile corrézienne est en émoi. Souvent critique de l’attitude des pouvoirs publics locaux à son égard, la petite galaxie des associations culturelles, écologistes et paysannes du département, remuante et bien à gauche, s’inquiète de voir un nouvel instrument mis en œuvre par les autorités pour bloquer ses accès aux subventions : le contrat d’engagement républicain (CER), créé par la loi « séparatisme ».

 

Les faits à l’origine de cette inquiétude remontent au 5 mai dernier, date d’une réunion du collège départemental du Fonds de développement de la vie associative (FDVA) dans les locaux de la préfecture de Corrèze, à Tulle. D’ordinaire, ces rencontres ne sont pas le lieu des grandes polémiques, des annonces tonitruantes. Chaque printemps, ses membres (représentants des mairies, des associations, ainsi que les députés et sénateurs du cru depuis cette année) se réunissent pour rendre un avis sur la répartition de subventions de fonctionnement (2 000 euros en moyenne en Corrèze en 2021) entre les associations qui en ont fait la demande. Un petit coup de pouce pour des petites structures : seules peuvent postuler celles qui ont deux salariés maximum en équivalent temps plein.

 

La réunion du cénacle corrézien du printemps dernier est pourtant sortie des sentiers battus. Et les déclarations du président de la séance, le secrétaire général de la préfecture de Corrèze, Jean-Luc Tarrega, ont causé la stupéfaction des participants et, en aval, une vague d’inquiétudes dans le milieu associatif local. « Cette année, il y avait dans la liste [des demandes de subventions –ndlr] cinq associations dont le nom était suivi d’une mention “refus”. C’est l’administration qui a refusé de leur octroyer la subvention », relate un des participants, parlant sous couvert d’anonymat. « Le secrétaire général nous a dit que certaines associations relevaient de mouvances radicales et ne remplissaient pas les conditions du contrat d’engagement républicain. »

 

L’hôtel de la préfecture de Corrèze à Tulle. © Photo Daniele Schneider / Photononstop via AFP

« Nous avions les yeux écarquillés de surprise car nous connaissons tous ces associations, poursuit cette source. Il nous a dit qu’elles relevaient de la mouvance “ultragauche”, que la décision avait été prise sur la base d’un contrôle de l’honorabilité des dirigeants, qui avaient des opinions politiques anti-État et antisystème, et aussi par rapport à la nature de leurs activités. »

 

Un autre participant, parlant lui aussi sous couvert d’anonymat, confirme ce témoignage. « On nous a dit que ces cinq dossiers ne seraient pas traités car, en amont de la réunion du collège départemental, il y avait eu une intervention des renseignements territoriaux au titre du CER », précise-t-il. « Interrogé sur un danger pour la sécurité des citoyens, le secrétaire général nous a dit qu’il ne fallait pas s’inquiéter, qu’il s’agissait de prosélytisme contre l’État. »

 

Présenté par le gouvernement, lors du vote de la « loi séparatisme » en juillet 2021, comme un outil destiné à lutter contre l’islam radical, le CER a pour but d’empêcher l’accès aux financements publics d’associations qui ne respecteraient pas les valeurs fondamentales de la République.

 

Chaque association, pour pouvoir demander une subvention, doit ainsi, depuis le décret d’application du 31 décembre 2021, signer et respecter le contrat et ses différents engagements, comme celui qui impose de « ne pas se prévaloir de convictions politiques, philosophiques ou religieuses pour s’affranchir des règles communes régissant ses relations avec les collectivités publiques ».

 

Dans la Vienne, des ateliers de désobéissance civile dans le viseur

Le décret précise que l’association sera tenue responsable de tous « les manquements commis par ses dirigeants, ses salariés, ses membres ou ses bénévoles » dès lors que sa direction était informée de ces agissements et s’est abstenue « de prendre les mesures nécessaires pour les faire cesser », une approche contestée par plusieurs collectifs de défense des droits associatifs.

 

Le CER a par exemple été utilisé en septembre par le préfet de la Vienne pour justifier une demande de retrait d’une subvention accordée par la mairie de Poitiers à une association de défense de l’environnement, au motif que celle-ci avait organisé des ateliers de désobéissance civile.

 

Interrogée par Mediapart, la préfecture de Corrèze assure que le rejet des demandes des cinq associations mentionnées « n’a aucun lien avec le CER ». « Ces projets n’ont pas emporté la conviction des membres de la commission en raison uniquement de leur moindre intérêt », ajoute dans sa réponse écrite François Charbonnel, adjoint au bureau de la communication interministérielle.

 

Si deux des cinq associations concernées affirment que l’administration avait des motifs légitimes de ne pas leur accorder de subventions, respectivement une incapacité à utiliser les fonds alloués en 2021 en raison de la pandémie de Covid et une durée d’existence insuffisante, les trois autres disent avoir été surprises par leur éviction.

 

Namik affirme ne pas voir de lien possible entre son organisation et « l’ultragauche », hormis la localisation de son siège social dans la ferme qui fût à l’épicentre de l’« affaire de Tarnac ».

 

« Nous avons reçu une notification de refus non motivée », indique Namik Bovet, de l’association pour la Conservation et l’expérimentation paysanne et écologique (CEPE), qui s’efforce de promouvoir l’élevage de races rustiques dans les milieux sensibles et des pratiques agricoles sans intrants. « Tout ce que nous avions demandé à la Région (Nouvelle-Aquitaine) a également été refusé. Nous avions notamment un projet qui collait pile-poil aux critères du programme Nature et Transition, mais qui a été rejeté dès la phase de présélection », indique le militant associatif.

 

Namik affirme ne pas voir de lien possible entre son organisation et « l’ultragauche », hormis la localisation de son siège social, dans la ferme collective du Goutailloux, qui fût à l’épicentre de l’« affaire de Tarnac », un retentissant fiasco judiciaire dans lequel police et ministère public ont imputé le sabotage d’un caténaire de TGV, en 2008, à un groupe qualifié d’« anarcho-autonome » dont les membres ont tous été relaxés après dix ans de procédure.

 

La même incompréhension prévaut à l’Association pour le pastoralisme de la montagne limousine. « On nous a notifié en juin un refus par la préfecture en raison d’un budget provisionnel déséquilibré, alors que nous avions déjà été alertés sur ce point et avions renvoyé nos documents corrigés fin mars », affirme Agnès Orsoni, dont l’association, basée sur le plateau de Millevaches (entre Corrèze, Creuse et Haute-Vienne), œuvre à la mise en relation des éleveurs avec les bergers et offre un accompagnement technique et administratif à ces derniers, en collaboration avec la région Nouvelle-Aquitaine.

 

La jeune femme ajoute que l’association a essuyé en 2022 un autre refus, non motivé, de subventions étatiques pour le financement d’un poste à temps plein, ainsi qu’une rebuffade inédite du département de la Corrèze qui met en danger les finances de son organisation.

 

Quant à La Trousse corrézienne, journal associatif qui s’efforce depuis Tulle de fournir une information critique et sortant des sentiers battus de la presse régionale grand public, elle indique avoir reçu un avis de refus, non motivé, de la préfecture. « Je suis effarée, j’ai 68 ans et je ne comprends pas ce que ça peut être, l’ultragauche. Être anarchiste ou être marxiste, ce n’est pas illégal en France », s’indigne Marie-Laure Petit, membre du comité de rédaction, après avoir mené sa propre enquête. « La question que nous nous posons, c’est : est-ce ce qu’on écrit qui dérange ? »

 

Les trois associations ont déposé en novembre des demandes écrites d’explications à la préfecture, s’agissant notamment de leur CER. Elles n’ont pas eu de réponse.

 

Nicolas Cheviron