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«L'avenir des villes ne se joue pas à l'échelle de leur cadastre»

dossier.JPGJulien Dossier, directeur de Quattrolibri et auteur de «Renaissance Ecologique» (Actes Sud) explique comment les villes peuvent faire face aux dérèglements climatiques, sécurisant leur approvisionnements, en nouant de nouvelles coopérations avec les territoires environnants.


UN: Vous travaillez sur la résilience des villes. En quoi une ville résilience est-elle plus sûre?

Résilience et sécurité sont en effet liées, parce qu'on cherche, avec la résilience, à réduire l'impact des catastrophes qui résultent de la combinaison des aléas et de la vulnérabilité des villes. Malheureusement, aujourd'hui, nous ne sommes pas très résilients, parce que les aléas se diversifient, s'intensifient, tandis que les vulnérabilités se croisent avec des fragilités qui apparaissent dans des domaines nouveaux. On a ainsi des problèmes d'inondations qui ne viennent pas de submersion, mais de précipitations qui saturent les capacités des sols à absorber ces eaux. On a aussi des vulnérabilités dans la chaïne logistique, pour les approvisionnements, en termes de contagiosité, la densité urbaine devenant un risque dans le cas du Covid.


UN: Parmi les vulnérabilités des villes, il y a celle qui touche aux approvisionnements. Comment les sécuriser, et faut-ii viser l'autonomie?

En tout cas, il ne faut pas viser l'autarcie, qui serait illusoire en raison de la concentration de la population dans les villes. En revanche, la maximisation de la part locale des ressources est un objectif sain, en organisant en parallèle la complémentarité des territoires pour que chacun apporte sa contribution en fonction de ses moyens. Si possible en organisant des boucles de résilience, parce qu'aujourd'hui, pour parler de Paris, il y a un seul pipeline qui approvisionne la capitale en hydrocarbures, depuis Le Havre. S'il a un problème, on aura rapidement une pénurie. Les zones de captage d'eau, les approvisionnements en énergie, en chaleur, en fibres... sont vulnérables. Multiplions, donc, les sources d'approvisionnement, et prenons des mesures de prévention, pour les sécuriser. Dans le même temps, on doit organiser les rémunérations ou les transferts de flux pour que les territoires qui contribuent à cette vision coordonnée y trouvent leur compte, sans hiérarchie entre eux.


UN: Les défis posés par le changement climatique sont globaux. L'échelle d'une ville, ou d'une métropole, est-elle pertinente pour adapter son territoire?

Le risque est global et diversifié, mais quand il se manifeste, c'est localement qu'il a des impacts. Toute ville est alors susceptible d'être touchée, et doit prendre les mesures adaptées. Les mesures à mettre en œuvre, en revanche, ne suffiront pas si elles ne sont que locales. On a besoin de mailler des réponses dans des systèmes biophysiques, comme un bassin hydrique, qui implique d'associer tous ceux qui ont l'usage de ce bassin. Le sujet dépasse largement le territoire de la métropole. On va donc avoir besoin de coopérations interterritoriales, mais aussi d'identifier qui est responsable, qui prend en charge la réparation de ces crises, entre l'Etat, au nom d'une solidarité nationale, et les collectivités, par exemple. Nous manquons d'outils, aujourd'hui, d'autant que demain, nous aurons des filières économiques à construire.


UN: C'est-à-dire?

Le modèle économique de valorisation du foncier va être profondément modifié: si des zones deviennent non constructibles, cela aura des conséquences sur la capacité de la collectivité à générer des recettes. Mais demain, ce sont ces zones non bâties qui seront des trésors permettant de lutter contre les ilôts de chaleur urbains. Elles deviendront alors un commun. Pour l'heure, on ne sait pas comment valoriser ce commun dans les comptes de la ville. Il va falloir trouver un modèle économique pour que les villes aient un intérêt à ne pas bâtir, parviennent à déminéraliser les villes! Rotterdam par exemple a réaménagé ses espaces urbains selon plusieurs scénarios: certains parcs, ou skate park, peuvent ainsi devenir des bassins dans lesquels on retient l'eau en cas de crues ou d'inondations.


UN: Les modèles économiques classiques d'aménagement des villes ne sont donc plus adaptés aux nouveaux enjeux?
Aujourd'hui, il me semble qu'on n'a pas encore suffisamment établi le lien entre l'espace intra-muros et l'espace extra extra-muros. On n'analyse pas les territoires, mais les frontières administratives des villes, avec des villes, entourées d'autres communes, qui forment une conurbation qui n'a absolument pas les ressources suffisantes pour répondre à ses besoins en matière d'alimentation, d'énergie, d'eau... De plus, la structure des budgets impose de lever des fonds, qui reposent sur des activités carbonées, et liées à l'artificialisation. Ce n'est pas bon, car on devrait plutôt augmenter la part du végétal en ville, qui apporte plusieurs bienfaits. Mais pour y arriver, on doit relier les besoins des espaces denses avec les ressources - des graines, des fibres, du lait, de l'énergie, de la biodiversité... - produites par des espaces moins denses. A ce moment-là, on change le périmètre des investissements puisque le modèle économique des villes ne se joue pas à l'échelle de leur cadastre.


UN: Par leurs investissements hors de leurs frontières, les métropoles se garantiraient un «réservoir» de ressources?
En effet, les villes doivent établir un modèle qui les relie avec les territoires qui leur procure des ressources, quelle qu'en soit la nature. Pour ces territoires se pose la question de savoir s'ils deviennent des territoires servants des métropoles, ou des espaces vitaux. Nous devons rendre ces territoires et ces paysages désirables, surtout à un moment où les restrictions des déplacements, appelées à durer, nous obligent à reconsidérer l'extension des aéroports par exemple. Il est manifestement plus profitable d'augmenter les kilomètres de pistes cyclables, ou de voies navigables qui serviront de corridors. Nous aurons besoin de faire le lien entre des fonctions productives et des fonctions récréatives. Les voies de transports, ferroviaire, cyclable, ou de transport partagé, devront être développées, alors profitons-en pour créer du paysage, de la beauté, des motifs de déplacement qui valorisent la proximité, et ce lien entre l'intra-muros et l'extra-muros.

 

Les aménageurs urbains vont-ils devoir changer de métier, ou travailler prioritairement sur la densification?
On doit en effet travailler sur la densification, jusqu'à un certain point. L'étalement urbain à l'échelle pavillonnaire est une vraie impasse. Mais si on ne fait que densifier, on va mobiliser de plus en plus de matière inerte en ville, qui va capter la chaleur, et donc augmenter les îlots de chaleur. On a donc besoin de basculer sur la rénovation thermique du parc. Il y a là un impensé, car nous avons des aménageurs pour le parc neuf, mais pas d'aménageurs d'adaptation. Pour ces chantiers, on a des besoins massifs de matière première pour isoler et adapter les bâtiments existants. Ce qui pose la question de l'origine de ces matériaux, mais surtout, les missions de l'aménageur de demain. Il devra travailler sur la perméabilité des sols, sur le couvert végétal, sur la présence adéquate d'eau... Il faudra développer une stratégie d'aménagement végétal, tout en maintenant le cap vers la densité.


UN: Comment se finance cette rénovation?
C'est une question compliquée, car on parle d'acteurs économiques très différents, qui n'interviennent pas sur les mêmes territoires, n'ont pas les mêmes statuts... On a des investisseurs privés, des propriétaires fonciers ou immobiliers, des acteurs publics... Il est peut-être temps de raisonner à l'échelle de fonds d'investissements territoriaux, pour organiser la consolidation de la valeur qui pourra être partagée. Il faut mobiliser les acteurs qui cherchent, ou qui auront perçu la valeur long terme de ces investissements: assureurs, réassureurs, caisses de retraite, fonds de pension, mais aussi Caisse des dépôts, Banque des Territoires, BPI, BEI, ou BERD, à l'échelle européenne...


UN: En matière de mobilité, comment organiser les transports publics, qui coûtent très cher, quand les nouveaux acteurs transportent de plus en plus de monde?
La prochaine conquête, ce n'est pas les VTC contre les transports publics, routiers et ferroviaires, mais marche, vélos et infrastructures de proximité. Pour que cette nouvelle mobilité réussisse, on doit avoir des distances plus courtes à parcourir, donc des équipements en proximité. Il faut imaginer des aménagements publics où, dans une zone pavillonnaire, un pavillon sur cent serait un lieu de proximité, de prêt d'outils, de stockage, de coworking...


UN: Les tramways et RER, c'est dépassé?
Oui, d'abord parce que ces projets sont trop longs à réaliser. Si on regarde nos objectifs de réduction des émissions carbone en 2030, le délai est trop court pour que ces projets lourds puissent apporter une réponse. Démultiplier les projets d'infrastructures lourdes, aujourd'hui, c'est se tromper de temporalité, d'effectivité. Basculons ces investissements vers un maillage de proximité qui va nous permettre de faire du point à point dans des poches de territoire beaucoup plus larges.


UN: Le bâtiment intelligent et résilient existe-t-il?

Les bâtiments résilients et intelligents auxquels je pense sont low tech, en partie intégrés dans des lignes de pente, végétalisés en toiture, avec un maximum de réemploi de matériaux, et connectés à des ressources d'énergie renouvelables. Ce ne sont pas eux qu'on construit en coeur de métropole. On est assez loin de la notion, en pratique. On a atteint une forme de consensus pour comprendre que le bâtiment de demain ne sera plus en béton, ni acier, ni verre. On voit émerger des floraisons de modèles autour du bio sourcés, principalement du bois. Mais la version qui domine c'est un bâtiment en CLT (cross laminated timber) à base de résineux, qui crée un problème de biodiversité. Donc cette option n'est pas intelligente. Notre forêt, par exemple, est composée aux deux tiers de feuillus, donc pas concernée par ces démarches. Ce qui nous empêche de créer une filière viable, et nous conduit même à importer, ce qui aggraverait notre déficit commercial..

 

Source l'Usine Nouvelle décembre 2020 Propos recueillis  par Romain Mazon