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Comment saboter le RIC en une leçon

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BILLET. Les Gilets jaunes ont remis au centre des débats le référendum d'initiative citoyenne, dont les responsables politiques se sont toujours méfiés. PAR BERNARD QUIRINY  le 18/12/18 à 09h20 | Source lepoint.fr

C'est le nouvel acronyme à la mode, présent sur quantité de banderoles dans les manifestations de Gilets jaunes, et qui fait gloser la presse depuis deux semaines : le RIC, pour Référendum d'Initiative Citoyenne. Comprenez, un référendum dont l'initiative vient d'en bas, grâce à une pétition signée par un certain nombre d'électeurs, et non d'en haut, par décision souveraine du locataire de l'Élysée. Si la chose est possible, dans quelles conditions, avec quels risques, si elle est pratiquée à l'étranger, telles sont les questions qui agitent désormais Landerneau ; la classe politique elle-même se saisit douloureusement du problème, reconnaissant du bout des lèvres qu'il y a là, peut-être, un sujet valant qu'on s'y penche, vu l'intérêt qu'y attachent les Français.

Une procédure approchante existe bien dans la Constitution depuis 2008, dont les modalités d'application ont été fixées en 2013. Mais il ne s'agit pas d'un RIC à proprement parler, puisqu'il ne peut être déclenché que par une proposition de loi. Surtout, ce n'est que si cette proposition n'est pas examinée par les chambres qu'elle est soumise à référendum, ce qui permet au Parlement d'éviter facilement le recours au peuple. Enfin, les seuils absurdes de l'article 11 (un cinquième des parlementaires soutenus par un dixième des inscrits sur les listes électorales, soit 4,5 millions de personnes) garantissent à peu près que la procédure n'aboutira pas. Évoquant les faits de gloire de la présidence Sarkozy, Éric Woerth se félicitait lundi sur France Inter que la majorité de l'époque ait inscrit le RIC dans la Constitution. Vu le corset légal qu'elle y a mis, il serait plus exact de dire qu'elle a inscrit dans la Constitution l'impossibilité du RIC. L'immense succès de la procédure, avec zéro référendum organisé, témoigne de l'excellence de la réforme.

Défouloirs

La question rebondit donc aujourd'hui, confrontant la majorité LREM au même problème qu'à l'époque la majorité UMP : comment donner l'impression de satisfaire à la revendication du RIC tout en se débrouillant pour qu'il reste inoffensif, le tout sans que ça se voie ? Je fais confiance à l'inventivité des parlementaires pour inventer les obstacles procéduraux permettant de saboter d'une main ce qu'ils feindront d'accorder de l'autre. Le coup du seuil de signatures étant éventé, d'autres pistes devront être explorées, comme des délais contraignants, des exclusions innombrables (pas de référendum durant l'année précédant telle élection ni pendant les nouvelles lunes, etc.), le calibrage soigneux des sujets possibles, etc. L'essentiel, c'est d'éviter que le peuple puisse s'emparer de questions qui l'intéressent, et priver ses représentants de la maîtrise totale de l'agenda. Dans une République dont le principe est « gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple » (article 2 de la Constitution), ça ferait tache.

En attendant, les amis de la démocratie aiguisent leurs arguments anti-référendum, les mêmes qu'on a entendus en 2005, puis lors du Brexit, et à chaque expérience étrangère. Que le peuple ne serait pas compétent, pour commencer. Mais à ce compte, ne faut-il pas lui retirer aussi le droit d'élire les savants qui le gouvernent ? Qu'il répond toujours à côté de la plaque, transformant les référendums en défouloirs. Mais n'est-ce pas parce qu'on ne le consulte pour ainsi dire jamais qu'il saisit les rares occasions pour lâcher ce qu'il a sur le cœur ? Le référendum, dit-on aussi, est un outil fruste, qui n'offre comme réponse que oui ou non ; peut-être, mais c'est le seul dont on dispose. On suggère également qu'en ces temps de fake news et de manipulations russes, les campagnes référendaires seront polluées. Soit, mais autant renoncer alors à tout débat public.

Tout le monde fait des erreurs

Reste enfin l'objection suprême, si bête qu'elle me désarçonne à chaque fois : le peuple n'a pas toujours raison. Comme si les élus, experts et technocrates n'avaient jamais tort ! On peine à répondre, tant l'argument est sot. Le pire est que ceux qui l'emploient se défendent d'être antidémocrates ; apparemment, la démocratie, pour eux, c'est quand le peuple élit des gens pour qu'ils se trompent à sa place. Le RIC, par contraste, permettrait au peuple de faire de temps en temps ses erreurs ; on comprend que les élites s'en méfient, qui se croient seules légitimes à se tromper, et les seules à se tromper comme il faut. Nul doute donc qu'elles saboteront le RIC, ou qu'elles le glisseront sous le tapis. Comme l'a dit le Premier ministre ce week-end, « nous avons fait des erreurs ». Où irait-on, si le peuple se mêlait d'en faire aussi ?