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Covid : au Brésil, Bolsonaro bientôt tenu responsable de ses crimes ?

Covid : au Brésil, justice et parlementaires s'activent pour que «Bolsonaro soit tenu responsable de ses crimes»

par Christian Lehmann

Société, vendredi 9 juin 2023 1531 mots, Libération (site web)

 

 

Christian Lehmann est médecin et écrivain. Pour «Libération», il tient la chronique régulière d'une société longtemps traversée par le coronavirus. Il revient aujourd'hui sur la situation du pays désormais dirigé par Lula où, contrairement à la France, la crise sanitaire a fait son entrée sur le terrain juridique.

 

Suite à la tribune d'une quinzaine de sociétés savantes, des voix s'élèvent enfin pour réclamer une commission d'enquête sur les agissements de l'IHU Marseille, et l'indulgence coupable dont ont bénéficié ses équipes, qui viennent de retirer un «pre-print» - une version d'étude non relue par des pairs, publiée en ligne et non dans une revue scientifique - litigieux exposant un essai thérapeutique sauvage sur 30 000 personnes. Didier Raoult, comme à son habitude, vitupère chez Hanouna et Rioufol les «imbéciles» qui osent lui demander des comptes, et sa garde rapprochée redouble d'ingéniosité en mettant en ligne une pétition de scientifiques, signable par le premier farfelu venu, et en organisant sur les réseaux sociaux le harcèlement de médecins accompagnant la création d'une association de victimes des traitements précoces. A l'exception du sénateur médecin Bernard Jomier, qui n'a depuis le début de la crise pas dévié d'une attitude de respect de la science, rares sont ceux qui ont commenté ce scandale sans précédent. C'est que, depuis février 2020, le florilège de représentants politiques sans aucune compétence scientifique ou médicale ayant pris fait et cause pour le miraculeux thaumaturge phocéen balaie tout l'échiquier politique, de Zemmour à Mélenchon en passant par Estrosi, Bardella, Royal et Macron...

 

Un point sur l'avancement des travaux

Il existe pourtant des pays, plus durement touchés encore que le nôtre, où la question des responsabilités politique et scientifique dans la crise est posée au niveau judiciaire. Jaqueline Ferreira, 59 ans, professeure à l'Institut d'études en santé collective de l'université de Rio de Janeiro, nous parle de l'avancement des travaux de la Comissao Parlamentar de Inquérito (Commission d'enquête parlementaire, CPI) au Brésil :

 

«Formée par des représentants du pouvoir législatif, cette CPI a été officiellement créée au Brésil le 13 avril 2021 pour enquêter, recueillir des témoignages et auditionner les personnes impliquées responsables d'irrégularités présumées dans les actions du président du Brésil, Jair Bolsonaro, à une époque où le pays se classait au deuxième rang mondial en nombre de cas et de décès. Etaient particulièrement étudiés l'opposition du gouvernement fédéral aux mesures de santé publique telles que la distanciation sociale et l'utilisation des masques, mais aussi le retard dans l'achat de vaccins, et l'investissement de l'argent public dans des traitements tels que l'hydroxychloroquine, l'azithromycine et l'ivermectine dans un emballage qui était devenu célèbre sous le nom de «Kit Covid», sans aucune preuve scientifique de son efficacité pour le traitement du Covid-19. Les démissions de deux ministres de la Santé, Luiz Henrique Mandetta et Nelson Teich, opposés à cette promotion commerciale, et la pénurie d'oxygène dans les hôpitaux de la capitale de l'Etat d'Amazonas étaient également des motivations pour ouvrir des enquêtes. Au fur et à mesure que les auditions avançaient, d'autres faits sont apparus, comme l'absence de réponse du gouvernement aux 81 courriels envoyés par la société pharmaceutique Pfizer pour proposer l'acquisition de vaccins, ainsi que des irrégularités dans l'achat et l'importation hors de prix du vaccin indien Covaxin, produit par Bharat Biotech, à l'efficacité douteuse, et rejeté dans plusieurs pays. Ce dernier point a été considéré comme un vaste stratagème de corruption, avec le président de la République en tête.

 

«Plusieurs événements ont marqué le cheminement de la commission, comme la mise à jour de l'affaire Prevent Senior, du nom d'une compagnie d'assurance maladie qui, selon tout un faisceau de témoignages, avait rejoint le bureau parallèle du gouvernement fédéral pour défendre et utiliser le Kit Covid. Un ancien employé de ce réseau a témoigné sous confidentialité que l'entreprise avait mené une étude avec l'hydroxychloroquine chez des patients atteints du Covid-19, dans le but de réduire les hospitalisations et de se présenter comme un allié du gouvernement. D'un autre côté, un groupe de médecins affiliés à la compagnie d'assurance ont rapporté la façon dont ils avaient été contraints de prescrire ces médicaments, menacés de licenciement s'ils n'obéissaient pas. Le témoignage de l'avocate des médecins, Bruna Morato, a été le plus important du CPI. L'hydroxychloroquine, l'azithromycine et l'ivermectine ont été utilisés sans information des patients. Des personnes âgées ont délibérément été privées d'oxygène pour réduire les coûts d'hospitalisation. Enfin, des décès de patients sous Kit Covid ont été cachés pour ne pas remettre en cause l'efficacité supposée du traitement.

 

Le 20 octobre 2021, le rapport final présenté au bureau du procureur général demandait l'inculpation du président Jair Bolsonaro pour onze crimes, dont «violation des mesures sanitaires préventives», «utilisation irrégulière des fonds publics», «falsification de documents privés», «charlatanisme», «prévarication»...

Jaqueline Ferreira, professeure à l'Institut d'études en santé collective de l'université de Rio de Janeiro

«Le ministère de la Santé et l'entourage de Bolsonaro, ainsi que le conseil de l'ordre des médecins au Brésil, ont travaillé activement pour défendre les traitements controversés, et la médecine fondée sur les preuves a été constamment bafouée au nom de la soumission à un projet politique. Selon le CPI, un «cabinet fantôme» composé de médecins, d'hommes politiques et d'hommes d'affaires a généré une contagion massive en promouvant l'abandon des masques et la vente de médicaments inefficaces.

 

«En révélant des scandales successifs de négligence, de diffusion de fausses informations et de corruption, la CPI a amené le grand public à séparer le discours scientifique du discours négationniste, ce qui a fini par booster la vaccination dans le pays, obligeant le gouvernement à se mobiliser pour acheter plus de vaccins.

«Le 20 octobre 2021, le rapport final présenté au bureau du procureur général demandait l'inculpation du président Jair Bolsonaro pour onze crimes, dont «violation des mesures sanitaires préventives», «utilisation irrégulière des fonds publics», «falsification de documents privés», «charlatanisme», «prévarication»... Il demandait aussi l'inculpation de 80 personnes et de deux entreprises. L'Association des victimes et des proches des victimes du Covid-19 (Avico) avait remis au procureur un rapport très similaire à celui du CPI.

 

«En juillet 2022, le procureur général de la République, nommé par Bolsonaro, a rejeté les plaintes du CPI et d'Avico, affirmant qu'il n'y avait pas de preuve pour engager des poursuites pénales, et José Antonio Dias Toffoli, juge de la Cour suprême fédérale, s'est conformé à cette décision. Les sénateurs qui ont participé à la CPI ont réagi en qualifiant le rejet de la plainte d'«irrespect envers les victimes» et ont déposé un appel.

«Selon Paola Falceta, présidente et fondatrice d'Avico, l'objectif actuel est d'attendre l'élection du nouveau procureur général de la République, qui aura lieu en septembre 2023, sous la présidence de Lula, afin de soumettre à nouveau les plaintes déposées par les sénateurs qui ont intégré le CPI ainsi que par Avico, en espérant que Bolsonaro, désormais sans juridiction privilégiée, sera tenu responsable de ses crimes.»

 

Pass sanitaire falsifié

En mai 2023, grâce à une enquête de la police fédérale, un stratagème frauduleux impliquant les données de vaccination de Bolsonaro et des membres de sa famille a été révélé. Il semble avéré que Bolsonaro a falsifié son pass sanitaire pour traverser la frontière des Etats-Unis, ce qui constitue un crime de violation d'une mesure sanitaire, au Brésil comme aux Etats-Unis. Des mandats de perquisition et de saisie ont été exécutés au domicile de l'ancien président. Ses conseillers qui ont participé à la fraude ont été arrêtés. Le même mois, la justice fédérale du département du Rio Grande do Sul, au sud du Brésil, a condamné les défenseurs du prétendu «traitement précoce» contre le Covid-19 à payer 55 millions de reals (10,4 millions d'euros) pour dommages moraux et sanitaires collectifs. Le Ministère public fédéral a déposé deux poursuites contre les responsables de la publication d'un matériel publicitaire intitulé Manifesto pela Vida, créé par un groupe qui se faisait appeler «Médecins du traitement précoce au Brésil». Dans un publirédactionnel diffusé à la population générale, ils encourageaient la consommation de médicaments et indiquaient les médecins qui prescrivaient le traitement du prétendu Kit Covid.

 

En réponse, les médecins condamnés ont publié un communiqué de presse dont la conclusion rappelle à quel point, en guise de rayonnement international, la recherche française a exporté sa malscience : «Sans aucun doute, il aurait été plus facile pour nous, médecins, de travailler en silence, en nous contentant de soigner et de sauver la vie des membres de notre famille et de nos amis proches atteints d'une maladie aussi grave. Cependant, cela n'est pas conforme à notre conception de l'éthique médicale et de la compassion. C'est pourquoi nous exerçons notre droit - ou notre devoir - d'exposer notre position à la population en général, sans en tirer aucun avantage financier. Pour conclure, nous répétons cette affirmation, que nous savons gênante et dérangeante : oui, il y a toujours eu et il y a toujours un traitement efficace de la Covid avec des médicaments sûrs, bon marché et dont le brevet n'a pas été déposé. Des milliers de Brésiliens ont été abandonnés à leur sort. Comme le demande le professeur Didier Raoult, infectiologue, Index-H de 179 : est-il illégal de sauver des vies ?»