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Jacques Doillon accusé de viol, d’agression sexuelle et de harcèlement par Judith Godrèche, Anna Mouglalis et Isild le Besco

« Le Monde » a recueilli trois témoignages visant le réalisateur de « La Fille de 15 ans ». L’avocate de M. Doillon dit vouloir réserver ses explications à la justice.

Par Jérôme Lefilliâtre et Lorraine de Foucher

 

Le réalisateur Jacques Doillon, à Cannes, le 24 mai 2017.

Le réalisateur Jacques Doillon, à Cannes, le 24 mai 2017. LAURENT EMMANUEL / AFP

 

Ce jeudi sur France Inter, Judith Godrèche a accusé le réalisateur Jacques Doillon d’agressions sexuelles sur le tournage du film La Fille de 15 ans, qui a eu lieu au printemps 1987. Il voulait, a-t-elle affirmé, « la même chose » que Benoît Jacquot, contre lequel la comédienne de 51 ans a déposé plainte mardi pour « viols avec violences sur mineur de moins de 15 ans » commis par personne ayant autorité. « Sur le tournage, c’était hallucinant. Il a engagé un acteur (…), il l’a viré et il s’est mis à la place. Tout d’un coup, il décide qu’il y a une scène d’amour, une scène de sexe entre lui et moi. On fait 45 prises. J’enlève mon pull, je suis torse nu, il me pelote et il me roule des pelles. »

 

Tout cela se déroule sous les yeux de Jane Birkin, alors compagne du réalisateur, qui l’a engagée comme assistante sur le film. « Il embrassait vingt fois de suite Judith Godrèche en me demandant quelle était la meilleure prise. Une vraie agonie ! », a raconté Birkin dans son journal intime paru en 2018, Munkey Diaries. Le film La Fille de 15 ans est sorti en salles au printemps 1989.

 

Lors de son interview sur France Inter, Judith Godrèche a aussi évoqué de façon sibylline, et sans entrer dans les détails, d’autres faits qui se seraient déroulés avant ce tournage, au domicile de Jacques Doillon. Dans sa plainte contre Benoît Jacquot, enregistrée le 6 février par la brigade de protection des mineurs de la police judiciaire de Paris et consultée par Le Monde, elle décrit précisément les agissements de Jacques Doillon. En l’occurrence, il s’agirait d’un viol qu’aurait commis le cinéaste sur elle, alors qu’elle avait 14 ans. Les faits auraient eu lieu rue de la Tour, à Paris, dans la maison de Jane Birkin.

Sollicité par Le Monde, Jacques Doillon, 79 ans aujourd’hui, n’avait pas répondu jeudi après-midi. De même que son avocate, Marie Dosé. « Jacques Doillon découvre ces accusations ce matin par voie de presse, a déclaré cette dernière à l’AFP plus tôt dans la journée. Il les réfute avec force et a hâte de s’expliquer devant la justice. » L’enquête préliminaire, ouverte mercredi par le parquet de Paris, portera sur les faits de Benoît Jacquot et Jacques Doillon dénoncés par Judith Godrèche.

Des séances dans le bureau du réalisateur

Selon le récit de la comédienne, Jacques Doillon a reçu plusieurs fois Judith Godrèche à cette adresse pour des essais, qui ont finalement débouché sur La Fille de quinze ans – l’histoire d’une adolescente amoureuse d’un garçon de son âge (joué par Melvil Poupaud), et dont le père de ce dernier (Jacques Doillon) va s’éprendre. C’est son agente de l’époque, Isabelle de la Patellière, qui lui aurait fait rencontrer le cinéaste, alors à la recherche d’une jeune actrice pour un film qu’il envisageait de réaliser. « Je crois que c’est un film qui devait s’appeler “La Petite Magicienne”, dit-elle dans cette plainte. Je le rencontre et je lui dis que j’ai écrit un livre (…). Cela raconte l’histoire d’une fille et d’un frère, et le père essaie de la voler au frère. Je parle à Doillon de mon livre et il me dit de lui déposer mon manuscrit. Quelque temps après, il me rappelle et il me dit qu’il ne va pas faire le film qui devait se faire mais plutôt un film sur moi. Pour ce faire, je devais venir chez lui. »

 

Lors de ces séances préparatoires dans le bureau du réalisateur, « il me fait parler pendant des heures, il prend des notes et il m’enregistre. Il me fait parler de Benoît [Jacquot], il me pose beaucoup de questions sur Benoît », a relaté Judith Godrèche devant les enquêteurs. « Doillon me demande un jour de m’allonger sur le lit et il me dit que pour la respiration il faut qu’il se rapproche de moi pour pouvoir vraiment écrire ce personnage. Il m’embrasse, la pièce est fermée, je ne sais pas si Charlotte [Gainsbourg] ou Jane [Birkin] sont là. Il me met les doigts dans la culotte et il me fait allonger sur le lit, et avec son jean, en portant toujours son jean, il se met à se frotter sur moi pour se faire jouir. »

 

Dans les archives personnelles de Judith Godrèche, il subsiste deux lettres qu’elle assure avoir reçues de Jacques Doillon à la même époque. Si elles ne sont pas datées, la comédienne a conservé une enveloppe où l’on reconnaît l’écriture du cinéaste. Elle a été affranchie le 26 octobre 1987 dans le 16e arrondissement de Paris, là où étaient domiciliés Jacques Doillon et Jane Birkin à l’époque. Cette enveloppe a été envoyée à Judith Godrèche rue Rambuteau, à Paris, là où l’adolescente vivait alors avec son père.

Deux lettres signées « Jacques »

Sur l’une de ces deux lettres figure le dessin d’un gros cochon avachi, sous le regard de plusieurs personnages. En dessous, un texte manuscrit parfois difficilement lisible, signé par « Jacques », dont voici des extraits : « Voici un cochon (femelle), mérité ou non. (…) J’aimerais être ainsi attaché avec ce timide sourire sur mon [illisible, ndlr] beau visage. (…) Je n’aimerais pas être comme ce paisible animal avec ton ombre derrière moi. Ne te laisse pas engloutir par Venise. » En juillet 1987, Judith Godrèche a passé quelques jours dans la cité italienne avec Benoît Jacquot.

Dans l’autre, au verso d’une gravure en noir et blanc représentant une transaction entre un marchand ambulant et un habitant, il a griffonné : « Pardon de ne pas dessiner mais Rembrandt fait ça très bien (pour moi). C’est un vendeur de mort-aux-rats, on imagine donc que tu vis dans cette aimable demeure et que le bonhomme achète le bon produit pour se débarrasser de toi, mais il ne s’est pas aperçu que tu es partie à Venise et qu’il peut donc dormir tranquille. (…) J’espère qu’il pleut sur Venise, que tu passes ton temps à faire la gueule et que tu es donc invivable. Baiser sur ton front juvénile. Jacques »

En 1987, Benoit Jacquot et Jacques Doillon, par ailleurs proches amicalement et artistiquement, semblaient se disputer Judith Godrèche comme actrice et comme « partenaire ». Le premier, au cours d’une rencontre avec Le Monde, se souvient du tournage de La fille de 15 ans qui s’est mal passé : « Judith se plaignait de lui. A ce compte-là, lui aussi il va avoir sa ration. »

« Il m’a embrassée de force »

D’autres comédiennes portent des accusations contre le réalisateur. C’est le cas d’Anna Mouglalis, qui détaille au Mondeune agression sexuelle dont elle raconte avoir été victime de sa part. « C’était à l’été 2011, se souvient l’actrice de 45 ans. Jacques Doillon venait de faire tourner mon compagnon de l’époque, Samuel Benchetrit, avec sa fille, Lou Doillon, pour le film Un Enfant de toi. Samuel a invité Doillon à nous rejoindre dans ma maison de famille, près d’Uzès. Il est arrivé avec un bébé, son enfant, qui n’avait que quelques mois, et qu’il s’amusait à faire manger solide alors qu’il était beaucoup trop petit. Cela m’avait choquée. Il m’avait aussi offert la biographie de Sophie Tolstoï et m’avait dit vouloir monter la pièce La Jalousie au théâtre avec moi. »

« Un soir après le dîner, nous n’étions plus que deux dans la pièce. C’était dans la cage d’escalier sur le palier qui donnait sur la chambre de ma fille et la mienne dans laquelle j’allais rejoindre Samuel qui s’était couché plus tôt. il m’a embrassée de force et je l’ai repoussé. C’est sidérant de tenter un truc pareil, dans ces conditions-là. Il y a un tel sentiment d’impunité, une telle réification. » Anna Mouglalis dit ne plus se souvenir si elle avait raconté à l’époque cette scène à Samuel Benchetrit. « Je n’ai plus jamais revu Jacques Doillon après cela », ajoute-t-elle. Contacté par Le Monde, Samuel Benchetrit n’a pas souhaité répondre.

 

De son côté, Isild Le Besco, qui a dénoncé des « violences psychologiques ou physiques » de Benoît Jacquot, relate au Monde avoir travaillé « quatre ou cinq semaines » avec Jacques Doillon sur la préparation d’un film sorti en 2001, Carrément à l’ouest. Des séances se sont déroulées selon elle au printemps 2000 au domicile du réalisateur, près du quartier Saint-Paul à Paris, et auraient inspiré une partie du scénario. « On improvisait. Je me souviens que lui parlait d’un ton monolithique pendant des heures, c’était d’un ennui monstrueux. »

« Mais lorsque j’ai refusé de coucher avec lui, il m’a retiré du projet et a donné le rôle à sa fille », affirme Isild Le Besco. De fait, au casting de Carrément à l’ouest, on trouve Lou Doillon, la fille que le cinéaste a eue avec Jane Birkin. Comment la proposition a-t-elle été formulée ? « Mes souvenirs sont vagues, reconnaît la comédienne. C’était assez subtil, dans le non-dit. Juste après mon refus, il m’a dit qu’il allait donner le rôle à Lou. A l’époque, ce que j’avais surtout trouvé injuste et abusif était de ne pas avoir été payée pour ce travail. Alors qu’il avait pris mes mots. »

Le prochain film de Jacques Doillon, CE2, doit sortir en salles le 27 mars. Il raconte l’histoire d’une fillette harcelée à l’école par des camarades de classe.