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Violences policières: un homme de 19 ans dénonce des actes de «torture» subis au commissariat de Juvisy-sur-Orge

 

Mahedine Tazamoucht, un jeune électricien, a porté plainte auprès de l’IGPN, la police des polices, vendredi 13 mai. Il affirme avoir été frappé à de multiples reprises et tasé lors de sa garde à vue quelques jours plus tôt, après avoir été interpellé sans motif apparent.
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Mahedine Tazamoucht à Paris, le 12 mai 2022. (Frédéric Stucin/Frédéric STUCIN)

par Fabien Leboucq et Ismaël Halissat

 

 

«C’était de la torture, de l’humiliation. J’étais assis sur une chaise, en caleçon, menotté, et ils me tapaient.» Mahedine Tazamoucht raconte sans détour les violences qu’il dit avoir subies, dans la nuit du 9 au 10 mai, de la part de plusieurs policiers, au commissariat de Juvisy-sur-Orge (Essonne). Quand Libération le rencontre, jeudi 12 mai, l’électricien de 19 ans porte les stigmates de nombreux coups, au visage et sur le corps. Mahedine Tazamoucht est alors accompagné par sa famille. «En tant que maman, je ne peux pas laisser passer ça. J’ai le cœur meurtri, j’irai jusqu’au bout», prévient sa mère, Linda Lemaini. Ils ont déposé une plainte vendredi 13 mai, ensemble, à l’Inspection générale de la police nationale (IGPN).

Selon le récit de Mahedine Tazamoucht, la soirée commence à Athis-Mons, petite commune de la banlieue sud de Paris, coincée entre l’aéroport d’Orly et la Seine. Lui et deux de ses amis, Sofiane et Ilyes (qui préfèrent n’être cités que par leur prénom) sont dans la voiture garée sur un petit parking résidentiel, qu’«on a l’habitude de fréquenter», détaille Sofiane, 23 ans. Un lieu qui leur permet de se retrouver pour passer la soirée ensemble. Ils se servent des verres de whisky coca et écoutent de la musique sur un téléphone portable. Aux alentours de trois ou quatre heures du matin, Mahedine Tazamoucht s’en va. Il rentre chez lui pour se coucher, avant de se rendre compte qu’il a oublié ses clés dans le véhicule, explique-t-il à Libération. De retour sur le parking, il découvre une voiture de la police nationale et trois agents en tenue en train de contrôler ses deux amis.

 

«Cela se passe bien, les policiers nous posent des questions, nous fouillent»,raconte Sofiane. Les fonctionnaires lui auraient dit «qu’ils sont venus pour une bagarre». Les trois amis assurent pourtant qu’ils ne se battaient pas, et qu’ils ne faisaient pas trop de bruit. De concert, ils disent ne pas comprendre non plus la bascule qui va alors se jouer, car «personne n’était agressif», assure Sofiane. Mahedine Tazamoucht ignore les agents et cherche ses clés dans la voiture, quand un policier l’agrippe, mais «ils ne m’ont pas dit qu’ils me contrôlaient». Sofiane confirme : «Il n’y a pas eu de discussion» entre l’agent et son ami. Mahedine Tazamoucht se retrouve rapidement au sol, menotté. Bien que maîtrisé, il dit avoir été «gazé à même les yeux», au point de ne plus pouvoir les ouvrir. Sofiane et Ilyes racontent avoir demandé aux policiers d’arrêter, sans succès. Des renforts sont appelés pour tous les interpeller.

 

Les «injures racistes» et l’«acharnement»

«Il y a plusieurs policiers qui avancent vers moi, donc je recule. J’arrive sous un porche, et là ils me passent à tabac, affirme Ilyes. Ils m’ont tapé, puis mis les menottes, puis ils m’ont tapé de nouveau.» A ce moment, le jeune homme qui travaille dans la sécurité pense avoir entendu quelqu’un crier «Arrêtez, arrêtez», sans savoir si c’est un des agents ou un riverain témoin de la scène.

Les trois amis sont emmenés au commissariat de Juvisy-sur-Orge, ville voisine d’Athis-Mons. Auparavant, le premier équipage qui a pris en charge Mahedine Tazamoucht l’emmène à l’hôpital de Juvisy-sur-Orge, car il «n’arrive plus à respirer» à cause du gaz lacrymogène. Mais à peine entré dans le hall des urgences, il crie au personnel que les policiers l’ont violenté, raconte-t-il, et ces derniers lui font faire demi-tour. Dans la voiture, Mahedine Tazamoucht évoque de nouveaux coups, notamment au ventre, ainsi que des insultes : «C’était des injures racistes : “Sale arabe”, “bougnoule”», se souvient-il. Pour une raison que ses amis et lui disent ne pas comprendre, c’est Mahedine Tazamoucht qui va faire l’objet de l’«acharnement» des policiers. Car le calvaire décrit par l’électricien ne fait que commencer.

 

Les violences les plus graves se seraient déroulées dans les couloirs du commissariat, selon les trois jeunes hommes, qui y sont amenés dans la nuit. Mahedine Tazamoucht dit avoir été assis sur une chaise en caleçon, pieds nus, les mains toujours menottées, «dans un couloir sans caméra». «Certains coups, je les entendais, je ne les sentais même plus», rapporte le jeune homme. Il décompte aujourd’hui au moins une vingtaine de minutes de souffrance : «Ils se déchaînaient, ils me mettaient des coups de poing au visage, des coups de pied avec la pointe de leurs chaussures dans mes tibias, ils me marchaient sur les pieds. Ils en rigolaient, il y avait à peu près six policiers à ce moment dont trois qui me frappaient. Ils s’amusaient aussi à me mettre des coups de Taser dans l’épaule et un dans le cou. Puis, ils m’ont menacé de me taser les parties intimes.»

Mahedine Tazamoucht le répète : «Je ne sentais plus mes mains, à cause des menottes.» Quand nous le rencontrons jeudi 12 mai, il porte encore des marques au niveau des poignets. «On te les desserre pas, elles sont pas encore noires», lui aurait asséné un policier, d’après son témoignage et ceux de ses amis qui ont été témoins, en partie, des faits. Sofiane et Ilyes expliquent en effet avoir été menottés sur un banc, dans une pièce attenante. Une porte les sépare, et quand elle s’ouvre, Sofiane dit voir la scène. Le reste du temps, lui et Ilyes assurent entendre l’ensemble des coups des agents et les cris de leur ami. «Ensuite, quand il est passé devant moi pour qu’ils le mettent en cellule, je l’ai pas reconnu», rembobine Sofiane.

Une quarantaine de lésions

Un examen médico-légal réalisé mardi 10 mai, au cours de la garde à vue, au centre hospitalier Sud Francilien à Corbeil-Essonnes, a permis de relever de nombreuses traces de blessures sur le corps de Mahedine Tazamoucht. Dans le certificat médical consulté par Libération, la liste des blessures constatées est si longue qu’après avoir débordé d’une feuille recto verso, elle remplit une troisième page. Le médecin légiste note près d’une quarantaine de lésions de plusieurs centimètres chacune, sur son visage et l’ensemble de son corps : des ecchymoses, des abrasions, des stries… Une blessure au niveau de l’oreille gauche nécessite un examen complémentaire réalisé par un médecin ORL. Ce dernier atteste que du sang est visible dans son tympan, et qu’il y a une perte d’audition. Le service médico-judiciaire évalue les blessures de Mahedine Tazamoucht à quatre jours d’incapacité totale de travail (ITT). Quand nous le rencontrons, il s’inquiète de ne toujours pas bien entendre d’une oreille.

Des photos prises peu après les faits permettent d’observer ces nombreuses blessures. L’une d’elles montre des entailles au niveau des poignets qui pourraient correspondre aux lésions provoquées par des menottes trop serrées. Sur deux autres, des plaies compatibles avec l’usage d’un Taser, au niveau des épaules du jeune homme. Son ami Ilyes est également examiné par un médecin peu avant la fin de sa garde à vue. Les ecchymoses et abrasions qu’il impute aux agents lui valent deux jours d’ITT, d’après le certificat médical que nous avons consulté.

La garde à vue de Mahedine Tazamoucht est levée quelques heures après cet examen médical, sans poursuites judiciaires pour l’instant. Il rentre chez lui en début de soirée. Sa famille découvre son état : les habits couverts de gaz lacrymogène – «irrespirable», précise Linda Lemaini – mais surtout les blessures. Les deux parents décident alors d’aller, le soir même, au commissariat de Juvisy-sur-Orge pour demander des comptes aux policiers. Ils ne dépasseront pas le sas de l’accueil. «Ils nous ont dit d’aller voir ça avec l’IGPN, alors c’est ce qu’on a fait», lâche sa mère.

 

Des images de vidéosurveillance à exploiter

La plainte de Mahedine Tazamoucht est déposée vendredi 13 mai à la délégation parisienne de la police des polices, comme Libération a pu le vérifier. Pour retracer les faits, les enquêteurs pourront s’appuyer sur de nombreux éléments. L’électricien se dit capable de reconnaître les policiers qu’il accuse de l’avoir «torturé» : «Je ne les avais jamais rencontrés, jamais vus, mais je les reconnaîtrai tous, sûr et certain.» Ses deux amis se disent également prêts à être auditionnés à ce sujet et ont déjà rédigé des attestations. Aussi, l’exploitation des différentes images de vidéosurveillance à l’entrée de l’hôpital et du commissariat pourrait permettre d’observer si le visage du jeune homme était bien indemne de traces de coups avant d’entrer dans le commissariat. De même, le personnel d’accueil de l’hôpital pourra témoigner de la réalité du premier passage avorté aux urgences et de l’état du jeune homme avant son arrivée au poste de police. Enfin, le déclenchement du Taser est enregistré dans un journal interne qui permet de retracer l’heure précise et la durée des décharges.

 

Toute la famille est désormais déterminée à dénoncer les violences décrites par les trois jeunes hommes. La mère de Mahedine Tazamoucht se lance dans le combat judiciaire avec détermination et méthode. Sur la chaise à côté d’elle, le père du jeune homme a les dents serrées de colère. Regard noir, il s’emporte contre «les policiers qui ne sont pas des policiers mais des voyous» : «Mon fils rentre en garde à vue, il n’a rien, je le récupère, il s’est fait tabasser.»

Contactée par Libération, la préfecture de l’Essonne a refusé de s’exprimer en prétextant que seul «le parquet est compétent» pour communiquer sur les faits – ce qui est faux – et que «des plaintes» ont été déposées, sans nous en donner les motifs. Les policiers accuseraient d’«outrages et rébellion»Mahedine Tazamoucht et ses amis. Une ligne de défense utilisée quasi systématiquement par des policiers mis en cause pour des violences. Contacté vendredi, le procureur de la République d’Evry n’a pu donner la raison de leur interpellation. Le parquet confirme cependant que les trois interpellés avaient bien mentionné des violences de la part des policiers au cours de leurs auditions, et que leurs gardes à vue avaient été levées dans l’attente d’actes d’enquête supplémentaires, sans nous préciser dans quel cadre ou pour quels motifs. A l’occasion de son dépôt de plainte auprès de l’IGPN, Mahedine Tazamoucht a obtenu un rendez-vous avec un médecin d’une unité médico-judiciaire cette semaine, pour réaliser de nouveaux examens. Sa mère se veut confiante : «Il est en état de choc, ne mange plus, il va mal, mais on va le relever.»