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Faut-il se restreindre pour sauver la planète ?

 

Certains écologistes sont partisans d’une limitation drastique des vols, imaginant même qu’un certain nombre serait attribué par tirage au sort. (plainpicture/Bias)

Certains ont déjà décidé de se passer de viande, de ne plus voyager en avion ou de ne pas avoir d’enfant. Si on veut que le monde soit encore « respirable » dans trente ans, faut-il obliger l’ensemble des citoyens à suivre leur exemple ? Le débat est ouvert.

     

Dans la famille écolo, la préposition principale a longtemps été « contre ». Contre la pollution, contre les pesticides, contre l’automobile… Dernièrement, c’est « sans  » qui semble l’emporter. Sans quoi ? Sans tout ce qui émet des quantités énormes de gaz à effet de serre et débousolle le climat. De fait, de plus en plus de citoyens décident aujourd’hui de « faire sans » : ils limitent voire arrêtent la viande, boycottent les emballages plastiques, se passent, dans la mesure du possible, de leur voiture, refusent tout voyage en avion, s’offrent de l’occasion plutôt que du neuf, et, dans le cas des Ginks (green inclined, no kids), renoncent à la parentalité pour le bien de la planète.

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Mais à quoi servent ces « petits gestes » d’une minorité si l’écrasante majorité de la population continue, en toute insouciance, à vomir des tonnes de CO? La « fable du colibri », très populaire chez les fans du paysan écologiste Pierre Rabhi, semble avoir un coup dans l’aile : cette idée, réconfortante, selon laquelle le colibri n’éteindra pas le « grand incendie » en portant une petite goutte dans son bec, mais aura la satisfaction de faire sa part n’est qu’une mince consolation.

« Une décroissance imposée »

Une nouvelle idée est donc en train d’éclore, qui ressemble un peu à une question du bac philo : faut-il réclamer des Etats qu’ils nous obligent collectivement à limiter nos libertés si celles-ci sont néfastes pour la planète ? « Personne n’a envie d’entendre parler d’économie de guerre avant que la guerre ait commencé, mais la guerre a déjà commencé ! tranche Yves Cochet, membre du conseil national d’EELV et partisan d’une décroissance étatique. Or, pendant une guerre, eh bien, on se rationne – j’assume le mot, même s’il fait peur. »

Il fait en tout cas frémir Pascal Canfin, ex-président du WWF et actuel candidat LREM aux européennes : « Dès qu’on parle de “dictature verte’”, je suis toujours très réticent : toutes les avancées doivent se faire dans le cadre du respect des libertés, et si nos démocraties n’en sont pas capables, c’est que nous ne sommes pas capables d’évoluer. N’oublions pas que les régimes autoritaires se nourrissent souvent de “bonnes intentions”. Le désir légitime de vaincre les inégalités sociales a enfanté le cauchemar soviétique. »

A rebours de cette vision d’horreur, l’astrophysicien écolo Aurélien Barrau entend, lui, inscrire ce qu’il nomme, dans son dernier essai, « le Plus Grand Défi de l’histoire de l’humanité. Face à la catastrophe écologique et sociale », publié chez Michel Lafon début mai, une « décroissance imposée » dans une vision respectueuse des libertés fondamentales. « Nous sommes tous des êtres faibles, moi le premier », explique-t-il à “l’Obs”.

« Vous n’avez pas le droit de tuer quelqu’un dans la rue parce que sa tête ne vous revient pas, pas plus que de rouler en état d’ébriété parce que cela vous chante. Pourquoi a-t-on encore le droit de détruire la planète. Est-on libre quand on ne peut plus sortir de chez soi parce qu’il fait chaud, respirer un air non pollué, boire une eau pure ?

 

Ces questions, très actuelles, rôdent en réalité déjà chez les philosophes des Lumières : « Tout homme qui a un pouvoir est porté à en abuser : il va jusqu’à ce qu’il trouve des limites », écrit Montesquieu dans son « De l’Esprit des lois » (1748). Et la civilisation démocratique repose sur l’idée qu’aucune liberté n’est possible sans limiter la « liberté » du tyran. Or, le consommateur occidental, qui dévore 2 et 5 planètes par an pour assouvir ses désirs, est-il autre chose, malgré lui, qu’un petit tyran ?

On se demande concrètement à quoi ressemblerait une vie rationnée : faudrait-il que les autorités fixent des quotas hebdomadaires de viande, des plafonds annuels de kilomètres « carbonés » à ne pas dépasser ? « Oui il faudrait aller vers quelque chose comme ça », estime Yves Cochet qui défend, par exemple, l’idée de « carte carbone » : une carte à puces distribuée à chaque citoyen avec un plafond annuel de droits d’émissions énergétiques et qui serait utilisée dans les stations-services, pour payer ses factures de gaz et d’électricité, etc.

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Ces quotas seraient calculés sur la quantité d’émissions que la France s’est engagée à ne pas dépasser, et divisés par le nombre de Français. « Ce système serait moins inégalitaire que celui que nous connaissons, puisqu’aujourd’hui, ce sont vos moyens financiers qui rationnent de fait votre consommation », explique-t-il. Dans son système, les plus aisés auraient quand même la possibilité d’acheter des « crédits » à ceux qui consentent à les leur vendre – et ne les utilisent donc pas. Mais il suffirait de fixer des tarifs de crédits assez élevés pour dissuader les trop gourmands.

Un marché des droits à procréer

Cette idée s’approche de celle que défend Antoine Buéno dans son ouvrage, « Permis de procréer », publié chez Albin Michel en février. Sachant que chaque nouvelle vie (occidentale) émet en moyenne 58,6 tonnes équivalent CO2 par an, soit vingt-cinq fois une voiture à essence, il estime, lui, qu’il faut limiter les naissances.

« Mais je ne prône ni l’interdiction de procréer, ni l’eugénisme, ni les avortements forcés, ni la stérilisation, prévient l’essayiste. Mon idée respecte complètement les droits humains. » Il voudrait mettre sur pied un « marché mondial des droits à procréer » où des crédits pourraient s’échanger.

« Les pays les plus riches devraient verser une somme d’argent à chaque 10 000 naissances. Les plus pauvres recevraient cette somme à chaque 10 000 “non-naissances”. »

 

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Ce qui aurait pour effet, dans nos pays, de cesser de soutenir une politique nataliste qu’il juge désastreuse et, dans les pays du Sud, d’encourager la maîtrise de leur démographie, ce qui serait bon pour leur développement. Il y a enfin le principe du tirage au sort : Julien Goguel, partisan d’une limitation drastique des vols aériens, imagine ainsi qu’un certain nombre annuels de vols (500 000 par an, si l’on veut respecter les 1,5°C, dit le rapport B&L Evolution) donnerait lieu à un tirage au sort : les plus veinards (au lieu des plus riches), pourraient s’envoler vers Acapulco ou Kuala Lumpur. Et avoir la joie de faire un voyage vraiment exceptionnel.

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