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Règlement Reach : la Commission européenne reporte son plan d’interdiction des produits chi



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Règlement Reach : la Commission européenne reporte sine die son plan d’interdiction des produits chimiques dangereux

Plusieurs fois repoussée, la révision de la réglementation sur les substances chimiques ne figure pas dans le programme de travail 2024 que la Commission doit rendre public le 17 octobre.

Par Stéphane Foucart et Stéphane Mandard

Publié le 17 octobre 2023 à 06h15, modifié le 17 octobre 2023 à 08h50

 

  Ursula von der Leyen, lors de la présentation du Green New Deal, devant le Parlement européen, le 11 décembre 2019, à Bruxelles.

Il y a exactement un an, plusieurs députés européens s’insurgeaient du report au quatrième trimestre 2023 de l’examen de la révision du règlement européen sur les produits chimiques, dénonçant une victoire des lobbys de l’industrie sur la santé et l’environnement. La suite des événements semble leur donner raison. La Commission européenne devait publier, mardi 17 octobre, son programme de travail pour 2024 : il est expurgé de toute mention de la révision annoncée au début du mandat d’Ursula von der Leyen, qui se terminera en juin 2024.

 

 

 

Présentée comme un pilier de la stratégie « zéro pollution » du Pacte vert (ou Green Deal), cette réforme du règlement Reach (Registration, evaluation and authorization of chemicals « enregistrement, évaluation et autorisation des produits chimiques ») devait permettre en particulier, à l’horizon 2030, d’interdire ou de restreindre massivement l’usage d’une multitude de produits chimiques dangereux, présents dans de nombreux produits de consommation courante : jouets, emballages et contenants alimentaires, vêtements, meubles, appareils électroniques, cosmétiques, peintures, produits d’entretien, etc.

 

Interrogée lundi 16 octobre, la Commission ne souhaitait pas commenter l’absence de la réforme Reach de son agenda pour l’année à venir, affirmant que les discussions étaient en cours. Une source proche du dossier assure au Monde que la décision est actée depuis plusieurs jours, et que la Belgique, pays qui prendra la présidence du Conseil de l’Union européenne (UE) à partir du 1er janvier 2024, a dû retirer de son propre programme d’actions toute mention de Reach, dossier « ultrasensible ».

 

« Révolution »

Saluée comme la promesse d’une « révolution », cette réforme vise à simplifier et à rendre plus efficace le travail de fourmi de l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA) en passant à une évaluation des risques par familles de substances et non plus au cas par cas. A l’échelle de l’UE, environ 300 millions de tonnes de substances chimiques sont produites chaque année par l’industrie, selon Eurostat, l’office statistique européen. Une grande majorité (74 %) de ces substances sont considérées comme « dangereuses pour la santé ou l’environnement » par l’Agence européenne pour l’environnement. Et 18 % sont classées comme potentiellement cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques.

Phtalates, bisphénols, parabens, éthers de glycol, retardateurs de flamme bromés, composés perfluorés ou encore substances per- et polyfluoroalkylées (PFAS) : les services de la Commission ont eux-mêmes évalué la magnitude du fardeau sanitaire et économique de l’exposition chronique de la population européenne à ces produits dangereux. Celles-ci sont impliquées dans une diversité de maladies en raison notamment de leur potentiel perturbateur endocrinien. « Des bénéfices directs pour la santé des consommateurs et des travailleurs, comme une meilleure fertilité, une baisse d’incidence de l’obésité, de l’asthme, de maladies neurologiques et du cancer, sont attendus de la réduction de l’exposition aux produits chimiques les plus dangereux », lit-on dans les passages-clés de l’étude d’impact de la Commission, révélés en juillet par Le Monde.

 

 

Au total, selon la sévérité des mesures de retrait envisagées, l’étude en question estimait que la traduction économique des bénéfices attendus pour la population européenne se situait entre 11 et 31 milliards d’euros par an à l’échelle de l’UE. Le poids économique de telles mesures pour les secteurs industriels concernés était de l’ordre de dix fois inférieur, compris entre 0,9 et 2,7 milliards d’euros par an.

 

Outre les mesures d’interdiction des substances les plus problématiques, d’autres législations semblent passer par pertes et profits. En particulier, les projets visant à interdire l’exportation, des Etats membres, de substances interdites en Europe. Ou encore les projets de pérennisation du financement et de clarification des tâches affectées à l’ECHA, en première ligne dans le travail d’évaluation des substances chimiques.

Depuis plusieurs mois, les géants allemands de la chimie, Bayer et BASF en tête, s’activaient en coulisse pour faire dérailler le projet de révision. Ils multipliaient les interventions auprès de la Commission pour lui demander de marquer une pause dans sa « stratégie pour la durabilité des produits chimiques » et de repousser toutes les initiatives législatives faisant « peser des charges supplémentaires sur la compétitivité de l’industrie ». Principale raison invoquée : le contexte de crise énergétique lié à la guerre en Ukraine, qui menacerait les compagnies européennes. En septembre 2022, le commissaire au marché intérieur et à l’industrie, Thierry Breton, après le chef de file des députés conservateurs au Parlement européen, Manfred Weber, avait appelé à un « moratoire ».

 

Virage à 180 degrés

Le 27 septembre, c’est cette fois le chancelier allemand, Olaf Scholz, qui a rappelé que « l’industrie chimique [était] l’un des secteurs les plus importants de l’économie allemande ». A la suite d’une réunion avec les représentants du secteur, il a pris ses distances avec la finalité de la révision : plus question d’interdiction globale, en particulier pour les « polluants éternels », les PFAS. Un virage à 180 degrés avec les positions défendues jusqu’ici par l’Allemagne. Il y a un an, les ministres de l’environnement de huit pays, dont l’Allemagne, avaient en effet écrit à la Commission pour lui demander de « tenir ses promesses » et de « ne pas laisser la révision Reach à la prochaine Commission ». Egalement signataire de la lettre, le ministre de la transition écologique français, Christophe Béchu, n’a pas répondu aux sollicitations du Monde.

« Actuellement, l’ambiance politique au sein des Etats membres et au Parlement n’est pas exactement à la protection de la santé et de l’environnement, mais plutôt à la protection de la compétitivité des entreprises ou à la défense du pouvoir d’achat, explique une source bruxelloise. Ce n’est peut-être pas une si mauvaise chose que l’examen de la révision de Reach soit reportée à la prochaine législature. » De source proche de la Commission, on assure que, si la réforme n’est pas adoptée au cours de cette législature, le travail technique sur le sujet ne va pas s’interrompre pour autant.

De leur côté, les organisations non gouvernementales ne cachent pas leur amertume. « La Commission européenne a trahi les citoyens européens en fermant les yeux sur la pollution chimique et en favorisant les intérêts à court terme des industries toxiques au détriment des citoyens », considère Tatiana Santos, chargée de la régulation de la chimie au Bureau européen de l’environnement, un réseau d’associations de défense de l’environnement installé à Bruxelles. « Il est désormais clair que les profits de l’industrie chimique sont plus importants que la santé des Européens. Nous ne resterons pas les bras croisés alors que notre santé, notre environnement et l’avenir de tous les êtres vivants sont sacrifiés pour des gains toxiques à court terme. Les citoyens exigent des comptes », affirme Mme Santos.