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A Lyon, alerte humanitaire à l’intérieur du nouveau centre de rétention administrative

En effectuant une visite surprise, la députée européenne Sylvie Guillaume a pu observer la pression subie par les personnels. L’association Forum réfugiés a suspendu ses activités à plusieurs reprises, en raison de l’insécurité.

 

Par Richard Schittly(Lyon, correspondant)

 

 Manifestation contre les centres de rétention administrative et la loi immigration portée par le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, à Lyon, le 18 février 2023.

Manifestation contre les centres de rétention administrative et la loi immigration portée par le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, à Lyon, le 18 février 2023. NORBERT GRISAY / PHOTOPQR/LE PROGRES/MAXPPP

Mis en service depuis un an, le nouveau centre de rétention administrative (CRA) de Lyon, discrètement implanté près de l’aéroport Saint-Exupéry, connaît de sérieux problèmes humanitaires, comme a pu le découvrir Sylvie Guillaume lors d’une visite surprise, vendredi 3 mars. En rentrant dans l’enceinte ultra-sécurisée, comme le lui permet son statut de parlementaire, la députée européenne (Parti socialiste, Alliance progressiste des socialistes et démocrates) a appris que les intervenants de l’association Forum réfugiés ont suspendu leur activité à plusieurs reprises depuis le début de cette année, à cause de l’insécurité. Et qu’une société privée assure les soins médicaux, en remplacement du personnel hospitalier que n’arrivent pas à recruter les hospices civils de Lyon (HCL), en raison des réticences qu’inspire le lieu, entouré de hauts murs hérissés de barbelés.


Chargé d’assister une population en transit, le personnel a l’impression d’exercer en milieu carcéral, sans les moyens de l’administration pénitentiaire, sous pression permanente de comportements imprévisibles. « Le ministre de l’intérieur a donné consigne de placer systématiquement en rétention les personnes interpellées sur des critères de trouble à l’ordre public, ce qui provoque un changement profond du public concerné », constate Sylvie Guillaume, membre de la commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures du Parlement européen. Plusieurs intervenants lui ont rapporté des cas d’agressions, de trafics de médicaments, et de tentatives de suicide – non confirmés par les services de police.


En 2022, le CRA de Lyon, qui compte 140 places, a compté 32 % de sortants de prison, un record. S’y concentre une sociologie explosive mêlant délinquants, toxicomanes et migrants en perdition. Dans la salle de contrôle, les policiers ont punaisé au mur les profils jugés les plus dangereux, dont un ancien détenu fiché S et un individu souffrant de troubles psychologiques. « Les interactions ont changé. Les personnes retenues sont difficiles à raisonner et ne supportent pas la frustration. Dans leur tête, elles ont droit à tout. Il est impossible d’envisager une circulation libre entre les locaux. Certains groupes aux origines différentes se battent lorsqu’ils se croisent », indique à la députée le chef des 195 agents de la police aux frontières (PAF) chargés de la surveillance permanente du site. Le mobilier est dégradé et remplacé en permanence, les murs salis.

 

« Beaucoup souffrent de maladie mentale »

Sous surveillance de 180 caméras, le bâtiment est composé de sept blocs d’hébergement, hermétiquement séparés, avec cour au ciel grillagé. Les déplacements se font à horaires fixes par le jeu de portes automatisées, bloc par bloc. La tension se concentre dans la zone d’accès contrôlée (ZAC), où chaque bloc se rend une fois par jour, pour toutes les démarches sanitaires et administratives. « Cet endroit n’est pas du tout sûr. Notre travail est devenu anxiogène. Nous recevons les gens un par un, pendant qu’une quinzaine d’autres attendent de l’autre côté de la porte, pendant une heure, dans un espace fermé. Beaucoup souffrent de maladie mentale », raconte un intervenant. Sa conversation avec la députée européenne est fréquemment interrompue par des cris et des coups violents sur la porte métallique. « C’est comme ça toute la journée…  », souffle le permanent.

 

« Nous avons suspendu nos interventions à plusieurs reprises car nous ne nous sentions plus en sécurité. Ce nouveau centre de rétention a été conçu avec une logique pénitentiaire. Les rapports entre les policiers et les réfugiés ont changé », confie Assane Ndaw, directeur Accompagnement en centre de rétention administrative de Forum réfugiés. La préfecture a engagé une concertation et des travaux pour améliorer la configuration des lieux.

L’organisation humanitaire lyonnaise intervient dans d’autres centres de rétention à Marseille, Nîmes, Perpignan et Nice, et peut les comparer avec le fonctionnement inédit de ce nouveau centre, voulu par le ministre de l’intérieur Gérald Darmanin. Lyon devrait servir de modèle à deux prochains centres, pour accélérer les reconduites à la frontière. En 2022, le CRA de Lyon a affiché un taux d’éloignement de 60 %, avec une durée moyenne de rétention de vingt-six jours, contre trente-quatre à Marseille. « C’est une efficacité administrative au prix humain exorbitant. Dans d’autres pays européens, comme en Allemagne, l’administration étudie toutes les solutions pour un étranger, avant de mettre en œuvre un ordre de quitter le territoire. Ce qui évite d’enfermer les gens dans de telles conditions, plaçant policiers et personnels dans des conditions très dures », estime Sylvie Guillaume, en sortant du labyrinthe en béton.

 

Richard Schittly(Lyon, correspondant)