source alternatives-economiques.fr par Justine Canonne
La végétalisation des friches et des centres urbains est dans l’air du temps. Et pour cause, elle peut contribuer à atténuer les effets du dérèglement climatique et jouer un rôle positif pour la santé.
En France, le début de l’année 2020 fut le plus chaud enregistré depuis 1900. De quoi augurer un été ponctué de vagues caniculaires et mobiliser les pouvoirs publics. L’été dernier, la ville de Bordeaux a mis en place son plan Canopée, projet de plantation de 20 000 arbres d’ici à 2025 (1). Nice, quant à elle, a lancé en 2019 un projet d’implantation de six kilomètres d’artères vertes. Et Bruxelles a instauré la même année une prime verte, récompensant les habitants verdissant leurs toitures avec des plantes grimpantes.
L’objectif ? Lutter contre les « îlots de chaleur » urbains, élévations localisées de températures observées en ville par rapport aux zones rurales et forestières voisines, en raison de l’architecture, de l’imperméabilisation des sols par des matériaux tels que le goudron ou le béton, et de la concentration d’activités humaines. A contrario, la végétation contribue à créer des îlots de fraîcheur : une étude états-unienne a montré qu’elle permet, par endroits, d’abaisser le thermomètre d’au moins 5 °C, selon la densité de la couverture végétale (2).
Inflexions municipales
La ville de Paris a, elle, créé en 2015 un permis de végétaliser, mettant à disposition des citadins des semences pour faire pousser fleurs et plantes dans la capitale. Une initiative qui s’inscrit dans une stratégie plus vaste de résilience urbaine : création ou extension d’espaces verts, projets de forêts urbaines, rues et murs végétalisés, « débitumisation » et végétalisation de cours d’école, appelées à devenir des « cours Oasis »…
« Cette impulsion des villes remonte à plus d’une décennie, observe Marjorie Musy, directrice de recherche au Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema), coautrice de Vivons la ville autrement (3). L’approche a néanmoins évolué : si, dans les années 2000, le critère principal du développement urbain durable était la biodiversité, il y a eu un glissement vers celui de l’adaptation au changement climatique, enjeu pressant à l’heure actuelle. »
Dans le palmarès 2020 des villes vertes, classées selon des critères de densité d’espaces verts ou encore d’investissement dans des chantiers de végétalisation, Angers et Nantes font la course en tête (4). « Les villes de l’ouest sont peut-être à l’origine moins minérales, moins denses, plus aérées que d’autres villes françaises, décrypte Marjorie Musy. Leur végétalisation n’est d’ailleurs pas forcément due à des politiques en matière climatique car, ayant un climat océanique, elles sont globalement moins rudement touchées par les canicules. D’autres, à l’instar de Lyon ou Marseille, sont si touchées par ce phénomène caniculaire qu’elles doivent avancer à marche forcée pour rafraîchir la ville. »
Microforêts natives
Alors que le verdissement des villes s’était aussi invité dans les promesses de candidats aux élections municipales de 2020, avant l’interruption de la campagne, des projets de végétalisation des villes et friches urbaines portés par des citoyens éclosent également en divers endroits de France. A l’image de l’association MiniBigForest, dont l’aventure commence en 2018 : ses fondateurs, Stéphanie Saliou et Jim Bouchet, assistent alors à une conférence de Shubhendu Sharma, créateur d’Afforest, organisation indienne plantant des « microforêts natives », en appliquant la méthode du botaniste japonais Akira Miyawaki, et décident de s’en inspirer.
Des projets de végétalisation des villes et friches urbaines portés par des citoyens éclosent également en divers endroits de France
« La méthode Miyawaki consiste à planter très dense, de trois à cinq arbres au mètre carré, afin de stimuler à la fois la coopération et la compétition entre les végétaux pour la course vers la lumière, explique Jim Bouchet. Chaque mètre carré est balisé pour y planter selon trois strates – arbrisseau, arbre de taille moyenne, grand arbre –, ce qui participe à recréer rapidement un écosystème. Les sols auront été auparavant restaurés, par amendement de compost par exemple, de façon à reconstituer un sol vivant. Un autre principe des microforêts natives est de planter des essences locales spontanées, présentes de façon endémique et poussant sans apport humain. Cela implique, avant de planter, de cartographier les essences de la zone. »
Forts de ces concepts, les fondateurs de MiniBigForest se sont lancés dans des projets de reforestation dans l’agglomération nantaise, soutenus par la municipalité et en s’appuyant sur des dons privés de fondations (Fondations Léa Nature, Maisons du monde, Nature & Découvertes…) et de particuliers. Cela concerne quelques centaines d’arbres à chaque fois. « L’objectif n’est pas l’exploitation forestière, reprend Jim Bouchet, mais de recréer des écosystèmes s’inspirant de forêts naturelles, en capacité de ramener de la biodiversité dans le milieu d’implantation. » Le fondateur de MiniBigForest ne tarit d’ailleurs pas d’éloges sur le rôle positif du végétal en ville : « Dans des espaces urbains morcelés, il remplit notamment une fonction de corridor écologique, en garantissant le passage de la faune. »
Fermes urbaines
Autre modèle, entrepreneurial celui-ci, celui de Merci Raymond, jeune pousse francilienne fondée en 2015 par Hugo Meunier, guidé par son envie de devenir « jardinier urbain » : « Je me suis inspiré de projets ayant émergé aux Etats-Unis, en particulier Detroit et ses fermes urbaines, nées dans une visée d’autonomisation alimentaire après la crise économique de 2008. » Merci Raymond conduit en particulier des projets d’agriculture urbaine autour de la capitale, via la récupération de surfaces cultivables en milieu urbain et périurbain et l’accompagnement à l’installation de maraîchers en permaculture. « Le but est à la fois la production locale de nourriture, mais aussi de renouer le lien ville-campagne, de valoriser la pleine terre et les zones maraîchères », poursuit son fondateur.
Objectif ultime de Merci Raymond ? Aller de la graine à l’assiette, un défi réalisé avec le restaurant locavore Le Relais, sis en plein cœur de Paris, où les producteurs locaux sont mis à l’honneur dans les plats. Quant aux effets de la végétalisation, ils ne sont que positifs pour Hugo Meunier : « La plantation de fleurs mellifères favorise par exemple la pollinisation par les abeilles, tandis que la pleine terre limite le ruissellement des eaux. »
Les bienfaits de la nature en ville
L’Agence de la transition écologique (Ademe) ne dit pas autre chose (5) : accueil de la biodiversité, confort thermique estival, qualité des sols et de l’air, gestion des eaux pluviales et prévention des inondations…
Quant à l’atténuation du réchauffement climatique, la végétalisation a un impact réel… jusqu’à un certain point. Car, si les arbres stockent du carbone, « ce stockage atteint un maximum en quelques décennies et est variable en fonction du climat, des végétaux, des sols, des pratiques d’entretien, soulève l’Ademe. Les gains représentés (...), bien que non négligeables, ne permettent pas toujours de compenser les émissions de gaz à effet de serre liées aux activités humaines (...). Pour préserver, voire augmenter, le potentiel d’atténuation du changement climatique, il est au moins aussi important (...) de limiter la consommation de sols naturels, forestiers et agricoles par l’urbanisation. »
« Le potentiel de dépollution de la végétation est assez faible à l’échelle urbaine, le principal levier restant la réduction de la pollution à la source », souligne l’Ademe
Si l’avenir – durable – de la ville semble passer par sa végétalisation, celle-ci doit donc s’accompagner de mesures de reconfiguration urbaine d’ampleur et de changements comportementaux pour être pleinement efficace. « Dans certains quartiers, des solutions légères, comme la désimperméabilisation des sols, suffisent, mais, ailleurs, de grands plans de renouvellement du bâti sont nécessaires, relève Marjorie Musy. Se pose aussi la problématique de l’héritage de grandes surfaces artificialisées, des contraintes à inscrire dans les documents d’urbanisme… Des questions au croisement d’enjeux tant pratiques que culturels. »
En matière de confort thermique du bâti, par exemple, « les dispositifs végétalisés montrent une bonne capacité à limiter l’inconfort thermique, en particulier dans les bâtiments peu isolés, note ainsi l’Ademe. Pour autant, ils ne constituent qu’un complément à l’isolation thermique et à la conception bioclimatique des bâtiments ». Et en matière de pollution de l’air, la végétation filtre certes les particules fines, à l’origine de 42 000 morts prématurées par an en France, pour un coût estimé pour la société de 20 et 30 milliards d’euros (6). Mais « ramené aux quantités de polluants atmosphériques présents en ville, souligne l’Ademe, le potentiel de dépollution de la végétation est assez faible à l’échelle urbaine, le principal levier restant la réduction de la pollution à la source ».
Une vocation sociale et pédagogique
Réduire la pollution à la source, limiter l’artificialisation des sols, mieux intégrer le végétal à nos vies… Des enjeux majeurs pour lesquels les partisans du vert en ville estiment que la végétalisation doit impliquer les citoyens. Et ce, dès le plus jeune âge, plaide Jim Bouchet, dont certaines miniforêts urbaines participatives sont plantées par des écoliers, dans le cadre de projets pédagogiques menés en partenariat avec des enseignants. « Cet axe de sensibilisation du public est au moins aussi fort que l’acte de plantation lui-même », pointe le fondateur de MiniBigForest.
Quant à l’entreprise Merci Raymond, elle mène, sur sollicitation de bailleurs sociaux et de communes, des projets pédagogiques d’agriculture urbaine dans des quartiers prioritaires de la politique de la ville, tel le projet Green Borne dans la cité de la Grande Borne, dans l’Essonne. « Vecteurs de lien social, ces projets permettent aussi une reconnexion au vivant, en particulier pour des générations nées en ville, qui n’ont pas grandi avec de la verdure autour d’elles, note Hugo Meunier. Or, l’humain ne doit pas être déconnecté de la nature, mais s’y intégrer. »
- 1. La ville compte 46 000 arbres, hors berges de la Garonne.
- 2. « Scale-Dependent Interactions between Tree Canopy Cover and Impervious Surfaces Reduce Daytime Urban Heat during Summer », par Carly D. Ziter et al., PNAS 116 (15), avril 2019,
- 3. Avec Laurence Estival, Quae éditions, 2017.
- 4. Observatoire Unep-Hortis des villes vertes, février 2020.
- 5. « Aménager avec la nature en ville. Des idées préconçues à la caractérisation des effets environnementaux, sanitaires et économiques », Ademe, octobre 2018,
- 6. « Pollution de l’air et santé : le coût pour la société », Commissariat général au développement durable, Le point sur n° 175, octobre 2013,