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« Avatar » : « Ne pas confondre mièvrerie animalière et implication écologiste » Frédéric Ducarme, chercheur en philosophie de l’écologie, Muséum National d’Histoire Naturelle

 

« Traitement spirituel de la question environnementale proche des stages de développement personnel », « peluchisation de la biodiversité »… analysant le dernier film de James Cameron, Frédéric Ducarme, chercheur en philosophie de l’écologie, estime, dans une tribune au « Monde », qu’il est fallacieux de le qualifier de « fable écologique »

 

Alors que le deuxième volet de la saga Avatar fait une entrée fracassante en salles, c’est presque toute la presse qui reprend à son compte la formule de James Cameron pour le désigner : une « fable écologique ». On peut pourtant s’étonner qu’un film essentiellement caractérisé par sa débauche technologique et financière puisse être qualifié d’« écologique » ou d’« écologiste ».

Mais d’ailleurs, que serait un cinéma écolo ? Film dénonciation (Don’t look up), fiction climatique (Soleil Vert), documentaire politique (Une vérité qui dérange), film de contemplation (Blue Planet II), de sensibilisation (Wall-E), ou même film à faible empreinte carbone (Bigger than us, et les films suivis par Ecoprod) ?

La question agite les théoriciens du cinéma depuis plusieurs années, d’autant plus que le cinéma est l’art le plus typique de la société industrielle, étant une industrie lui-même, avec des moyens qui peuvent être ceux d’une multinationale – surtout chez James Cameron.

Une reprise de la mythologie très américaine

Dans ces conditions, l’idée même de cinéma écologique, en particulier dans le contexte hollywoodien, a tout d’un oxymore, et la cantine vegan et les panneaux solaires imposés par le réalisateur, efforts que l’on doit surtout aux critiques faites au premier opus, n’ont pas eu d’effet sur les pratiques du studio Fox et du distributeur Disney. Ce n’est donc pas dans son appareil productif qu’on pourra qualifier Avatar 2 de film écologique. Mais peut-être le scénario rattrape-t-il cet aspect ?

Le film reprend encore une fois la mythologie très américaine de Pocahontas et de Danse avec les loups, cette fois-ci en contexte marin, incrustant des éléments de Moby Dick et de Sauvez Willy. Après la forêt amazonienne, nous voilà désormais à Hawaii, où les arbres ont laissé la place à un récif corallien fabuleux, qui coexiste suivant les plans avec des forêts sous-marines de kelp (l’écosystème typique de la côte californienne). L’exotisme demeure donc très américain.

On retrouve aussi la même opposition binaire entre des humains colonisateurs cruels, brutaux et cupides venus dévaster en ricanant une planète magnifique, et des tribus de bons sauvages pacifistes vivant en communion mystique avec la nature dans un perpétuel état d’extase prélapsaire, qui rappelle moins l’ethnographie que le catéchisme.

Un traitement spirituel de la question environnementale

L’intrigue centrale consistera d’abord à protéger des baleines magiques contre de méchants chasseurs – même si ce thème cède rapidement la place à une histoire de vengeance personnelle entre deux personnages. La dénonciation de la chasse à la baleine est un combat tout à fait noble mais dont on ne voit pas vraiment l’actualité, celle-ci ayant disparu dans les années 1970.

Au-delà de cet élément anachronique, la question environnementale fait surtout l’objet d’un traitement spirituel proche des stages de développement personnel new age pour cadres de la Silicon Valley, assénant des méditations bien vagues sur le fait que « tous les êtres sont liés » et qu’il faut « respecter mère nature » : on renvoie donc la question si concrète de l’écologie à la religion, évacuant toute dimension scientifique, matérielle ou politique.

Le film se situant sur une planète imaginaire essentiellement perçue comme « vierge », les questions d’érosion de la biodiversité, de réchauffement climatique, de pollution ou de perturbations environnementales en sont forcément absentes.

Une tendance embarrassante à la peluchisation de la biodiversité

Seule subsiste une sensibilité animalière, qui se concentre seulement sur une poignée d’espèces sympathiques, sensibilité tout à fait louable mais dont la philosophie environnementale s’évertue depuis des décennies à dire qu’elle n’a que peu de rapport avec une approche authentiquement écologiste, qui se fonde sur les populations et pas les individus, et s’attache à toutes les espèces, qu’elles soient « mignonnes » ou non.

Cette tendance embarrassante à la peluchisation de la biodiversité traverse l’ensemble du film, où tous les animaux, piochés dans le bestiaire enfantin (cheval, dauphin, dinosaure) ou des vacances de luxe (récifs tropicaux, safari africain), semblent adopter un comportement domestique, ne demandant qu’à devenir amis avec les humains et s’en faire câliner et chevaucher comme des poneys.

Ainsi, sous couvert d’amour de la nature, le film déroule des scènes de delphinarium (cétacés domestiqués, utilisés comme montures et nourris à la main) voire d’abus physiques (s’accrocher à une tortue pour se faire tracter), deux bêtes noires de la protection animale contemporaine.

Le paradigme du tourisme de luxe domine l’ambiance du film

Ces créatures serviles en perdent toute altérité, et symbolisent finalement plus l’industrie du tourisme que la préservation d’écosystèmes autonomes, et les paysages traversés laissent surtout une sensation des parcs d’attractions – d’ailleurs, la licence Avatar est en train de développer son réseau de parcs, à coup sûr encore un projet très écologique.

Car c’est bien le paradigme du tourisme de luxe qui domine l’ambiance de ce film, dont toute la première moitié se contente de nous détailler les vacances d’une famille américaine aisée à Hawaii, entre cours de yoga, de surf et de plongée, premiers émois adolescents au coucher de soleil, architecture de Resort cinq étoiles et découverte d’une culture qui ramène plus au folklore de pacotille du tourisme de masse qu’à l’immersion ethnographique.

Tout ici respire la société de consommation, le loisir standardisé, et c’est à croire que plus Hollywood cherche à nous faire voyager loin (dans le futur, à l’autre bout de la galaxie, chez une autre espèce) et plus on retombe sur une caricature de l’American way of life où la sobriété n’est qu’une coquetterie de vacances.

La promotion de la troisième révolution industrielle

En somme, James Cameron nous incite ici moins à repenser notre rapport à la consommation qu’à acheter des billets d’avion pour la Polynésie – ou pour le parc Pandora en Floride. Un effort notable et remarqué de la licence, toutefois, est sa volonté de présenter un environnement très habité, voire animiste, en interaction permanente avec les personnages, dans une perspective comparée aux films de Miyazaki.

On sent ici chez Cameron la volonté de se plier en bon élève aux recommandations édictées par l’écocritique Lawrence Buell, préconisant de faire de l’environnement une présence à part entière. Toutefois, ce film incarne aussi l’insuffisance de cette approche, d’autant que cet animisme dissimule mal un paradigme informatique omniprésent (jusque dans le titre), où tous les êtres sont équipés d’un port USB et où la déesse mère est une entité cybernétique.

Si la saga développe une dénonciation indignée de l’industrialisme carbo-mécanique du XXe siècle, assimilé à la vieille Europe coloniale (éternel repoussoir du cinéma hollywoodien, qui permet d’absoudre l’Amérique de toute culpabilité impérialiste), c’est en fait pour mieux promouvoir la troisième révolution industrielle, fondée sur l’électricité illimitée (l’unobtainium), les biotechnologies (avatars et animaux-machines) et l’informatique (Eywa), autant de technologies qui seraient fondamentalement « propres », comme l’affirmaient en chœur Microsoft et Monsanto dans les années 1990, et désormais les GAFAM.

Il ne s’agit pas d’un film écologique

L’écologie est aussi une question politique, et que dire de la politique d’Avatar ? L’ambition du premier film a comme disparu, plus aucun cas n’est fait de la lointaine Terre où l’humanité se meurt, et le manichéisme du film disqualifie toute tentative de négociation ou de consensus, et ne peut se régler que par un bon vieux duel viril au corps à corps entre deux militaires américains – le gentil et le méchant –, écartant peuples opprimés, Terriens mourants et toute dimension collective pour en revenir à une bagarre puérile digne de Steven Seagal.

Belle manière de régler une question écologique, quand le grand problème de l’écologie politique est très précisément l’absence de « méchant » à abattre, la responsabilité de la crise étant dissoute dans tout le système industriel dont nous sommes tous autant de maillons. Alors oui, on a tout à fait le droit d’aimer Avatar 2, de trouver touchants ses bons sentiments paternalistes, son traitement assez fin de la question migratoire, d’être ébloui par son carnaval de couleurs et d’animaux préhistoriques, de se fasciner pour ses technologies numériques et de vibrer à ses scènes d’action.

Mais non, on ne peut pas dire qu’il s’agit d’un film écologiste. Alors qu’une large part de la presse française vient de signer une « charte pour un journalisme à la hauteur de l’urgence écologique », il devrait faire partie de cette ambition de ne pas confondre mièvrerie animalière et implication écologiste, ni de reprendre naïvement les éléments de langage de l’industrie du divertissement quand elle essaie de se peindre en vert – ou en bleu – alors qu’à Hollywood, la seule chose vraiment verte, ce sont les écrans devant lesquels s’ébrouent ces pauvres comédiens bardés d’électronique.