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Au procès de quatre ex-agents de RTE poursuivis pour des actions sur le réseau électrique : « Le vrai problème, c’est que vient faire la DGSI là-dedans ? »

Ces ex-salariés du gestionnaire du réseau de transport d’électricité avaient coupé le pilotage de quatorze postes haute tension en 2022. A l’issue d’une enquête menée par la sécurité intérieure, ils ont comparu mardi devant le tribunal correctionnel de Paris.

Par Aline Leclerc

 

 Manifestation de soutien à quatre ex-agents de maintenance de RTE, entreprise gestionnaire du réseau public de transport d’électricité, jugés mardi 28 février par le tribunal correctionnel de Paris.

Manifestation de soutien à quatre ex-agents de maintenance de RTE, entreprise gestionnaire du réseau public de transport d’électricité, jugés mardi 28 février par le tribunal correctionnel de Paris. CHRISTOPHE ARCHAMBAULT / AFP

 

Couper le système informatique qui permet de piloter à distance quatorze postes électriques haute tension est-il un acte de protestation inoffensif et banal dans le cadre d’un mouvement social, ou un geste grave, susceptible de provoquer des catastrophes en série ? Cette question aussi technique que politique fut au cœur des neuf heures d’audience du procès de quatre ex-agents de maintenance de RTE, entreprise gestionnaire du réseau public de transport d’électricité, mardi 28 février, devant le tribunal correctionnel de Paris.

Les prévenus ont reconnu avoir programmé des pertes de « téléconduites » dans des postes électriques haute tension autour de Valenciennes en juin et juillet 2022 pour « se faire entendre » sur leurs demandes d’augmentations de salaires, alors qu’un rude conflit social secouait l’entreprise depuis quatre mois déjà.

 

Quand elle constate cette perte simultanée d’observabilité et de manœuvrabilité du réseau, l’entreprise soupçonne un acte de malveillance et porte plainte contre X le 26 juillet à Lille. Ces faits, indiquent le premier procès-verbal, peuvent constituer une infraction à l’article R323-37 du code de l’énergie, passible de 1 500 euros d’amende.

Mais l’incident change d’ampleur trois jours plus tard lorsque le directeur de la sûreté du groupe RTE, l’ancien général de gendarmerie Marc Betton, alerte directement la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) de ces faits susceptibles de provoquer « dans le pire des scénarios » des coupures d’électricité « incontrôlées » dans les Hauts-de-France, la Belgique et l’Angleterre.

Mis à pied, interpellés, licenciés

Le même jour, la section cybercriminalité du parquet de Paris saisit officiellement la DGSI, requalifiant les faits en « entrave à un système de traitement de données », et surtout « sabotage informatique », réprimé par l’article 411-9 du code pénal, qui évoque « l’atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation », prévoit des peines allant jusqu’à quinze ans de réclusion criminelle (vingt ans en cas de collusion avec une puissance étrangère) et enclenche une procédure d’exception, dans ses moyens d’enquête et ses mesures de contraintes.

 

Rapidement identifiés par une enquête interne de RTE, appuyée par les moyens techniques de la DGSI – géolocalisation, mise sur écoute – les quatre hommes sont mis à pied dès septembre. Des trentenaires sans casier judiciaire, employés modèles. Interpellés et menottés devant leurs enfants, ils passent soixante-seize heures en garde à vue. Là, ils reconnaissent les faits. Ils ont tous été licenciés depuis.

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« Ce sont des profils qu’on ne voit pas tous les jours dans les tribunaux correctionnels. Or mon client a été traité procéduralement comme le criminel le plus endurci, entre le terroriste et le trafiquant d’armes » s’indigne Me Loïc Le Quellec, avocat de Jean-Christophe B. « Le vrai problème, c’est que vient faire la DGSI là-dedans ? », interrogent tour à tour les avocats de la défense.

 

Six à huit mois de prison avec sursis requis

C’est la qualité d’« opérateur d’importance vitale » de RTE qui a justifié de partir sur une « hypothèse haute, d’une attaque contre les intérêts de l’Etat » dans un contexte énergétique tendu, rétorque la procureure. Ainsi que « les risques potentiels ». Mais RTE a-t-elle jamais cru à une « attaque de la Russie », comme l’une de ses responsables l’a expliqué à l’expert du cabinet Progexa, mandaté par le comité social et économique de l’entreprise ?

La défense pense tout le contraire. Marc Betton n’évoquait-il pas dès son premier appel à la DGSI la concomitance entre ces actes et les journées d’actions syndicales ? La Sécurité intérieure a été « instrumentalisée » par RTE pour « réprimer un mouvement social » estime Me Jérôme Borzakian. Car la présentation des faits par Marc Betton était « totalement fallacieuse », fustige Me Philippe Karsenti. Me Le Quellec relève, ironique, un détail au bas du procès-verbal : « L’agent de la DGSI précise que M. Betton sera en vacances le soir même. En vacances ! En pleine attaque russe ? Une désertion ! » Selon l’expert de Progexa, ces incidents ont d’ailleurs été notés 0 sur l’échelle de gravité interne à RTE.


Les conseils de RTE, partie civile, n’ont, eux, produit ni expert, ni chiffres à même d’étayer la réalité du danger. « Une défaillance ne produit rien mais on ne peut pas dire que l’effet domino était impossible, avance Me Baudoin de Boucheron. Qu’il n’y ait pas de conséquence grave ne fait pas disparaître la réalité du délit. » RTE a demandé un euro de dommage et intérêt.

Les faits ont été requalifiés en délit à l’issue de la garde à vue, le sabotage informatique abandonné. Six à huit mois de prison avec sursis ont été requis contre les accusés et 7 000 euros d’amende pour chacun. Les avocats de la défense, eux, ont plaidé pour revenir à la qualification initiale, celle du 26 juillet 2022 : une simple infraction au code de l’énergie.

Aline Leclerc