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Les silences de la Chine, un virus repéré dès 2013, la fausse piste du pangolin... Enquête sur les origines du SARS-CoV-2

Par Stéphane Foucart

Publié le 22 décembre 2020

 

ENQUÊTE Du pangolin à la chauve-souris, en passant par des expériences de laboratoire controversées, « Le Monde » a tenté de remonter jusqu’aux origines de l’épidémie, responsable de plus d’un million et demi de morts dans le monde.

Des animaux exotiques en cage, des « marchés humides » chinois : début 2020, des images frappantes font le tour du monde et gravent dans les esprits le scénario probable de l’émergence du Covid-19. Un pangolin malade, une chauve-souris passant par là, une recombinaison de deux coronavirus et un marché très fréquenté, où humains et animaux se côtoient dans la promiscuité : à Wuhan, de ce cocktail détonant serait sorti un virus redoutable et remarquablement bien adapté à l’espèce humaine, le SARS-CoV-2, responsable de plus d’un million et demi de morts et de la plus grave crise sanitaire mondiale depuis plus d’un siècle. Mais près d’un an plus tard, ce scénario apparaît de plus en plus fragile, voire caduc.

A mesure que les explications avancées dès le mois de février sont ébranlées par de nouvelles données, les autorités chinoises mettent en avant des hypothèses jugées très improbables par les experts. En particulier, l’idée d’une contamination importée de l’étranger en Chine par le biais de produits surgelés est suggérée, voire promue depuis l’automne par des médias d’Etat. De même qu’une arrivée possible de la maladie en Chine par le biais des Jeux militaires mondiaux, organisés en octobre 2019 à Wuhan.

 

Des médias officiels chinois ont même diffusé sur les réseaux sociaux, début septembre, une vidéo évoquant « 200 mystérieux laboratoires de biosécurité mis en place par l’armée américaine tout autour du monde », susceptibles d’avoir laissé s’échapper le nouveau coronavirus. Des manœuvres qui répondent aux provocations de Donald Trump, ce dernier ayant lui-même assuré à plusieurs reprises, sans les détailler, avoir des preuves de l’implication d’un laboratoire chinois dans la propagation de la maladie.


Que sait-on avec certitude ? « Actuellement, les travaux de phylogénétique, conduits sur l’histoire évolutive du SARS-CoV-2 dans le cadre du projet collaboratif Nextstrain, indiquent que le virus qui circule aujourd’hui sur tous les continents est originaire d’une souche apparue en Asie, très probablement dans la région de Wuhan, sans doute en novembre 2019 », dit la généticienne Virginie Courtier (CNRS), chercheuse à l’Institut Jacques-Monod.

 

A ce jour, il semble acquis que le réservoir naturel du nouveau coronavirus est une espèce de chauve-souris dont l’aire de répartition recouvre le sud de la Chine ou l’Inde. Mais l’hôte intermédiaire éventuel – l’animal censé avoir joué le rôle de « tremplin » biologique vers l’humain – demeure introuvable. Rien, aujourd’hui, n’incrimine le pangolin ou une autre espèce… Quant au marché de Wuhan, s’il a pu jouer un rôle dans la propagation du virus, il n’est plus a priori considéré comme le point de départ de l’épidémie.

 

Des experts internationaux cooptés par Pékin 

La question du passage du SARS-CoV-2 à l’humain demeure ainsi ouverte. « A ce jour, toutes les hypothèses sont recevables pour expliquer l’émergence du nouveau coronavirus, dit le virologue belge Etienne Decroly (CNRS). Que ce soit celle d’une transmission à l’homme par des mécanismes de transfert et d’adaptation naturels, ou d’un accident de laboratoire. Il faut absolument réussir à se défaire du complotisme ambiant pour que chacune puisse être examinée scientifiquement, sans préjugés. »


Un examen qui revient à l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Début décembre, l’institution onusienne a annoncé la constitution d’un groupe d’une dizaine d’experts internationaux chargés d’enquêter sur l’émergence de la maladie. Composé de spécialistes de santé publique, de virologues, d’épidémiologistes et de zoologues, le groupe doit partir pour la Chine incessamment, pour travailler sur le terrain. Mais plus le temps passe, plus la probabilité de trouver s’amenuise. « Arriver sur place presque un an après le départ de l’épidémie réduit considérablement les chances de trouver des réponses, explique un ancien cadre de l’OMS. D’autant plus qu’il est illusoire de chercher le patient zéro d’une maladie dont une bonne part des cas sont contagieux tout en étant asymptomatiques. »

Ce ne sera pas le seul obstacle. Selon des informations du New York Times,les autorités chinoises ont négocié pied à pied les termes de l’enquête avec l’organisation onusienne, au détriment de l’indépendance de l’expertise. Non seulement les experts – bien que réputés – ont été cooptés par Pékin mais, selon les documents cités par le quotidien américain et que Le Monde a pu consulter, leur travail « s’appuiera (…) sur les informations existantes et viendra compléter, plutôt que dupliquer, les efforts en cours ou existants ». Ils ne seront donc pas fondés à reproduire les analyses de certaines données, mais devront parfois se contenter de travaux déjà conduits sous l’égide de Pékin.


Ce n’est pas la première fois que l’OMS avale une couleuvre. Mi-février, la première mission internationale envoyée par l’organisation onusienne, composée à parité d’experts chinois et étrangers, n’était au départ même pas autorisée à se rendre dans le Hubei. Seuls trois membres occidentaux de la mission avaient finalement pu passer quelques heures dans la région, en périphérie de Wuhan, sans pouvoir réellement enquêter.

Le marché, probable amplificateur

Très rapidement après le début de l’épidémie, des données épidémiologiques sont publiées dans la littérature scientifique internationale par des chercheurs chinois. Un tour de force. Dès le 29 janvier, l’équipe de George Gao, scientifique de réputation mondiale et patron du Centre de contrôle et de prévention des maladies (CDC) chinois, publie, dans le New England Journal of Medicine, une première étude d’ampleur, rassemblant les 426 premiers cas humains de la nouvelle pneumonie atypique.

Sur ces quelque quatre cents patients, plus de la moitié avaient un lien avec le marché. Des chiffres qui semblent plaider pour un rôle majeur de ce dernier mais, comme l’ont vite remarqué nombre d’observateurs, quatre des cinq premiers cas enregistrés, antérieurs à la mi-décembre, ne fréquentaient pas le fameux marché. Et aujourd’hui, dans ses rares prises de parole publiques, George Gao relativise le rôle du marché dans l’épidémie, qui pourrait avoir été un amplificateur de la nouvelle maladie plutôt que son point de départ.


Quant aux analyses conduites sur des échantillons prélevés sur les étals, elles n’ont toujours pas fait l’objet de publications dans la littérature scientifique. Le 22 janvier, les premières informations divulguées par le CDC chinois faisaient état de ce que, « malgré une campagne de tests intensive, aucun animal du marché n’a été jusqu’à présent identifié comme source possible d’infection ». Le CDC précisait aussi que « quinze échantillons environnementaux collectés dans l’aile ouest du marché ont été contrôlés positifs [au SARS-CoV-2] par des tests RT-PCR et des analyses de séquences génétiques ». Aucun détail sur la nature de ces échantillons n’a d’abord été apporté.


Des données plus précises sur le marché de Wuhan – un vaste espace de plus de 650 étals et près de 1200 salariés – n’ont été fournies à l’OMS que plusieurs semaines plus tard par les autorités chinoises. Une dizaine de vendeurs d’animaux sauvages vivants étaient présents fin décembre sur le marché, lit-on dans un mémo de l’organisation onusienne daté de juillet. Ces derniers « commerçaient notamment des écureuils, des renards, des ratons laveurs, des sangliers, des salamandres géantes, des hérissons et des cerfs sika ».

Des animaux d’élevage, sauvages et domestiques, étaient également échangés sur le marché, « en particulier des serpents, des grenouilles, des cailles, des rats de bambou, des lapins, des crocodiles et des blaireaux ». Nulle mention de chauve-souris ou de pangolins. Et sur plus de 330 échantillons collectés sur différents animaux du marché, aucun ne s’est révélé positif au SARS-CoV-2.

Le même mémo assure que, sur près de 850 échantillons collectés dans des évacuations d’eaux usées, une soixantaine se sont révélés positifs. Sans qu’il soit possible de savoir avec certitude si ces effluents provenaient d’humains ou d’animaux… Rien, en tout cas, qui permette, jusqu’à présent, d’identifier une espèce animale présente sur le marché qui aurait pu contaminer les chalands ou les employés.

 

Cette absence fait figure de casse-tête. Lors de l’épidémie due au SARS-CoV-1, en 2002, l’espèce suspectée d’avoir servi d’intermédiaire entre les chauves-souris et les humains – la civette palmiste – a été identifiée en quelques mois. De même, des traces du MERS-CoV (le coronavirus à l’origine de plusieurs centaines de cas de pneumonie sévère dans la péninsule Arabique) ont été détectées sur le dromadaire dès le printemps 2013, alors que le premier cas humain ne datait que de l’automne précédent.

En l’occurrence, impossible de détecter le SARS-CoV-2 chez le moindre animal. Or, selon la théorie dominante (et contestée par quelques-uns) du « débordement zoonotique » (zoonotic spillover), c’est l’installation d’une maladie virale dans une population d’animaux partageant certaines caractéristiques avec les humains et vivant à leur contact qui favorise le franchissement de la barrière d’espèces et la transmissibilité interhumaine. Ici, aucune intense circulation du nouveau coronavirus dans la faune ou des élevages n’a pu être mise en évidence jusqu’à présent – à l’exception de ceux contaminés par des humains, comme les visons d’élevage en Europe.

Le pangolin, coupable idéal

Ce vide ne demandait qu’à être rempli. « Quand tout le monde s’attend à ce qu’il y ait un hôte intermédiaire, le moindre petit indice, même très fragile, qu’on l’a enfin trouvé est susceptible de provoquer l’emballement, dit Roger Frutos, chercheur (Cirad) et spécialiste d’écologie des virus. C’est exactement ce qui s’est passé avec cette histoire de pangolins : ça a fait boule de neige. Tout le monde s’est mis à répéter qu’on avait enfin trouvé cet hôte intermédiaire, et quelque chose de probablement faux est devenu une évidence. »

 

Le 7 février, avant toute publication scientifique en bonne et due forme, l’université d’agronomie de Chine du Sud à Guangzhou annonce dans une conférence de presse avoir trouvé sur des pangolins des séquences génétiques de coronavirus semblables à 99 % à celles du SARS-CoV-2. On tient enfin l’hôte intermédiaire, celui qui arrange tout le monde : la découverte d’une civette infectée pourrait plonger Pékin dans l’embarras, les autorités chinoises s’étant engagées, après l’épidémie due au SARS-CoV-1, à lutter contre les élevages de ces petits carnivores prompts à transférer des virus aux humains. L’annonce est relayée – sur un mode interrogatif – par la revue Nature.

Quelques jours plus tard, trois équipes chinoises postent sur le site de prépublication bioRxiv et soumettent à de prestigieuses revues – Current Biology, PLOS Pathogens, Nature – des analyses de séquences génétiques prélevées sur des pangolins malades : des coronavirus partageant des similarités avec le SARS-CoV-2 y ont été détectés. En particulier, la protéine Spike (ou spicule) des coronavirus détectés sur ces étranges animaux ressemble fort à celle du nouveau coronavirus humain. Bien vite, l’écho donné à ces découvertes dépasse de loin leur portée réelle.


Alors que les articles de recherche finalement publiés quelques semaines plus tard sont très prudents sur l’interprétation de ces résultats et ne prétendent pas avoir découvert le coupable, l’idée que l’on pourrait enfin tenir l’hôte intermédiaire s’est déjà propagée à grande vitesse. Dans les médias, mais aussi dans la littérature scientifique.

Portées par le prestige des revues qui les publient, les trois études-clés sur le sujet sont mentionnées au total plus de 400 fois dans les semaines suivant leur publication. Un taux de citation considérable. Dans la quête du tremplin biologique grâce auquel le SARS-CoV-2 aurait pu transiter de la chauve-souris à l’être humain, le pangolin est désormais le coupable idéal.

« Ces spéculations reposent sur des analyses bio-informatiques, en particulier à partir de séquences génétiques déjà présentes dans les bases de données, proteste Roger Frutos. La manière dont ces études ont été communiquées a laissé entendre qu’on venait de découvrir des éléments nouveaux. La réalité est que ces analyses ont été faites sur des pangolins en provenance de Malaisie, saisis il y a longtemps par les douanes, à près de 1 000 kilomètres de Wuhan ! Ces pangolins ne sont jamais entrés en Chine. »

 

En outre, ces trois études-clés sont toutes fondées sur les mêmes prélèvements, opérés sur le même lot de pangolins saisis entre mars et juillet 2019 par les douaniers du Guangdong. Et ce, sans que la provenance des données utilisées soit toujours clairement précisée par les chercheurs, comme l’ont noté deux biologistes, Alina Chan (Broad Institute, MIT) et Shing Hei Zhan (université de la Colombie-Britannique) dans une prépublication. Et sans que les données brutes aient été rendues publiques. Interrogées, les revues Nature et PLOS Pathogensdisent réexaminer les études qu’elles ont publiées sur le sujet, pour répondre aux questions soulevées.

Une erreur d’aiguillage

Le débat est vif. Le virologue Edward Holmes (université de Sydney), auteur d’une quatrième étude publiée en mars, également dans Nature, estime que « le soupçon que les séquences soient fausses est à la fois stupide et insultant ». Pour le biologiste australien, la quasi-identité de certaines séquences du coronavirus de pangolin avec celles du SARS-CoV-2 fait du petit mammifère un candidat pour le rôle d’intermédiaire. D’autant plus que d’autres de ces pangolins, saisis par les douanes du Guangxi, semblent également avoir été contaminés. De plus, rappelle-t-il, la première publication sur ce coronavirus de pangolin « date d’avant la pandémie ».

« Aujourd’hui, assure néanmoins Etienne Decroly, la majorité des spécialistes estiment que le pangolin n’est probablement pas l’hôte intermédiaire » du SARS-CoV-2. « La situation la plus à même de favoriser le passage d’un virus de chauve-souris à l’homme, c’est lorsqu’on a une circulation prolongée et pérenne du pathogène chez un hôte intermédiaire, explique le virologue français Meriadeg Le Gouil (université de Caen), spécialiste des pathogènes de chiroptères et de leur circulation. Typiquement, c’est ce qu’on a pu voir avec le virus Nipah en Malaisie, dans les années 1990. Des élevages de cochons étaient installés sur des plantations de manguiers fréquentées par des chauves-souris porteuses du virus. Les cochons ont été exposés de manière chronique aux excréments des chauves-souris, des cas de Nipah sont apparus après quelques années chez l’homme. »

 

Difficile d’envisager une telle configuration s’agissant du petit mammifère à écailles et de la chauve-souris incriminée, ajoute Roger Frutos. « L’espèce de pangolin incriminée vit dans les forêts de l’Asie du Sud-Est et son aire de répartition géographique ne recouvre même pas celle de l’espèce de chauve-souris qui porte le plus proche cousin du SARS-CoV-2 », explique le chercheur français. Des vétérinaires malaisiens ont voulu en avoir le cœur net : ils ont examiné des échantillons prélevés sur 334 pangolins saisis par leurs douanes entre août 2009 et mars 2019, et n’ont trouvé aucune trace du moindre coronavirus. Leurs travaux, publiés en novembre dans la revue EcoHealth, suggèrent que les pangolins sont sans doute contaminés de manière sporadique, peut-être par des humains, pendant leur transport en captivité.

Aujourd’hui, le SARS-CoV-2 demeure donc introuvable dans la nature. Mais absence de preuve n’est pas preuve d’absence : identifier formellement les hôtes naturels d’un virus peut s’avérer bien plus compliqué que chercher une aiguille dans une botte de foin.

L’histoire oubliée des mineurs de Mojiang

Avant de poursuivre, un retour en arrière s’impose. Le 25 avril 2012, un homme de 42 ans est admis à l’hôpital de Kunming, la grande ville de la province du Yunnan, à quelque 1 500 km au sud-ouest de Wuhan. Il est sujet à une toux persistante depuis deux semaines, souffre d’une forte fièvre et surtout d’une détresse respiratoire qui s’aggrave. Le lendemain, trois autres patients, âgés de 32 à 63 ans, frappés de symptômes semblables, sont admis dans le même établissement. Le surlendemain, un homme de 45 ans y est à son tour hospitalisé. Un sixième, 30 ans, les rejoint une semaine plus tard.

Tous partagent plus ou moins les mêmes symptômes de pneumonie sévère. Leurs scanners thoraciques indiquent une atteinte bilatérale des poumons, avec des opacités en verre dépoli, qui sont aujourd’hui reconnues comme relativement caractéristiques du Covid-19, bien que non spécifiques. Trois d’entre eux présentent des signes de thrombose, une obstruction des vaisseaux là encore assez typique des complications du Covid-19.

Tous ont en commun d’avoir travaillé dans une mine désaffectée à Tongguan, dans le canton de Mojiang. Une mine peuplée de plusieurs colonies de rhinolophes – dites « chauves-souris fer à cheval » – où les six hommes ont passé jusqu’à deux semaines à cureter les galeries du guano des mammifères volants. Trois d’entre eux meurent à l’hôpital, après respectivement douze, quarante-huit et cent neuf jours d’hospitalisation. Les deux plus jeunes en réchappent après un séjour de moins d’une semaine, tandis qu’un autre, âgé de 46 ans, ne sortira de l’hôpital de Kunming que quatre mois après son admission.

Au printemps 2020, l’histoire oubliée des mineurs de Mojiang refait surface sur les réseaux sociaux. Sur Twitter, un compte anonyme déniche un mémoire de master, mis en ligne sur la plate-forme officielle chinoise de publication des mémoires universitaires – thèses et masters. Le texte, rédigé en chinois par un certain Li Xu, donne un luxe de détails sur la maladie des six hommes. Celle-ci était connue et avait été brièvement rapportée par la presse scientifique : fin mars 2014, la revue Science avait relaté l’histoire, mentionnant la découverte, sur des rats vivant dans la même mine, d’un nouveau paramyxovirus (MojV), un virus d’une famille différente des coronavirus.

 

Mais aucune description précise des six cas cliniques n’avait jusqu’alors été publiée dans la littérature scientifique internationale. Et au printemps 2020, lorsque le mémoire de Li Xu est mis en circulation sur les réseaux sociaux, la ressemblance entre les symptômes des six mineurs de Mojiang et ceux du Covid-19 intéresse au plus haut point certains scientifiques. En particulier, deux microbiologistes indiens, Monali Rahalkar (Agharkar Research Institute) et Rahul Bahulikar (BAIF Research Foundation), feront une analyse du mémoire qui sera publiée en octobre dans la revue Frontiers in Public Health. La maladie des mineurs de Mojiang, assurent-ils, pourrait donner des « indices importants sur les origines du SARS-CoV-2 ».

Quel lien peut-il y avoir entre la maladie des mineurs de Mojiang de 2012 et le Covid-19 ? En quoi un saut dans le temps de près d’une décennie, assorti d’un détour de 1 500 km, permettrait-il d’y voir plus clair sur les origines du nouveau coronavirus ? L’histoire est digne d’un polar.

Un nouveau virus… et son jumeau

Le 23 janvier, les chercheurs du Wuhan Institute of Virology (WIV) postent sur un site de prépublication un article intitulé « Découverte d’un nouveau coronavirus associé à la récente épidémie de pneumonie chez l’homme et son origine potentielle chez la chauve-souris ». Ils y présentent le virus génétiquement le plus proche du SARS-CoV-2, qu’ils baptisent « RaTG13 », et publient le génome du nouveau venu, identique à 96,2 % au virus responsable du Covid-19. Seule information sur la provenance de RaTG13 : il a été détecté dans la province du Yunnan, sur une chauve-souris fer à cheval de l’espèce Rhinolophus affinis.

La proximité génétique entre les deux virus indique que le SARS-CoV-2 dérive bien d’un coronavirus de rhinolophe. Mais où RaTG13 a-t-il précisément été prélevé ? Dans quel contexte ? Les chercheurs du WIV ne le précisent pas. « Nous avons été un certain nombre à être surpris du peu d’informations donné par les auteurs, sur un virus dont la provenance est si capitale pour comprendre l’origine de l’épidémie ! », dit Etienne Decroly. Moyennant quelques amendements, l’étude est cependant acceptée par la revue Nature, qui la publie le 3 février. Sans plus de détails sur les circonstances de la découverte de ce nouveau coronavirus.

 

Six semaines après la publication des chercheurs du WIV, Rossana Segreto, une biologiste de l’université d’Innsbruck (Autriche), cherche des correspondances entre le génome du nouveau venu et d’autres séquences génétiques publiées sur GenBank, la principale base de données publique de séquences génétiques. Surprise : elle découvre que RaTG13 a un jumeau.

Le 16 mars, la biologiste autrichienne poste un bref commentaire sur un forum de virologie, expliquant qu’un petit morceau de génome, présent de longue date dans la base de données, correspond exactement à une partie de RaTG13. Le jumeau, à l’époque baptisé « RaBtCoV/4991 », avait été publié par les chercheurs du WIV dans la revue Virologica Sinica, en 2016. Soit quatre années avant qu’il ne soit présenté au monde sous un autre nom. La publication indique qu’il provenait d’une campagne d’échantillonnage menée en 2013 dans une mine désaffectée du canton de Mojiang. Là où, en 2012, les six mineurs étaient tombés malades.

Toutefois, rappelle un chercheur français qui a travaillé avec les virologues de Wuhan, l’équipe du WIV n’est pas la seule, en Chine, à s’être intéressée à la mine de Mojiang : un laboratoire de Pékin y a également envoyé ses chasseurs de virus pour prélever et rapporter des échantillons.

En juillet, dans un entretien à la revue Science, la virologue Shi Zhengli, patronne du laboratoire P4 de haute sécurité du WIV, met fin aux interrogations. Elle confirme que RaTG13 n’est autre que RaBtCoV/4991, bel et bien prélevé sur une chauve-souris fer à cheval, dans la mine désaffectée du Yunnan. Mais le trouble n’est pas entièrement dissipé pour autant.

Dans un autre entretien à Scientific American, la virologue de Wuhan assure en effet que la pneumonie des mineurs de Mojiang était due à une infection fongique. Cette explication ne convainc guère Monali Rahalkar et Rahul Bahulikar : « Le mémoire de Li Xu conclut que la pneumonie des mineurs était due à un virus de chauve-souris de type SARS-CoV », écrivent-ils.


Une conclusion d’autant plus crédible à leurs yeux que le travail de l’étudiant précise que le diagnostic avait été posé par l’un des pneumologues chinois parmi les plus réputés, Zhong Nanshan, consulté pour l’occasion par les médecins du Yunnan et appelé aujourd’hui à assister les autorités de Pékin dans la gestion du Covid-19. Surtout, une thèse de doctorat citée par les deux chercheurs indiens – menée sous la direction de George Gao et soutenue en 2016 – revient brièvement sur l’histoire des mineurs de Mojiang, assurant que quatre d’entre eux présentaient des anticorps neutralisants (IgG) contre les coronavirus de type SARS.

Neuf coronavirus de type SARS

Pour autant, il est aujourd’hui impossible de déterminer avec certitude les causes de la maladie de Mojiang. « Contracter un coronavirus de chauve-souris dans de telles conditions n’est peut-être pas impossible, mais cela me semble peu probable, estime ainsi de son côté Meriadeg Le Gouil. Ce sont des virus fragiles, qui ne persistent que très peu de temps dans le guano. » Le doute persiste. « La coïncidence entre la maladie de 2012 chez les mineurs de Mojiang, les campagnes d’échantillonnage ultérieures et la découverte du plus proche virus du SARS-CoV-2 dans cette même mine justifient une enquête plus approfondie, écrivent les deux chercheurs indiens. Obtenir les données, ainsi que l’historique complet de cet incident, serait inestimable dans le contexte de la pandémie actuelle. »

 

Pressés de questions, les chercheurs du WIV ont commencé à répondre. A la demande de la revue Nature, ils ont publié le 17 novembre, plus de neuf mois après la publication princeps, une précision sur les conditions dans lesquelles RaTG13 a été collecté. Après l’incident des mineurs de Mojiang, écrivent-ils, « nous suspections une infection virale ». « Entre 2012 et 2015, notre groupe a échantillonné des chauves-souris une à deux fois par an dans cette grotte et collecté un total de 1 322 échantillons, poursuivent-ils. Dans ces échantillons, nous avons détecté 293 coronavirus très divers, dont 284 ont été classés comme alphacoronavirus et 9 comme betacoronavirus (…), ces derniers étant tous apparentés à des coronavirus de type SARS. »C’est l’un de ces neuf virus, ajoutent les chercheurs du WIV, qui a été renommé RaTG13 pour refléter l’espèce sur laquelle il a été prélevé (Rhinolophus affinis), la ville de prélèvement (Tongguan) et l’année de la collecte, 2013. Les chercheurs précisent que RaTG13 aurait été intégralement séquencé en 2018.

Quant aux mineurs, le laboratoire de Wuhan aurait reçu 13 échantillons sanguins de quatre d’entre eux, entre juillet et octobre 2012. Nulle trace de SARS n’y a selon eux été détectée – une affirmation qui contredit le mémoire de thèse de 2016 encadré par George Gao, que Le Monde a pu consulter. Les chercheurs de Wuhan précisent en outre avoir réitéré leurs analyses en 2020, sur les échantillons conservés depuis l’incident, avec le même résultat : pas d’infection virale de type SARS.

 

Reste que la précision publiée par les chercheurs du WIV suscite la surprise de certains de leurs pairs. « Il y a donc dans ce laboratoire de virologie huit autres coronavirus non publiés de type SARS, collectés dans cette mine, s’exclame Etienne Decroly. Sauf erreur, personne ne le savait ! »

Voilà qui ouvre une nouvelle question, que se posent plusieurs scientifiques interrogés par Le Monde : où se trouvent les séquences virales non publiées détenues par le WIV ? « Au cours de la dernière décennie, des centaines, voire des milliers de séquences d’agents pathogènes de la faune ont été collectées mais pas nécessairement publiées, dit la biologiste moléculaire Alina Chan (Broad Institute, MIT). Par exemple, nous avons appris que RaTG13 avait été séquencé en 2017 et 2018 mais que ces séquences n’ont été publiées qu’en 2020. Où ces séquences ont-elles été stockées ces dernières années ? Etait-ce seulement sur une base de données privée du WIV ? »

Une base de données disparue

En mai, un compte Twitter, anonyme et depuis supprimé, apporte peut-être un élément de réponse. Cet inconnu éphémère poste un lien vers une page Web archivée décrivant une base de données constituée en 2019 par les chercheurs du WIV. La page en question est un bref article signé des virologues de Wuhan, initialement publié sur le site de la revue China Science Data (Csdata.org), et dont il semble avoir été supprimé. Les virologues de Wuhan y expliquent que leur base comprend « des échantillons et des données sur les agents pathogènes viraux accumulés par [leur] groupe de recherche depuis longtemps » ajoutés « aux données publiées par des autorités internationales ».

 

Au total, peut-on lire, 22 257 échantillons y sont répertoriés. L’authenticité du bref article ne fait guère de doute : ce dernier est identifié par un DOI (digital object identifier), identifiant unique associé à chaque texte publié dans une revue savante. Les DOI sont délivrés par une organisation internationale, l’International DOI Foundation (IDF), qui maintient l’annuaire de référence associant chacun de ces identifiants avec l’emplacement sur le Web de l’article correspondant.

La consultation de cet annuaire indique que l’identifiant de l’article (10.11922/csdata.2019.0018.zh) a bel et bien été enregistré et qu’il pointe vers une page du site de China Science Data désormais introuvable. Non seulement l’article en question a disparu, mais les deux URL sur lesquelles est censée se trouver la base de données, sont vides. Contacté, le président du comité éditorial de la revue n’a pas répondu à nos sollicitations, pas plus que les chercheurs du WIV.

Les non-dits de l’institut de Wuhan sur l’épisode de Mojiang, la mise hors ligne de sa base de données sans explications, le refus de communiquer les carnets de laboratoire de ses chercheurs et les analyses contradictoires sur la maladie des mineurs : tout cela nourrit les interrogations de certains scientifiques.

 

Parmi les nombreux chercheurs interrogés par Le Monde sur leur conviction quant à l’origine du SARS-CoV-2, une majorité estime toutefois qu’un « événement zoonotique » demeure l’hypothèse la plus probable. « Il est par exemple possible que le virus ait été transmis à l’homme bien avant novembre 2019, et qu’il ait circulé à bas bruit dans la population sans être remarqué, explique la généticienne Virginie Courtier. Il aurait ainsi pu s’adapter à l’homme et devenir plus virulent après une mutation naturelle survenue à Wuhan en novembre 2019. En tout cas, il semble improbable qu’il ait été synthétisé au laboratoire car on ne retrouve pas ses séquences génétiques dans les bases de données disponibles. » Difficile, en somme, de construire un jeu de Lego si l’on ne dispose pas des pièces…

 

Un intrigant passe-partout

De nombreuses théories fantaisistes et affirmations invérifiables sur une supposée construction du virus ont été propagées depuis le début de la pandémie. En France, le Prix Nobel de médecine Luc Montagnier a même affirmé, sur la foi d’une prépublication rétractée depuis, que le SARS-CoV-2 portait des séquences du VIH intentionnellement insérées.

Aux Etats-Unis, une chercheuse chinoise originaire de Hongkong, Li-Meng Yan, a également multiplié spéculations et interventions médiatiques, avec le soutien de proches de Donald Trump, assurant par exemple que le nouveau coronavirus avait été synthétisé à dessein pour être une arme biologique.


Pour autant, dit Etienne Decroly, « bien que des études phylogénétiques excluent l’insertion de fragments du VIH dans le SARS-CoV-2, l’idée que la pandémie puisse être le fait d’un accident de laboratoire ne peut être évacuée et il faut la considérer sérieusement ». A mots couverts, Marion Koopman (université Erasmus, à Rotterdam), membre du groupe d’experts-enquêteurs de l’OMS, ne dit pas autre chose : « Tout est sur la table », a-t-elle déclaré fin novembre à la revue Nature.


Pourquoi le nouveau coronavirus fait-il flamber toutes sortes de théories ? En partie parce qu’il se distingue par une caractéristique qui intéresse au plus haut point les scientifiques et dont la réalité fait consensus. L’une des protéines de l’enveloppe du virus, dite « Spike » (ou spicule), présente une affinité remarquable avec le récepteur ACE2, à la surface des cellules humaines. Elle s’y colle volontiers. « Il faut se représenter cette protéine comme une clé et le récepteur cellulaire comme une serrure », illustre Bruno Canard, chercheur (CNRS) à l’université d’Aix-Marseille et spécialiste des coronavirus.

Dans le cas du SARS-CoV-2, la clé virale s’insère parfaitement dans la serrure cellulaire humaine. Mais elle est pourvue d’une sorte de cran de sécurité qui l’empêche de tourner, et donc de déverrouiller la porte d’entrée dans la cellule. « Chez ce virus, le cran de sécurité peut être cassé par une protéine humaine, appelée “furine”. Nous appelons cette caractéristique un “site de clivage par la furine”, explique le virologue. La furine fait sauter le cran de sécurité et ainsi, la clé peut tourner dans la serrure. »


L’infectivité du virus, sa capacité à attaquer différents organes et à infecter une variété d’espèces, lui est notamment conférée par ce fameux site de clivage par la furine (SCF), qu’Etienne Decroly et les chercheurs de l’équipe « Réplicases virales : structure, mécanisme et drug-design », à Aix-Marseille Université, ont été les premiers à détailler. Ce SCF est une singularité : aucun autre virus connu de type SARS n’en est pourvu.

De nombreux scientifiques ne voient dans cette singularité qu’un effet de l’évolution : hors la famille des types SARS, d’autres virus disposent de ce genre de passe-partout. D’autres chercheurs, minoritaires, n’hésitent pas à proposer des hypothèses alternatives, certaines publiées dans des revues scientifiques, suggérant que les caractéristiques du SARS-CoV-2 et son adaptation à l’homme puissent être le résultat d’expériences dites de « gain de fonction » et d’un accident de laboratoire.

 

Publié fin août par la revue BioEssays, un article de deux biologistes américains, Karl et Dan Sirotkin, argumentant en ce sens, est depuis quelques semaines le papier le plus consulté sur le site de la revue. « Cet article des Sirotkin est une hypothèse, prévient toutefois le microbiologiste et immunologiste Arturo Casadevall, professeur à l’université Johns-Hopkins. Je n’ai pas de problème avec la publication d’hypothèses scientifiques, mais je ne suis pas convaincu par leurs arguments. »

Des scénarios de science-fiction… bien réels

Ces expériences de « gain de fonction » consistent à forcer l’évolution d’un virus en répétant des infections sur des animaux de laboratoire, ou des cultures cellulaires. De telles expériences ont notamment été conduites avec la collaboration du WIV et publiées, comme par exemple en novembre 2015 dans la revue Nature Medicine. Leur objectif est de mieux comprendre la nature des modifications moléculaires qui augmentent la transmissibilité, la pathogénicité des virus, voire leur faculté à franchir la barrière d’espèces.

 

L’intérêt est réel, mais les risques aussi. De tels travaux ont été au centre d’un intense débat au sein de la communauté scientifique au début des années 2010 ; ils ont fait l’objet d’un moratoire entre 2014 et 2017, après la publication de travaux controversés sur des virus grippaux à potentiel pandémique, qualifiés dans la presse de « Frankenvirus ». Parmi les expériences semblables auxquelles le WIV a participé, certaines ont bénéficié de financements des National Institutes of Health (NIH) américains. Le Monde a requis des NIH l’accès à leur documentation sur le sujet, en vertu de la loi sur l’accès aux documents administratifs. Les NIH ont opposé une fin de non-recevoir, arguant du fait qu’une enquête était en cours.

L’erreur de manipulation et la sortie d’un agent pathogène de l’enceinte du labo ne sont pas seulement des scénarios de science-fiction, rappelle Etienne Decroly. « Dans les mois et les années qui ont suivi l’épidémie due au SARS-CoV, le virus est sorti à quatre reprises de différents laboratoires où il était étudié, explique le chercheur. A chaque fois, la chaîne de contamination a pu être interrompue, mais ce virus était plus aisément contrôlable. »

Le fait est en outre peu connu du public, mais des précédents existent. En particulier, la pandémie de grippe A (H1N1) de 1977 a été causée par une erreur de manipulation humaine, comme s’accorde à le penser l’ensemble de la communauté scientifique compétente. Un débatsubsiste sur la nature de l’erreur en question (fuite accidentelle d’un laboratoire, essai vaccinal raté…) mais le génome du virus de type H1N1 qui circulait cette année-là, identique à celui qui circulait des décennies auparavant, ne laisse aucun doute sur le fait qu’il avait passé un long moment dans le congélateur d’un laboratoire – seul mécanisme susceptible d’avoir interrompu le rythme des mutations génétiques.

Le génome du SARS-CoV-2 recèle-t-il suffisamment d’informations pour que la question soit un jour tranchée ? « Le virus est vraisemblablement une mosaïque de plusieurs morceaux génétiques ayant des origines différentes, à l’instar de nos génomes, qui sont une mosaïque de nos deux parents : cet aspect démultiplie évidemment l’enquête sur ses origines, explique le biologiste Guillaume Achaz, professeur à l’université de Paris et spécialiste de dynamique des génomes et d’évolution moléculaire. Il existe des moyens d’analyser les taux de différents types de mutations qui sont intervenues sur une région du génome, et on pourrait ainsi voir si la partie du génome du SARS-CoV-2 qui a permis la transmission à l’homme a subi une pression de sélection plus forte qu’escompté. Avec un petit groupe d’autres scientifiques, nous allons tenter de trouver les moyens matériels et humains de travailler sérieusement sur la question. »

Selon M. Achaz, un an de travail permettrait d’aboutir à de premières indications. « Nous ne pourrons jamais parvenir à une preuve définitive, mais nous aurons au moins une sorte d’indice d’étrangeté », dit-il.

Un expert désigné par l’OMS en conflit d’intérêts

En attendant, malgré l’absence d’éléments probants, le débat est de plus en plus vif dans la communauté académique. « Je suis stupéfait des positions d’autorité qui sont prises par certains collègues, tranchant cette controverse dans un sens ou dans l’autre, dit Bruno Canard. Je vois parfois des collègues de très haut niveau, pour qui j’ai beaucoup d’estime, forger leurs opinions sans s’être vraiment penché sur les questions posées, sans avoir pris le temps de lire la littérature. »

Parmi les premières prises de position tranchées qui ont contribué à orienter les opinions scientifiques dès le début de la crise figure une tribune publiée le 19 février par la prestigieuse revue The Lancet. Vingt-sept scientifiques éminents y prennent fait et cause contre le complotisme ambiant autour des origines possibles du SARS-CoV-2. « Nous sommes déterminés à condamner fermement les théories du complot qui suggèrent que le Covid-19 n’a pas une origine naturelle, écrivent-ils. Des scientifiques de plusieurs pays ont publié et analysé les génomes de l’agent causal, le SARS-CoV-2, et ils concluent à une écrasante majorité que ce coronavirus est originaire de la faune sauvage comme tant d’autres pathogènes émergents. »


Le chercheur désigné comme premier auteur et « auteur correspondant » (corresponding author, en anglais) – censé avoir rédigé la première version du texte, selon les règles de l’édition scientifique – est le microbiologiste Charles Calisher, professeur émérite à l’université d’Etat du Colorado. Mais, selon des correspondances obtenues par l’ONG US Right to Know (USRTK), en vertu de la loi américaine sur l’accès aux données, le texte en question a en réalité été rédigé par le zoologue Peter Daszak, qui n’apparaît que plus loin dans l’ordre des auteurs (les Anglo-Saxons parlent d’authorship). « Peter Daszak a rédigé le premier jet du texte et l’a amené jusqu’à la publication, confirme M. Calisher, dans un courriel au Monde. Les auteurs ont été listés de manière alphabétique. Peter, et non moi, est l’“auteur correspondant”. »

 

Or, M. Daszak présente un conflit d’intérêts : président de l’ONG EcoHealth Alliance, il est aussi un proche collaborateur des scientifiques du WIV, avec lesquels il a publié une vingtaine d’études au cours des quinze dernières années. L’ONG qu’il préside bénéficie en outre de bourses des National Institutes of Health (NIH) américains, qui lui permettent de financer les travaux de laboratoires à l’étranger et en particulier ceux du WIV, sur les coronavirus de chauves-souris. En dépit de ses liens étroits avec l’institut de Wuhan, M. Daszak – qui n’a pas répondu à nos sollicitations – est membre du groupe d’experts de l’OMS chargé d’enquêter sur l’origine du SARS-CoV-2, ainsi que de la commission constituée par The Lancet pour travailler sur cette question. Une situation qui irrite certains scientifiques.

Et ce d’autant plus que les liens de M. Daszak avec le WIV ne sont pas toujours déclarés. La tribune publiée le 19 février par The Lancetmentionnait ainsi que les vingt-sept signataires n’avaient aucun conflit d’intérêts. Comme la plupart d’entre eux, M. Calisher, désigné à tort comme auteur principal du texte, n’en avait effectivement aucun. Mais a-t-il compris le texte comme la majorité de ses lecteurs ? Lorsqu’on lui demande s’il signerait aujourd’hui la même déclaration, il répond de manière assez surprenante : « Oui, je la signerais. Je n’ai vu aucune preuve qui confirme définitivement l’origine du virus, ni dans un sens, ni dans l’autre. »