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Phébé - Le propre de l'humanité, c'est de se mélanger

David Reich, un célèbre généticien chercheur à Harvard, montre, à partir de l'étude de l'ADN fossile, que la pureté génétique n'existe pas.PAR PEGGY SASTRE*

Début février 2017, à New York, une dizaine d'hommes se mettaient torse nu, avalaient des litres de lait et vociféraient. Le but de cette messe virile ? Attester leur tolérance au lactose comme marque de leur prétendue appartenance à une population d'ascendance européenne « génétiquement pure ». À la même époque, des partisans du nationalisme ethnique exhortaient les personnes de couleur à quitter le territoire américain en inventant un titre de séjour fondé sur des critères lactodépendants. « Si vous ne pouvez pas boire de lait, vous devez vous barrer », pouvait-on lire sur un forum.

Si les sectateurs du Candia über Alles ont raison sur un point – la proportion de la population capable de digérer le lactose à l'âge adulte est aujourd'hui statistiquement plus élevée en Europe du Nord – ils ont tort sur absolument tout le reste – cette tolérance est aussi fréquente dans certaines régions d'Afrique occidentale et du Moyen-Orient ; elle n'est en rien la marque d'une quelconque pureté génétique. Et pour cause : l'histoire de l'humain étant celle d'un brassage permanent de populations, cette pureté n'existe pas. C'est ce que nous fait comprendre Who We Are and How We Got Here, de David Reich : « Tous les groupes vivant aujourd'hui sont le produit de mélanges répétés de populations survenus au cours de milliers et de dizaines de milliers d'années. »

Chercheur à Harvard, Reich entend faire avec cet ouvrage un point d'étape sur les chamboulements que l'ADN fossile – les informations génétiques issues de très anciens échantillons – est en train d'opérer dans nos connaissances de l'histoire humaine. Comme souvent avec les révolutions scientifiques, l'humilité est une de ses premières leçons : tout ce qu'on pensait savoir jusqu'ici se révèle faux ou très incomplet, et il est plus que probable que d'autres avancées périment la synthèse de Reich à plus ou moins court terme. Reich est le premier à être conscient de l'obsolescence programmée de son exposé, tant le rythme des découvertes est exponentiel dans son champ de recherche : « Les cinq premiers génomes fossiles humains ont été publiés en 2010. [...] En 2015, l'analyse génomique complète de l'ADN fossile s'est accélérée de manière spectaculaire. » Tant et si bien que lorsque Reich écrit son livre, fin 2017, le temps séparant « la production des données et leur publication est plus long que celui nécessaire pour doubler la quantité de données disponibles ».

Comme point de départ, Reich prend le grand pari fait par Luigi Cavalli-Sforza. Dans les années 1960, celui que l'on considère comme l'inventeur de l'archéologie génétique estimait qu'il serait un jour possible de « reconstruire les grandes migrations du passé en se fondant entièrement sur les différences génétiques des populations contemporaines ». Une quête scientifique qui s'est achevée dans un cul-de-sac. « Il avait raison de penser que la structure génétique contemporaine des populations fait écho à certains grands événements de l'histoire humaine, écrit Reich, sauf que la structure actuelle des populations ne peut permettre de recouvrer toute la subtilité des événements anciens. » Pourquoi ? Parce que les « populations humaines n'ont cessé de se mélanger ».

En Amérique, le melting-pot a commencé quasiment dès que Christophe Colomb y a posé le pied, en 1492. Un brassage entre « colons européens, leurs esclaves africains et les Américains indigènes issus de populations isolées de leurs ancêtres depuis des dizaines de milliers d'années » qui donnera naissance à de « nouvelles populations comptant aujourd'hui des centaines de millions d'individus ». L'un des premiers et plus illustres d'entre eux est Martin Cortés, né quatre ans après l'offensive militaire lancée en 1519 par son père, Hernan Cortés, contre l'Empire aztèque régnant alors sur le Mexique. Sa mère, La Malinche, est l'une des vingt captives offertes aux Espagnols après une bataille.

Là où interviennent les recherches de Reich et de ses collègues, c'est qu'elles permettent d'affiner ce que l'on sait historiquement de ce mélange et d'en révéler l'universalité. Par exemple, la « révolution du génome » nous montre que notre époque n'a rien d'exceptionnel en matière de migrations et de brassage ethnique. « Des mélanges de groupes très divergents se sont produits maintes fois, homogénéisant des populations aussi distinctes que les Européens, les Africains et les Amérindiens. Et dans beaucoup de ces grands mélanges, une thématique centrale aura été l'accouplement entre des femmes d'une population et des hommes détenant le pouvoir social dans une autre. »

À l'heure où la pensée racialiste se refait une santé, David Reich permet d'en saisir toute la grotesque inanité. Son livre est aussi un précieux plaidoyer en faveur de la liberté académique, avec une dernière partie dévolue à la mise en pièces des peurs que peuvent susciter des recherches sur les différences biologiques entre populations. Plus on en sait, mieux c'est, répond Reich, et le seul effet certain d'une science interdite sera de susciter les vocations de savants fous.

Car ce sont bien des recherches en génétique des populations qui ont fait voler en éclats l'idéologie nazie d'une race aryenne indo-européenne « pure » et de son profond enracinement en Allemagne, lequel se verrait dans les artefacts de la culture de la céramique cordée. En réalité, ces objets sont sortis des mains de migrants arrivés massivement des steppes russes. Des recherches similaires ont aussi définitivement enterré l'idée selon laquelle les Tutsis seraient les descendants de fermiers d'Eurasie occidentale, contrairement aux Hutus, un mythe au cœur du génocide rwandais. « Le mélange est dans la nature humaine, conclut Reich. Aucune population n'est – ni ne peut être – pure ».

* Journaliste scientifique, essayiste et docteure en philosophie des sciences


CE QU’IL FAUT RETENIR

L'histoire de l'humanité est celle du métissage. C'est ce que montre David Reich, chercheur en génétique, grâce à l'étude de l'ADN fossile issu d'échantillons humains anciens. Tous les groupes vivant aujourd'hui sont ainsi le produit de mélanges répétés de populations survenus au cours de dizaines de milliers d'années. Les grandes migrations de population sont la norme, pas l'exception, et elles entraînent un brassage des populations (migrante et locale). Les preuves ne manquent pas, de l'Amérique à l'Eurasie en passant par l'Afrique, que la pureté génétique est un fantasme.


PUBLICATION ANALYSÉE

David Reich, « Who We Are and How We Got Here », Oxford University Press, 2018


L'AUTEUR

David Reich est un généticien spécialiste de l'ADN des anciennes populations humaines, associé à la Harvard Medical School. Il s'intéresse particulièrement à l'impact des migrations sur le métissage génétique.


POUR ALLER PLUS LOIN

M. E. Allentoft et coll., « Population genomics of Bronze Age Eurasia », Nature, 2015

E. G. Burchard et coll., « The importance of race and ethnic background in biomedical research and clinical practice », The New England Journal of Medicine, 2003

L. L. Cavalli-Sforza et coll., « The History and Geography of Human Genes », Princeton University Press, 1996

S. Pääbo, « The Human condition – a molecular approach », Cell, 2014

Michael F. Robinson, « The Lost White Tribe. », Oxford University Press, 2016

Publié le 11/03/19 à 12h00 | Source lepoint.fr