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Nucléaire : la France abandonne la quatrième génération de réacteurs

Le projet Astrid de réacteur à neutrons rapides est mis à l’arrêt en catimini par le Commissariat à l’énergie atomique. Un coup dur pour l’avenir de la filière.

Source Le Monde Par Nabil Wakim  Publié aujourd’hui à 16h50, mis à jour à 17h07

Encore un article tendancieux anti-nucléaire. Mais qui est Nabil Wakim cette éminence grise de l'énergie et du nucléaire.

Ce devait être la prochaine étape du développement de la filière nucléaire française, celle qui lui permettrait de se projeter dans l’avenir, mais qui risque fort de ne jamais voir le jour. Selon nos informations, le projet de réacteur à neutrons rapides (RNR) Astrid est en train d’être abandonné par le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), qui en est pourtant à l’origine.

Quelques études de conception encore en cours vont se poursuivre cette année pour terminer l’avant-projet, mais elles auront tôt fait d’échouer dans des cartons, sur une étagère. En effet, la cellule de vingt-cinq personnes qui coordonnait le programme a été fermée au printemps. Interrogé par Le Monde, le CEA reconnaît que « le projet de construction d’un réacteur prototype n’est pas prévu à court ou moyen terme ». Il envisage plutôt de s’en occuper « dans la deuxième moitié du siècle ». « Astrid, c’est mort. On n’y consacre plus de moyens ni d’énergie », résume une source interne à l’organisme, où ce choix a provoqué inquiétudes et tensions.

D’après la Cour des comptes, près de 738 millions d’euros ont été investis dans ce plan à fin 2017

« On a vu des projets préparatoires s’arrêter au fur et à mesure, et on a bien vu que le financement du prototype n’apparaissait plus dans les budgets », souligne Didier Guillaume, délégué syndical central CFDT au CEA. D’après la Cour des comptes, près de 738 millions d’euros ont été investis dans ce plan à fin 2017, dont près de 500 millions proviennent du grand emprunt du Programme d’investissements d’avenir.

Lire aussi  Astrid, le nouveau réacteur français à 5 milliards d’euros

Astrid, acronyme de l’anglais Advanced Sodium Technological Reactor for Industrial Demonstration, est un projet de prototype de réacteur rapide refroidi au sodium, qui devait être construit sur le site nucléaire de Marcoule, dans le Gard. L’objectif de cette nouvelle génération est d’utiliser l’uranium appauvri et le plutonium comme combustibles, autrement dit de réutiliser les matières radioactives issues de la production d’électricité du parc nucléaire actuel et en grande partie stockées sur le site de la Hague (Manche), exploité par Orano (ex-Areva). Astrid était censé, non seulement transformer en combustible des matières aujourd’hui inutilisées, mais aussi réduire de manière importante la quantité de déchets nucléaires à vie longue.

Absence d’appui politique

Le réacteur Superphénix de Creys-Malville (Isère), fermé en 1997 sur décision du gouvernement Jospin, s’appuyait déjà sur ce concept. Jacques Chirac, puis Nicolas Sarkozy et François Hollande ont encouragé la recherche sur ce nouveau prototype de réacteur, avec l’espoir qu’il fasse faire un saut technologique à la filière hexagonale et qu’il réponde en partie à l’épineuse question de la gestion des déchets nucléaires. « Il y a, dans ces projets, un concept de fermeture complète du cycle nucléaire, de réutilisation des matières », explique Valérie Faudon, déléguée générale de la Société française d’énergie nucléaire.

La France n’est pas le seul pays à travailler sur le sujet. Astrid avait d’ailleurs intégré une forte participation japonaise, mais disposait d’une avancée technologique reconnue. La Russie, la Chine, l’Inde et les Etats-Unis progressent aussi à grands pas dans ce domaine. Le milliardaire Bill Gates a ainsi investi dans TerraPower, une start-up qui développe un réacteur selon un modèle proche de celui d’Astrid.

Depuis des mois, l’avenir du projet était en suspens et les signaux négatifs se multipliaient. En 2018, le CEA avait déjà dû accepter de travailler sur un réacteur trois fois moins puissant que ce qui avait été envisagé. De surcroît, les dérapages de coûts sur un autre projet, le réacteur Jules Horowitz, passé de 500 millions à 2,5 milliards d’euros, ont contraint le CEA à se serrer la ceinture.

Parmi les projets menacés, Astrid faisait figure de coupable idéal : le prix de l’uranium est relativement bas, et les ressources sont abondantes. Dès lors, pourquoi investir dans un projet chiffré entre 5 et 10 milliards d’euros, s’il est simple et peu coûteux de se procurer de l’uranium ? Au CEA, on évoque aussi le peu d’empressement de la part des grands acteurs de la filière nucléaire française, Orano et EDF. « EDF n’a pas les moyens d’investir et n’a pas vraiment soutenu le projet », grince une source au sein de l’entreprise.

Le projet a en outre pâti d’une absence d’appui politique, qui transparaissait en février dans le document de présentation de la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), laquelle fixe la feuille de route de la France en la matière pour la décennie à venir. « Au moins jusqu’à la deuxième moitié du XXIe siècle, le besoin d’un démonstrateur et le déploiement de RNR ne sont pas utiles », soulignait le document. La solution alternative proposée est de travailler sur le multirecyclage du MOX, ce combustible issu du recyclage de l’uranium déjà utilisé dans les centrales. Mais, là aussi, il s’agit d’une démarche de long terme.

Débat national sur la gestion des déchets radioactifs

Cet abandon en catimini soulève deux questions capitales pour l’avenir de la filière nucléaire hexagonale. La première est celle des quantités importantes d’uranium appauvri et de plutonium dont dispose le pays. Jusqu’à présent, elles sont considérées comme des « matières radioactives », puisqu’elles pourraient en théorie être réutilisées dans un réacteur à neutrons rapides. Mais si cette filière était abandonnée, ces matières risqueraient de rentrer dans la catégorie des « déchets », pour lesquels aucune solution n’est prévue. Plus encore, pour le groupe Orano, spécialisé dans le recyclage des combustibles usés, ils représentent une manne économique potentielle qui perdrait toute valeur.

Cette question est d’une actualité brûlante, alors que se tient en ce moment un débat national sur le Plan national de gestion des matières et déchets radioactifs. Cette discussion publique vise à proposer une stratégie sur le sujet. Les antinucléaires, hostiles à la quatrième génération de réacteurs, réclament depuis des années que l’uranium appauvri et le plutonium soient considérés comme des déchets. L’Autorité de sûreté nucléaire se montre aussi très vigilante à ce propos.

Lire aussi  La France face au fardeau des déchets nucléaires

Le renoncement à Astrid pose aussi un problème plus fondamental pour la filière. La troisième génération, celle de l’EPR, n’a pas encore réellement vu le jour, embourbée dans le chantier cauchemardesque de Flamanville (Manche). Le réacteur ne devrait pas être mis sur le réseau avant fin 2022, au mieux.

EDF espère encore convaincre le gouvernement de la nécessité de lancer rapidement un plan de construction d’un autre réacteur EPR, mais rien n’est acquis, et l’approche de la prochaine élection présidentielle – en 2022 – risque de compliquer le débat. Sans garantie sur la troisième génération de réacteurs, et sans recherche sur la quatrième, le nucléaire français pourrait voir son avenir s’assombrir encore un peu plus.


Commentaires:

Le réacteur à neutrons rapides (6) relève de recherches du CEA Commissariat à l'énergie nucléaire et aux énergies alternatives. Un domaine d'excellence  de la France depuis la fin du 19è siècle avec les Curie, Béquerel... Se référer à la Cour des Comptes pour discréditer ces recherches est stupide. La Cour  ne fait que dire au gouvernement qui finance le CEA par les impôts des contribuables, ce que coûtent ces recherches pour que l'état décide ou non de les poursuivre dans la situation actuelle de l'économie.Si la France restreint ses efforts de recherche et que d'autres réussissent... alors il ne faudra pas se plaindre d'être dépendants de brevets étrangers.

 

Cet article d'un journaliste anti nucléaire ne mentionne pas l'utilisation de combustible MOX dans les centrales nucléaires françaises. Le combustible nucléaire dit MOX (pour Mélange d’OXyde de plutonium et d’OXyde d’uranium) permet de recycler une partie des matières nucléaires issues du traitement des combustibles à Uranium Naturel Enrichi (UNE) après  leur utilisation dans les réacteurs électronucléaires.
Le recours aux combustibles MOX a débuté en 1987.Actuellement, 22 des réacteurs de 900 MWe sont autorisés à recevoir du combustible MOX et une extension à 24 réacteurs de 900 MWe est prévue.
Depuis 1987, environ 3000 assemblages MOX ont été chargés en réacteur (la plupart après 1997), ce qui correspond au recyclage d’environ 80 tonnes de plutonium et représente une économie d’environ 8000 tonnes d’uranium naturel.

Actuellement, pour les réacteurs d’EDF, la consommation annuelle d’uranium naturel est de l’ordre de 8400 tonnes et celle de combustibles MOX de 120 tonnes, soit une économie annuelle d’environ 900 t d’uranium naturel.

Je comprends que le développement du MOX n'a pas été poursuivi dans l'attente de générateurs de 4è génération. S'ils sont stoppés, on développera donc davantage la filière MOX.

Contribution de mon ami Lionel Taccoen ex directeur EDF

Le renoncement de la France au surgénérateur date pour moi de l'arrêt de Superphénix en 1997 sous Jospin.

Nous avions avec Phénix, qui fonctionnait comme une horloge et dont la puissance était de 350 MWe, une avance considérable sur le reste du monde. Le CEA, comme d'habitude, a voulu aller trop vite  et passer à une puissance trop élevée, 1200 MWe pour Superphénix à Creys-Malville. Le CEA est composé de chercheurs qui se prennent pour des industriels. Superphénix a eu des problèmes et Jospin qui avait besoin des Verts pour gouverner et qui n'y comprenait pas grand chose a arrêté l'installation, stoppant par là même l'avenir français de la filière à neutrons rapides RNR.

A l'EDF nous avions  la direction du programme des réacteurs à neutrons lents  - à eau pressurisée PWR (58 réacteurs), mais pour Superphénix, dont nous avions aussi la maîtrise d'oeuvre, nous devions réaliser le projet concocté par le CEA  1200MWe. Boris Saitcevsky et son équipe aurait probablement réussi finalement à faire fonctionner l'engin , mais Jospin ne leur a pas laissé le temps. La décision d'arrêter le projet a été arrêté en 1997.

Le projet Astrid n'était pas à la taille du problème. Les surgénérateurs sont mis au point actuellement en Russie et le seront en Chine.

  • Rapport de la commission d'enquête parlementaire sur l'abandon de Superphénix 1998.
  • LE DÉMARRAGE DE SUPERPHÉNIX ET LA FILIÈRE DES RÉACTEURS A NEUTRONS RAPIDES
  • Les différentes phases du programme atomique français au cours des années soixante sont connues. Nous reprenons volontiers la présentation synthétique qu'en donne l'un des artisans au CEA du développement de la filière des réacteurs UNGG qui résume les principales étapes de ce programme réalisé par EDF : «A la différence du programme britannique, le parti pris de la France fut celui de prototypes successifs, incorporant au fur et à mesure le progrès des études, de manière à faire croître rapidement les performances pour tendre au plus vite au seuil de compétitivité économique. Une politique audacieuse conduisit à ne pas attendre la mise en service d'un réacteur pour lancer les suivants : partant d'une puissance de 25 MWe pour G2, on construisit successivement sur le site de Chinon trois réacteurs de 70, 200 et 480 MWe, qui démarrèrent respectivement en 1963, 1965 et 1966, après cinq à sept ans de construction. Ils furent suivis par 2 réacteurs jumelés de 500 MWe mis en service en 1969 et 1971 à Saint-Laurent des eaux, près de Blois, enfin par un réacteur au Bugey qui divergea en 1972» 352

    Nous retenons cette présentation pour les grandes lignes et comme fil conducteur, même s'il convient de modérer l'enthousiasme de l'auteur quant à la réussite de ce programme ou en tout cas d'en mentionner certaines difficultés. Pour une présentation claire et détaillée des problèmes rencontrés comme des progrès réalisés par la Direction de l'Equipement d'EDF dans la conception et la construction des réacteurs à uranium naturel, on pourra consulter le texte du Directeur adjoint de l'Equipement, Jean-Pierre Roux, publié dans la Revue Générale de l'Electricité en mars 1965. 353

    Caractéristique des centrales UNGG

    Caractéristique des centrales UNGG

    A partir de 1955 le CEA n'est plus seul sur la scène nucléaire, puisque «l'Electricité De France» fait ses débuts dans cette nouvelle forme d'énergie. Le producteur national d'électricité issu de la nationalisation de 1946 avait été chargé de la mission de service public de reconstruire le pays par la production d'électricité. Mais ce n'est qu'à partir de 1955 qu'EDF se tourne vers le nucléaire, lorsque Pierre Ailleret, alors Directeur des Etudes et Recherches (DER), définit le premier programme français de centrales nucléaires à uranium naturel. 354 L'objectif de ce programme est de réaliser une série de prototypes permettant d'acquérir l'expérience industrielle de la construction et de l'exploitation des centrales nucléaires de puissance. Il prévoit l'engagement d'une tranche nucléaire tous les 18 mois, la puissance unitaire devant doubler tous les trois ans.

    Mais l'entrée d'EDF dans l'énergie nucléaire va induire des tensions avec le Commissariat à l'Energie Atomique, car les deux organismes n'ont pas les mêmes appréciations sur la nature et les moyens de réaliser ce programme. En avril 1955, une Commission PEON (production d'énergie d'origine nucléaire) est instaurée pour conseiller le gouvernement sur les questions d'énergie nucléaire : c'est une première tentative pour organiser la collaboration entre les deux institutions. Elle est composée au départ essentiellement de hauts cadres du CEA et d'EDF, et entérine les accords ou les compromis passés entre les deux organismes sur les modalités du programme UNGG. Rapidement, des divergences et des conflits se font jour. Le CEA avait été chargé par l'ordonnance de 1945 de «prendre toutes les mesures utiles pour mettre la France en état de bénéficier du développement» de l'énergie atomique. Les équipes du Commissariat se donnaient ainsi pour objectif de créer, le plus rapidement possible et indépendamment du coût, des techniques françaises ainsi que des doctrines dans le domaine atomique permettant à la France d'occuper une place de choix en la matière au niveau international. Electricité de France de son côté était moins intéressée par l'originalité des techniques que par le moindre coût du kilowattheure et la continuité du service public d'approvisionnement électrique. Ces divergences se manifesteront dès le premier réacteur d'EDF. Les choix techniques finalement retenus dans la conception par EDF seront la traduction de cette différence d'appréciation.

    EDF avait été associée au CEA pour la récupération d'énergie de G1, puis G2 G3. Mais à partir de 1955, EDF se lance dans l'étude de ses propres centrales. Les premiers ingénieurs d'EDF formés au génie nucléaire suivent les cours dispensés à l'Institut National des Sciences et Techniques Nucléaires (INSTN) du CEA. 9 ingénieurs de la Direction des Etudes et Recherches inscrits sont reçus dans la première promotion de Génie Atomique de 1955.

    Avec la décision de construire des installations pour la production d'électricité, les Etudes et Recherches d'EDF passent la main aux ingénieurs de la Direction de l'Equipement. A la mi-55, Raymond Giguet, directeur de l'Equipement depuis novembre 48 (succédant à Pierre Massé), crée la Sous-Région d'Equipement Nucléaire (SREN), dont la direction est confiée à Jean-Pierre Roux 355 . Elle est placée sous la dépendance hiérarchique de Yvan Teste, Directeur de la Région d'Equipement Thermique n°1. La sous-région d'équipement nucléaire (SREN) devient en janvier 1957 région d'équipement thermique nucléaire n°1 (RETN1), puis en octobre 1962, région d'équipement nucléaire n°1 (REN1). L'adjoint de Jean-Pierre Roux est un polytechnicien de 28 ans, Claude Bienvenu 356 , qui a commencé sa carrière aux Etudes et Recherches. Parmi la petite équipe de pionniers de l'énergie atomique à EDF, il faut également mentionner Boris Saitcevsky. 357 Assistant de Bienvenu pour les travaux, Georges Lamiral explique qu'en 1956, les ingénieurs d'EDF avaient déjà acquis suffisamment de connaissances en physique nucléaire pour comprendre les mécanismes suivant lesquels la réaction en chaîne pouvait, dans un réacteur, être entièrement contrôlée et ne devenir en aucun cas explosive. 358

    Les différentes étapes du développement des réacteurs d'EDF et les raisons des choix des principales options sont données de façon très précise par Georges Lamiral dans son ouvrage de référence, Chronique de trente années d'équipement nucléaire à Electricité de France. 359 La description des principales caractéristiques de ces réacteurs permettra de comprendre les discussions relatives à la sûreté qui se tiendront par la suite.