Impossible d'échapper au sujet SNCF ce mardi 3 avril. La grève des cheminots est suffisamment suivie pour créer d'importants dommages à l'économie du pays, sans qu'on entrevoie la solution qui pourrait se dégager. Dans ce dossier, le défaut d'explication par le gouvernement pèse lourd. Une fois de plus, l'obsession de la communication au détriment du fond joue de vilains tours à Emmanuel Macron.
Le 26 février, Édouard Philippe annonçait son plan de réforme de la SNCF. On y comprenait que le gouvernement reprenait à son compte l'ouverture à la concurrence décidée sous François Hollande, et y ajoutait quelques joyeusetés comme la fin progressive du statut des cheminots.
L'argumentation du Premier Ministre laisse aujourd'hui totalement songeur:
"Nous devons avancer", car "ce qui est dangereux, inacceptable, c’est le statu quo". Il ne s’agit pas de mettre en cause les cheminots, les dirigeants, ou la SNCF, il s’agit de "faire en sorte que nous ayons un meilleur système ferroviaire". Le Gouvernement "souhaite qu’il puisse y avoir une discussion riche" avec l’ensemble des acteurs.
Au nom du "tout cela coûte trop cher", le gouvernement s'est lancé bille en tête dans cette opération, en annonçant un recours aux ordonnances. Puis, fidèle à la technique du tourbillon, Macron a zappé. Il est passé à d'autres réformes, tout aussi mal expliquées et résumées à coups de slogan dont quelqu'un doit bien se douter, dans les allées du pouvoir, qu'elles ont leurs limites et ne suffisent pas, loin de là, à convaincre de leur bon sens.
Je ne résiste pas au plaisir de persifler ici. Mais, parfois, on se demande si Emmanuel Macron a réellement coupé le cordon ombilical avec l'ENA, et s'il comprend que l'exercice du pouvoir n'a rien à voir avec une soutenance de séminaire au concours de sortie de l'école. Enchaîner des formules qui claquent ne permet d'arracher la conviction de n'importe qui.
Qui a compris le plan de réforme de la SNCF?
Quand Édouard Philippe a expliqué que la réforme de la SNCF se justifiait par le souci d'avoir un "meilleur système ferroviaire", il a posé les prémices d'une argumentation dont on attendait la suite. Sauf à prendre les Français pour des idiots, il devait bien se douter que personne n'imaginait qu'il dirait: "Je souhaite dégrader le service de la SNCF et je souhaite un moins bon système ferroviaire qu'aujourd'hui".
Il avait posé le fondement de son argumentation, mais il lui restait à expliquer en quoi l'ouverture à la concurrence et la fin du statut des cheminots permettrait d'améliorer le service. Sauf erreur de ma part, cette explication-là n'a pas été donnée, et la démonstration se fait attendre, autant dans sa bouche que dans celle de la ministre.
Les syndicats contestataires ont bien compris le problème, et ils ont entamé le long travail de reconquête d'une opinion pourtant acquise à la cause gouvernementale. Tous ceux qui prennent le train ou même qui regardent simplement leur téléviseur avec un peu d'attention savent le désastre SNCF: pannes, accidents, grèves, voyageurs mal traités, mal informés, paniques dans les réservations les jours de grand départ, tarifs élevés...
Le gouvernement jouait ici sur du velours. Mais son mutisme et son incapacité à entrer en contact affectif avec les petites gens lui fait perdre du terrain.
Comment Mediapart pourrait sauver le gouvernement
C'est un comble: on trouve dans Mediapart un article assez bien fait qui donne tous les éléments de langage de ce que pourrait être une bonne interview d'Édouard Philippe ou d'Élisabeth Borne pour expliquer la réforme. Il s'agit d'une comparaison entre la SNCF et la Deutsche Bahn:
Aujourd’hui, le salaire mensuel moyen d’un cheminot allemand est de 3 750 euros brut (3 090 euros en France), avec trente jours annuels de congés (28 + 22 RTT en France), un temps de travail hebdomadaire moyen qui oscille entre 35 et 39 heures (35 heures en France) et un âge de départ à la retraite compris entre 65 et 67 ans (entre 52 et 57 ans en France).
Mediapart ajoute que la Deutsche Bahn a supprimé un tiers de ses effectifs pour affronter la concurrence. Les cheminots allemands sont mieux payés que les cheminots français, mais ils travaillent plus et plus longtemps. Ce discours-là était si simple à tenir que les adversaires de l'ouverture à la concurrence le reprenne à leur compte.
Pourquoi le gouvernement n'a-t-il pas le réflexe élémentaire d'expliquer publiquement ses choix politiques en développant des arguments comme s'il s'adressait à des adultes responsables? Les élus de la Macronie sont-ils si coupés du petit peuple qu'ils ne s'imaginent pas le convaincre, et que seuls quelques communicants sont habilités à fournir des "éléments de langage" d'une pauvreté intellectuelle redoutable?
Au train où vont les choses... rien n'exclut que les cheminots ne parviennent, avec de faux arguments, à retourner l'opinion contre l'ouverture à la concurrence.
L'ouverture à la concurrence, une aubaine pour la SNCF
Le gouvernement aurait même peut-être pu se payer le luxe de rappeler quelques chiffres élémentaires, tardivement remis en mémoire par Guillaume Pépy dans une interview à Ouest-France:
Un tiers du chiffre d’affaires de la SNCF est aujourd’hui réalisé à l’international. Nous sommes présents dans plus de 120 pays, même si peu le savent. Les trains de banlieue à Washington, le tramway de Melbourne, c’est nous. Cela nous apporte en termes de chiffre d’affaires mais aussi en termes d’emploi. Beaucoup d’ingénieurs français travaillent ainsi pour des projets à l’étranger.
Les cheminots français qui bloquent le pays contre l'ouverture à la concurrence en France oublient sagement de rappeler qu'ils sont les salariés d'une multinationale qui profite largement de l'ouverture à la concurrence... chez les autres. C'est une vieille manie française. On trouve très bien que la SNCF gagne des marchés à l'étranger, mais on tremble d'indignation à l'idée que des étrangers gagnent des marchés en France.
Au passage, aucun des cheminots qui protestera demain contre cette fameuse mise en concurrence ne se sent obligé d'exiger la renationalisation du rail à l'étranger. Surtout là où la SNCF réalise un tiers de son chiffre d'affaires...
Fais ce que je dis, mais ne fais pas ce que je fais.
Arrêter de communiquer, se mettre à convaincre: dernier avertissement pour Emmanuel Macron
On vient d'apprendre que les Échos renonçaient à publier une interview d'Élisabeth Borne parce qu'elle avait été trop réécrite par Matignon. Même dans les titres de Bernard Arnault, la flagornerie a des limites.
Alors que la grève commence ce mardi, ce nouveau faux pas d'un gouvernement qui n'en finit pas de détester la presse fait mauvais genre. Matignon aurait voulu prouver que la conviction n'est pas son fort, et que le gouvernement est sous l'emprise de quelques communicants qui se substituent aux élus, il ne s'y serait pas pris autrement. C'est probablement la principale leçon qu'Emmanuel Macron devrait retenir de cet épisode. La démocratie ne se résume pas à réformer et à communiquer. La démocratie, c'est aussi gouverner par la délibération démocratique.
Article le Capital 28/9/2015
Le point de vue de l'UPR
Le point de vue de Jacques Sapir