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L'« explicabilité » du macronisme

ERIC LE BOUCHER / Editorialiste Le 30/03 à 09:1

 

Emmanuel Macron se heurte à deux difficultés : la banalité et la complexité. - Ludovic Marin/AFP

CHRONIQUE - S'il mène ses réformes à grand train, le président peine à inscrire sa « Révolution » dans les têtes. Ce trou entre l'action et l'explication risque, à terme, de lui jouer des tours.

Cédric Villani, le génie des maths devenu député En marche, vient de remettre au gouvernement un rapport sur l'intelligence artificielle dans lequel il parle de « l'explicabilité » des algorithmes de cette technologie. Le mot marque l'époque, comme depuis quelque temps « l'employabilité » des salariés : il dit que les complexes boîtes noires du monde technologique devraient être ouvrables, transparentes, régulées et, ce qui est plus dur, compréhensibles. Emmanuel Macron devrait se saisir de la formule : le macronisme manque d'explicabilité.

Manque de pédagogie

La « révolution » qu'il a promise dans son livre avance dans les faits,  avec les réformes, mais reste en plan sur la compréhension des idées. Le président s'y essaie, il aligne les discours magnifiques sur l'Europe (à la Sorbonne) ou la « grandeur d'âme » (éloge du colonel Beltrame aux Invalides) mais, ensuite, les mesures apparaissent souvent d'essence politique, comme avant. La boîte noire dans le crâne du président est encore mystérieuse, elle manque de relais pédagogiques, elle laisse un trou entre le verbe et l'action, entre le haut, très beau, et le bas, trop plat.

Etat guichet

C'est faux, le changement n'est en général pas banal, loin de là, sur le Code du travail, la formation ou la SNCF. Mais l'impression laissée est qu'une fois ces réformes passées, le vieux pli se refera. La conversion n'a pas lieu. Comme si les Français avaient admis que les réformes ont trop tardé, ils ont donné quitus au président pour les mener, et encore, sans qu'elles les touchent personnellement. Mais une fois faites, ils attendent un retour à la situation d'avant, c'est-à-dire à cet Etat devenu, depuis trente ans, l'Etat guichet qui doit distribuer à chacun, et à la politique vue comme la dispute entre les représentants des différentes catégories.

Emmanuel Macron ne parvient pas à être entendu autrement que poliment lorsqu'il évoque « le dessein de la France » et le siècle qui vient comme « celui des promesses ». Il peine à inscrire sa Révolution dans les têtes. Son but affiché, qui est que les Français perdent leur pessimisme, reste loin d'être atteint.

 

Le symbole de la SNCF

Le président se heurte à deux grosses difficultés. D'abord, la banalité, et ensuite, la complexité. La banalité est, sui generis : en France, les réformes ne se faisaient pas parce qu'elles ont été identifiées sur le plan politique dans une lutte du « modèle social » contre le libéralisme. L'exemple phare est depuis trente ans la SNCF. Macron veut en sortir. Son Premier ministre a expliqué que  la situation de cette société était « intenable  » et que voyager en train coûtait « 30 % de plus qu'ailleurs ». L'objectif, ajoute le gouvernement, n'est pas de casser le service public mais de le défendre contre les déficits abyssaux qui le mènent à la ruine. Au-delà des économies à faire, le changement est idéologique : cesser de faire de la SNCF un objet symbolique et un enjeu politique pour la ramener sur les rails d'une compagnie de transport en concurrence avec d'autres et appelée à proposer des trains à l'heure.

Le pragmatisme comme politique

Le macronisme n'est pas une privatisation, c'est justement une banalisation. Une sortie de la « politique », en clair des vieux restes de l'influence communiste sur toute la pensée politique française. L'ensemble de la gestion publique doit suivre le mouvement pour le pragmatisme. Dans un pays qui adore la « lutte politique » et où les syndicats se pensent comme les héros de l'épopée du rail, la difficulté est grande.

Un autre exemple de la banalisation a été donné cette semaine par le  plan santé autour de la « prévention ». Rien n'est plus ennuyeux que la prévention. On ne tombe pas malade, les médecins sont frustrés et les patients, ingrats. Rien n'est plus important pour faire de véritables économies et pour améliorer la santé des populations. Les mesures de la ministre Agnès Buzyn n'ont eu qu'un faible écho. Trop banales.

La fin du simplisme

L'autre difficulté est la complexité. Un Etat, avec sa taille, ses tuyaux dans tous les sens, la multitude de ses interventions, la bureaucratie, les normes et les lois à profusion, est d'une extrême complication. La fin du service public « tous pareils » et l'exigence légitime de besoins à la carte interdisent les solutions faciles. C'est l'autre raison pour laquelle il faut sortir beaucoup de sujets de la « politique » à l'ancienne : le simplisme n'est plus possible. Mais la complexité comme le pragmatisme sont difficiles à vendre à l'opinion.

L'addition des mécontentements

Faute d'avoir trouvé l'« explicabilité » de son action, Emmanuel Macron va subir des bourrasques. Les grèves vont commencer et même si les Français se disent ex ante favorables à la réforme de la SNCF, le pouvoir risque d'y laisser des plumes. Ajoutez les craintes des fonctionnaires, la grogne des seniors contre la CSG et l'irritation des étudiants avec Parcoursup, le dispositif tout neuf d'inscription à l'université, les mécontentements vont normalement s'additionner.

Pour le président, il ne s'agit que d'une mauvaise passe. « Dans dix-huit mois environ », les résultats seront là et l'opinion se retournera en sa faveur. Les  bons chiffres économiques et sociaux viendront prouver le bien-fondé des efforts actuellement demandés. En effet, les résultats seront là si la conjoncture reste bonne, si les taux d'intérêt restent calmes, si Trump ne vient pas tout mettre par terre. Le président aura vraisemblablement gain de cause. Fort de cette conviction, il va, avec calme et détermination, dérouler ses projets. Mais son ambition au-delà est « que la France retrouve le fil de son histoire millénaire » et que les Français « embrassent la modernité ». Lui manque la manière pour rendre ce grand idéal compréhensible et partagé.