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lesechos.fr Guillaume Bregeras

 

La French Tech à l'heure de ses premiers craquements

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Il y aurait plutôt de quoi se réjouir : levées de fonds record pour les start-up avec 2,5 milliards d'euros et un total d'environ  2,8 milliards engrangés pour l' avenir par les fonds de capital-risque français en 2017. Le petit monde des start-up tricolores est en pleine ébullition en ce début d'année ! Il a même permis à la France de talonner le Royaume-Uni pour devenir le premier financeur de start-up en Europe (714 contre 795, selon Dealroom), et on ne compte plus les déclarations d'amour des stars de la planète tech à notre écosystème. A l'image de Tony Fadell, père de l'iPod et fondateur de Nest, qui s'est  installé à Paris pour dénicher les pépites qui façonneront le monde de demain. Ou de SAP, qui a annoncé vouloir  injecter 2 milliards d'euros dans les cinq prochaines années, et vient de racheter  la jeune pousse hexagonale Recast.ai pour plusieurs dizaines de millions, malgré seulement douze mois d'existence. Dernier exemple en date de cette « love parade »,  le niveau d'investissement des fonds étrangers qui n'a jamais été aussi élevé, avec leur participation dans 52 opérations en 2017, soit une hausse de 62 % par rapport à l'année précédente, selon Chausson Finance..

Pourtant, la belle mécanique pourrait s'enrayer à moyen terme. C'est bel et bien le message lancé par Jean-David Chamboredon, coprésident de France Digitale et du fonds ISAI,  sur LinkedIn en janvier dernier et relayé par d'autres investisseurs depuis. Selon lui, les « VC » français ont bien «  les moyens d'être offensifs sur les trois ou quatre prochaines années », mais il pronostique « un retournement d'une violence plus forte pour l'écosystème French Tech que pour ses homologues étrangers » en cas de tempête sur les Bourses mondiales. Une prophétie qui pourrait s'accélérer en fonction des ondes de choc du  mini-krach du 6 février dernier et qui fait redouter un retour de l'inflation et la fin de l'argent facile. Jean-David Chamboredon dessine trois effets directs : le recul des fonds étrangers, le tarissement des investissements émanant des grands groupes, et l'impossibilité de bpifrance de compenser ces trous d'air.

La French Tech commence déjà à émettre des signaux faibles qui illustrent ces craintes. Certains fonds sont désormais contraints de reculer lors de tours de table car incapables de suivre la valorisation proposée par les grands groupes ou leurs homologues étrangers aux jeunes entrepreneurs.

Le montant moyen des rachats de jeunes pousses, environ 25 millions d'euros, témoigne de la faible prise de risques des grandes entreprises . Certains emblèmes tombent, comme Giroptic, la caméra 360° adoubée par Mark Zuckerberg l'an passé, mais qui a dû a liquider son activité le 6 mars faute de débouchés. Et depuis Criteo, BlaBlaCar et Talend, aucune autre entreprise de la tech tricolore n'a réussi à s'imposer comme un véritable champion mondial dans son domaine.

Sur ces trois exemples,  les deux premiers sont en outre déstabilisés sur leurs marchés respectifs, ce qui participe probablement à la frilosité des investisseurs à engager de très forts montants. D'ailleurs, sur les dix plus gros tours de financement effectués en Europe l'an passé, aucun ne s'est fait au profit d'une start-up française. Comme si l'écosystème était condamné à produire de belles PME, ou des unités destinées à être revendues à l'étranger en cours de route ( Zenly cédée pour environ 300 millions de dollars à Snapchat en juin dernier en est l'exemple).

Les VC ont l'habitude des retournements de cycles et, même s'ils n'inscrivent pas leurs participations dans un temps long pour la plupart d'entre eux, ils ne devraient pas céder à la panique le jour où le grand coup de froid soufflera. En revanche, les grands groupes n'ont pas cette  même approche de la prise de risque et pourraient débrancher leurs investissements dans la tech, ainsi que leurs très rares acquisitions, de manière brutale le cas échéant. Il n'est pas certain que l'écosystème français puisse résister bien longtemps si l'un de ses rares champions était amené à rencontrer un niveau de  difficultés analogue à celui d'Uber aux Etats-Unis par exemple. Ce dont il n'est pourtant pas à l'abri...

Autre difficulté à laquelle la FrenchTech fait face : le « start-up bashing » grandissant à sa marge. Depuis six mois, plusieurs ouvrages, sur lesquels surfent quelques médias grand public,  épinglent les méthodes de travail . Le poste de  « directeur du bien-être » (Chief Happiness Officer) catalyse ce mouvement. Cette fonction directement importée de la Silicon Valley est censée créer du bonheur chez les salariés de ces jeunes entreprises, mais a du mal à s'adapter à la culture française, plus critique que celle de la Valley. Une dynamique amplifiée par le  déséquilibre hommes-femmes dans ces entreprises et l'origine sociale très souvent homogène de leurs fondateurs.

La French Tech tente pourtant de façonner sa propre identité. Le gouvernement, encore en phase de réflexion sur les questions clefs du financement (fléchage de l'épargne assurance-vie et incitations fiscales pour les entrepreneurs qui ont réussi), privilégie les programmes qui visent à  diversifier l'origine des startuppeurs et à permettre aux jeunes femmes d'accéder aux métiers du numérique, dont les pépites tech manquent tant.  Un plan de 132 mesures devrait être révélé dans les prochaines semaines. Ce sont des premières étapes essentielles. Mais insuffisantes si la French Tech veut sortir de ses stéréotypes et anticiper les conséquences d'un retournement qui paraît difficilement évitable.

Guillaume Bregeras