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Les zexperts c'est quoi et à quoi ça sert?


Source: strategie.gouv.fr

 

Paroles d'experts : pour quoi faire ? - L’expertise au prisme des sciences sociales : quels enseignements pour comprendre les enjeux actuels ?

 

Quand l’action publique se repose sur une forme d’expertise « savante » exclusive, le risque de dérive technocratique n’est jamais loin. C’est pourquoi la sociologie invite à prendre au sérieux la pluralité des expertises dites d’usage, et à s’interroger sur les modes de concertation accompagnant les processus de décision. L’enjeu n’est plus seulement démocratique – casser le monopole d’un certain savoir et faire participer les citoyens – mais également scientifique – améliorer la qualité même de l’expertise.

La défiance vise la monopolisation du savoir

C’est un fait, par temps de défiance, l’expert est mal-aimé. Un constat général qui appelle des précisions. De quelle expertise parle-t-on ? De celle qui, dans la sphère des politiques publiques comme dans la sphère privée, est perçue comme « une forme de monopolisation du savoir », diagnostique Jean-Yves Trépos, professeur émérite de sociologie à l’université de Lorraine. Mais comment en est-on arrivé là ?

L’expertise n’a pas toujours été « un passage obligé » de l’action publique. Sa « montée en charge » n’est observable que depuis une trentaine d’années environ explique Corinne Delmas, professeure des universités, membre du Centre nantais de sociologie (CENS). En témoigne sur cette période la profusion des audits, évaluations et autres exercices de diagnostic. Utilisés de manière circonstanciée puis systématiquement convoqués « pour à peu près tout type de décision » !

Spécificité française, l’État se dote alors de ses propres experts, souligne Jérôme Lamy, historien et sociologue des sciences à l’université de Versailles Saint-Quentin. Principalement issus des grands corps de l’État – l’École nationale d’administration (ENA), l’École polytechnique, les Écoles normales supérieures – ils vont constituer une catégorie d’experts « légitimes », exerçant au final une forme de monopole sur le savoir « institutionnel ».

Pourquoi ? Parce qu’ils sont jaloux de leurs prérogatives, note Jérôme Lamy ! Peut-être. Mais aussi, surtout, parce que ce processus d’internalisation de l’expertise dans l’appareil d’État aboutit à ce que les experts détiennent (en plus de leur savoir scientifique) « un savoir-faire spécifique » que Jean-Michel Fourniau, chercheur au Groupe de sociologie pragmatique et réflexive (EHESS), qualifie de « fit for purpose » (taillé sur mesure) : il est à même de fournir au pouvoir politique des réponses compatibles avec ses outils d’action.

Prendre la complexité du réel au sérieux

L’autorité morale de l’expert vient donc de ce que le pouvoir politique l’accrédite et la légitimité de la décision publique, de l’avis de l’expert. De là ce qu’on pourrait qualifier de fonctionnement en vase clos. Ou pour le dire autrement, de manque d’ouverture ! Facteur aggravant : « la technicisation croissante de la prise de décision » – qui culmine avec la création d’agences dans le domaine sanitaire, estime Jérôme Lamy – augmente le coût d’entrée dans ce cercle fermé.

Comment l’élargir ? En commençant déjà par le faire connaître. On sait peu finalement du travail des experts. Dans certains pays anglo-saxons, les délibérations entre experts sont ouvertes au public. Une manière de jouer la transparence efficace mais « impensable » en France, note Corinne Delmas. Tout juste sept organismes publics de recherche, d’expertise et d’évaluation des risques sanitaires et environnementaux ont-ils signé à ce jour une Charte d’ouverture au public.

Au-delà de la transparence, l’enjeu réside surtout dans la prise en compte des savoirs non hégémoniques, ceux qu’on dit profanes, de l’usager, du citoyen, mais aussi ceux issus des sciences humaines et sociales souvent infériorisées ou écrasées par la culture du chiffre qui domine le savoir expert. Il ne s’agit pas seulement de réhabiliter l’expertise (prise en méfiance) mais de l’amender. L’État ne peut plus se prévaloir de la seule expertise « scientifique » pour asseoir ses décisions, constate Corinne Delmas, « il doit prendre la complexité du réel au sérieux ».

L’objectif n’est du reste pas aussi inaccessible qu’il y paraît. C’est ce que montrent notamment les travaux de l’ANSES sur les parties prenantes ou le rapport Houllier sur « les sciences participatives ». En la matière, l’expertise dans le champ de l’environnement – un domaine où les grands corps de l’État ne sont pas détenteurs historiques du savoir – constitue un bon exemple. Là, les expériences de pluralisme, de conférences citoyennes et de débats inclusifs ont déjà fait leurs preuves.

Ne reste plus qu’à ce qu’elles essaiment…

 

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