Whirlpool : peut-on empêcher les délocalisations (2017)?
Et soudain, la fermeture de l’usine Whirlpool d’Amiens est devenue un enjeu de l’entre-deux-tours. Mercredi 26 avril, alors qu’Emmanuel Macron rencontrait l’intersyndicale de l’établissement de Whirlpool à la chambre de commerce de la ville, Marine Le Pen se présentait sur le parking de l’entreprise pour une visite surprise à ses ouvriers. Elle est venue leur faire part de son « soutien total » dans leur combat contre la fermeture du site décidée par le groupe. « Avec moi, leur usine ne fermera pas ! », a-t-elle twitté dans la foulée, sans préciser la manière dont elle comptait empêcher cette fermeture. Se rendant à son tour auprès des salariés du site, Emmanuel Macron a insisté sur deux points : il n’y aura « aucune homologation d’un plan de sauvegarde de l’emploi qui n’est pas à la hauteur » et l’Etat cherchera un repreneur pour l’usine conservant le maximum d’emplois. Il a cependant ajouté : « Je ne prends pas l’engagement de vous nationaliser, de vous sauver avec de l’argent public. »
La visite des deux candidats intervient alors que, depuis lundi 24 avril, les salariés du site d’Amiens de Whirlpool se sont mis en grève et bloquent l’accès de l’usine aux poids lourds. Leur objectif : obliger la direction de l’entreprise à nourrir un dialogue constructif sur les termes du plan de sauvegarde de l’emploi (PSE). En janvier, celle-ci leur avait en effet annoncé qu’elle prévoyait de fermer leur usine en juin 2018, pour le délocaliser à Lodz, en Pologne. Les 290 salariés du site pourraient perdre leur emploi, ainsi que 250 intérimaires qui y travaillent quasiment en permanence. La survie de l’entreprise Prima, principal sous-traitant du site qui emploie une cinquantaine de salariés, est elle aussi menacée.
Mise en concurrence interne
Cette décision s’inscrit dans le mouvement de réorganisation du groupe américain d’électroménager : après le rachat de son concurrent italien Indesit en 2014, il a en effet récupéré quinze usines en Europe, dont la moitié en Pologne, en Turquie et en Russie. Des sites avec des coûts de main-d’œuvre moins élevés que dans l’Hexagone. Les salariés d’Amiens sont donc victimes d’une mise en concurrence interne des différents sites du groupe.
Les délocalisations, au sens strict, restent un phénomène assez marginal à l’échelle du pays
Le cas Whirlpool a remis sur la place médiatique la question des délocalisations. S’il n’est pas « anecdotique », selon la formule malheureuse employée par le mentor d’Emmanuel Macron, Jacques Attali, surtout pour les salariés qui en sont victimes, il est vrai que le phénomène des délocalisations – au sens strict, c’est-à-dire le fait pour une entreprise de fermer une unité de production en France pour en ouvrir une autre tout en continuant à servir les mêmes marchés – est assez marginal à l’échelle de l’économie du pays. Les évaluations sont rares, mais l’Insee qui avait étudié cette question il y a quelques années en avait conclu que seulement 4,2 % des entreprises implantées en France avaient procédé à des délocalisations d’activités entre 2009 et 2011, en majorité vers d’autres pays européens. Ces délocalisations avaient occasionné 6 600 suppressions directes de postes par an durant cette période, soit 0,3 % de l’emploi salarié.
Ce chiffrage ne prend pas en compte le fait pour une entreprise de changer de sous-traitant ou de fournisseur au profit d’un concurrent étranger. S’il ne s’agit pas d’une délocalisation à proprement parler, le résultat est le même. Impossible dans ces cas-là de mesurer l’ampleur du phénomène avec précision. Tout ce que l’on peut dire, c’est que, d’une manière générale, la concurrence des producteurs des pays à bas coûts est responsable d’une partie de la désindustrialisation observée en France, surtout depuis le début des années 2000, même si elle n’en est pas la seule cause.
Pour la première fois depuis 2008, autant d’usines ont été ouvertes que fermées en 2016
Le gros de la vague des fermetures d’usines semble cependant passé. En 2016, pour la première fois depuis le début de la crise de 2008, le solde total des ouvertures et des fermetures d’usines a été nul en France : autant d’usines ont été ouvertes que fermées, selon l’observatoire de la société Trendeo. Seul bémol, les usines qui ouvrent sur le territoire français emploient moins de salariés que celles qui ferment. C’est le signe qu’elles se spécialisent sur des productions plus haut de gamme.
Cela ne signifie pas pour autant que l’appareil productif français est sorti d’affaire. Comme le montre la dégradation continue du déficit commercial français (– 48,1 milliards d’euros en 2016, dont – 35 milliards pour les seuls produits industriels), signe inquiétant pour la compétitivité des produits made in France. De ce point de vue, la politique de l’offre engagée par François Hollande avec le pacte de compétitivité n’a pas encore porté ses fruits. Jusqu’ici, les firmes ont préféré utiliser ses 40 milliards d’euros pour restaurer leurs marges, plutôt que de baisser leurs prix de vente ou d’investir pour regagner des parts de marché à l’exportation.
Interdire les fermetures d’usines ?
Que peuvent alors faire les responsables politiques face aux usines qui ferment ? Peut-on empêcher des productions d’entrée de gamme, comme celle de fabrication de sèche-linges de l’usine d’Amiens de Whirlpool, de migrer vers des pays avec des coûts salariaux plus faibles ? La réponse est plutôt non, sauf à pousser les feux de la robotisation, ce qui à court terme au moins revient à supprimer des emplois. L’option la plus autoritaire – l’interdiction faite à une entreprise de fermer un site – est difficile à envisager dans une Europe marquée par la libre entreprise et la liberté de circulation des capitaux. Ce serait un mauvais signal envoyé à toutes les entreprises étrangères qui voudraient investir en France.
Taxer les machines sortant d’une usine délocalisée comme le propose Marine Le Pen exposerait l’industrie française à des représailles
Ne pourrait-on taxer à 35 % les machines vendues en France « sortant d’une usine délocalisée », comme l’avait proposé Marine Le Pen quelques semaines avant le premier tour ? Cela reviendrait à renchérir le prix des biens pour le consommateur français, sans nécessairement que cela profite à la production dans l’Hexagone. Cette dernière s’exposerait d’ailleurs à des représailles de la part des partenaires commerciaux de la France sur les produits qu’elle exporte.
Faut-il exiger des entreprises qui délocalisent qu’elles remboursent les aides publiques qu’elles ont perçues, comme l’a évoqué Emmanuel Macron devant les ouvriers de Whirlpool ? La mesure n’apparaît pas simple à mettre en œuvre.
L’Etat pourrait conditionner les aides versées aux entreprises à des contreparties ayant pour effet de renforcer la compétitivité des sites industriels
L’Etat pourrait cependant influer sur les stratégies des entreprises par des mesures plus structurelles. D’abord, en conditionnant les aides versées aux entreprises à des contreparties de leur part ayant pour effet de renforcer la compétitivité intrinsèque d’un site industriel. Par exemple, le bénéfice du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emplois (Cice) pourrait être réservé aux entreprises accroissant leur effort de recherche et développement ou de formation des salariés : la montée en gamme est en effet la meilleure arme contre les délocalisations. Ensuite, les pouvoirs publics peuvent chercher à renforcer le pouvoir des salariés dans les entreprises. Notamment en leur faisant plus de place dans les conseils d’administration, pour que leurs décisions stratégiques tiennent mieux compte de l’intérêt de l’ensemble de ses parties prenantes. Ce modèle de la « codétermination », en place en Allemagne et dans les pays scandinaves, a pour vertu de rendre les dirigeants d’entreprise plus responsables. Ces deux mesures, qui figuraient en bonne place dans le programme de Benoît Hamon, sont singulièrement absentes de ceux de Marine Le Pen et d’Emmanuel Macron.
Eviter la dispersion des collectifs de travail
Enfin, lorsque la fermeture d’une usine apparaît inévitable, tout doit être mis en œuvre pour faciliter sa reprise et éviter la dispersion de son collectif de travail. Ce dernier dispose en effet de compétences organisationnelles précieuses qui peuvent être redéployées vers d’autres productions. Tout cela en évitant la casse sociale et des reconversions individuelles souvent difficiles. C’était tout l’enjeu de la procédure de « CV de site » mis en œuvre par la direction de Bosch en collaboration avec les syndicats il y a quelques années pour reconvertir son usine de Vénissieux de la production de pompes diesel vers l’assemblage de panneaux photovoltaïques. Cette reconversion a tourné au vinaigre depuis pour les salariés de Vénissieux, mais la méthode suivie n’est pas en cause. Un dispositif auquel les pouvoirs publics et les candidats à la présidentielle auraient gagné à s’intéresser avant que l’affaire Whirlpool ne fasse irruption dans la campagne.