Pour éviter le chaos climatique et financier
Jean Jouzel et Pierre Larrouturou
Et si préserver notre climat était l’un des meilleurs moyens d’endiguer la prochaine crise financière ? Pour sauver les banques, on a mis 1000 milliards. Pourquoi ne pas mettre 1000 milliards pour sauver le climat ? Avec ce livre, le climatologue Jean Jouzel et l’économiste Pierre Larrouturou proposent un vrai Pacte finance-climat européen, pour diviser par 4 les émissions de CO2, dégonfler la bulle financière et créer plus de 5 millions d’emplois. La machine climatique est en train de s’emballer dangereusement. Il ne nous reste que 3 ans pour inverser la courbe des émissions de gaz à effet de serre si nous voulons éviter aux jeunes d’aujourd’hui un climat auquel il leur serait difficile, voire impossible, de s’adapter. Or, dans le même temps, l’endettement mondial atteint un niveau inédit, les banques centrales nourrissent la spéculation et tout annonce une crise pire que celle de 2008. Favoriser la spéculation ou sauver le climat ? À nous de choisir.
Source: Article de Var matin 17/12/2017 mes ajouts en italiques
La bonne nouvelle c'est qu'il n'est pas trop tard: l'économiste Pierre Larrouturou reste résolument optimiste quant à la prise de conscience collective de l'urgence climatique. Avec le climatologue Jean Jouzel, il signe un livre "Pour éviter le chaos climatique et financier" et lance une campagne destinée à promouvoir un traité finance-climat dont dépend l'avenir de la planète.
Comment un économiste et un climatologue arrivent à parler le même langage?
Nous vivons sur la même planète, sommes tous les deux pères de famille et tous les deux très inquiets pour nos enfants, qui vivront dans un monde invivable si on ne change pas de modèle au plus vite.
un modèle de croissance de tout, partout et idéfiniment pour certains mais pas encore pour tous. Le changement climatique résulte de la croissance de la population et de la production/consommation par habitant depuis la 2è guerre mondiale; un modèle issu de la révolution industrielle commencée en Europe occidentale et qui s'est étendu à tous ses rameaux ainsi qu'au Japon. Aujourd'hui la Chine et l'Inde répliquent le modèle; demain l'Afrique le voudrait aussi pour donner à sa population croissante le même modèle. C'est la racine du mal. C'est ce modèle qu'il faut changer? Mais comment? Commencer chez nous.
Ce n'est pas juste un livre que vous publiez, c'est une campagne que vous débutez...
Oui. On se donne un an pour obtenir un traité européen qui permettra de rattraper le temps perdu pour lutter contre le réchauffement climatique. Le livre explique comment financer cette bataille fondamentale. Lancée dans plusieurs pays d'Europe, notre campagne a déjà le soutien de 150 personnalités et plusieurs milliers de citoyens. Aussi bien le prince Albert de Monaco que la maire de Madrid, Manuela Carmela, élue grâce à Podemos, ou encore Pascal Lamy et le président de tous les syndicats européens... Tous s'engagent pour un traité européen qui mettrait la finance au service du climat.
Vous expliquez que, pour y parvenir, il faut mobiliser 1000 milliards par an...
C'est la cour des comptes européenne qui le dit. Et ça tombe bien: depuis avril 2015, la Banque centrale européenne (BCE) a créé 2500 milliards d'euros. Hélas, 89 % de cet argent est allé â la spéculation. Nous voudrions que 100 % de la création monétaire de la BCE aille dans l'économie réelle, pour financer des économies d'énergie et les énergies renouvelables!
1155 milliards d’euros qu’il sera nécessaire d’investir chaque année dans l’atténuation du changement climatique sur la période 2020-2030 devront provenir de sources à la fois publiques et privées. Un prix plus robuste du carbone constituerait également un levier puissant, susceptible de stimuler davantage l’investissement privé. Source Cour des Comptes européenne.
Le financement de votre plan s'appuie aussi sur la création d'une taxe sur les bénéfices.
Il n'y a jamais eu autant de bénéfices mais jamais ils n'ont été aussi peu taxés: le taux moyen d'impôt sur les bénéfices est tombé à 20 % en Europe, alors qu'il était à 45 % il y a trente ans et qu'il est de 38 % aux États-Unis.
Taxer plus diminue les possibilités d'investir des entreprises; c'est alors le secteur public qui doit le faire à sa place mais pour des activités utiles et bénéfiques pour la collectivité dans son ensemble.
Même en étant seulement de 5 %, un impôt européen sur les bénéfices non réinvestis rapporterait chaque année 100 milliards. Avec cette ressource, l'Europe pourrait payer 20 % de tous les travaux d'isolation thermique nécessaires pour diminuer la production de gaz à effet de serre dans nos immeubles, nos usines, nos écoles... Avec cette contribution climat de 5 %, l'Europe pourrait investir chaque année 40 milliards en Afrique et dans le pourtour de la Méditerranée, et muscler très nettement sa politique de recherche.
Ce plan finance climat serait aussi créateur d'emplois
Clairement! Il faudra commencer par isoler tous les bâtiments, publics et privés, qui sont aujourd'hui la première source de gaz à effet de serre. Inventer d'autres modèles de transports, développer les transports en commun. Changer notre modèle agricole (utiliser moins de produits chimiques et utiliser les économies ainsi réalisées pour embaucher). Développer les énergies renouvelables (biomasse, éolien, géothermie, solaire...). Dans ce livre, on montre tout ce qui bouge déjà et ce qui nous rend optimistes sur notre capacité à rattraper le temps perdu, si on change de braquet sur les financements. Au total, l'Agence de l'environnement et de la maitrise de l'énergie (ADEME) estime qu'on pourrait créer jusqu à 900000 emplois, rien qu'en France. 900000 emplois, utiles et non délocalisables !
Créer des emplois?. par la réduction du temps de travail et par un changement de paradigme production-consommation, travail-non travail et revenus. En cette période de noël 2017, le plein à craquer des surfaces de vente nous interpelle. Pierre Larrouturou a été un avocat de la réduction du temps de travail et du changement de paradigme.
Cela fait déjà longtemps que l'on parle de lutte contre le réchauffement climatique, sans parvenir à mobiliser.
C'est parfois quand on arrive tout près du précipice qu'on est capables d'un sursaut. En fin de compte, Trump nous a rendu service: ou bien on est vraiment borné, aveugle et cynique comme lui, ou bien on est du côté de celles et ceux qui se retroussent les manches... Quand vous voyez le patron de Total exiger une taxe sur le CO2, personne n'aurait imaginé cela, il y a un an seulement. Tous les mois, Total achète une entreprise qui produit des énergies renouvelables. Le vent tourne.
Les pays européens, la France en particulier, ont-its les moyens de financer cette transition énergétique?
Chaque pays, tout seul, non! En Allemagne, la coalition «Jamaïque » a explosé car elle n'arrivait pas à financer la sortie du charbon. Mardi dernier, Emmanuel Macron a organisé un grand sommet pour imposer cette question du financement au centre du débat politique. Grâce au pacte finance-climat que nous proposons, la France aurait chaque année 55 milliards à investir dans la transition énergétique. Dix fois plus que le budget actuel de l'environnement !
Tout le monde a conscience de l'urgence et aussi de la rentabilité à terme des investissements verts, mais personne ne sait comment amorcer la pompe. C'est pour cela que notre plan intéresse beaucoup de gens: en deux semaines seulement, il a recueilli le soutien des personnalités évoquées, mais aussi de milliers de citoyens sur notre site. Ils y trouvent des argumentaires et peuvent devenir ambassadeurs de ce projet.
Dans ce contexte, le projet d'aéroport de NotreDame-des-Landes doit-il voir le jour?
Je n'engage que moi mais je pense que nous devons tous nous laisser bousculer par la gravité de la situation et changer nos comportements personnels et collectifs: prendre moins souvent l'avion, manger moins de viande... Ce projet a été conçu quand il n'y avait pas ce problème de climat, ni même le TGV! Or, en TGV, on met deux heures depuis Nantes pour rejoindre l'aéroport Charles-de-Gaulle. Il serait plus cohérent d'améliorer l'existant plutôt que d'en construire un second.
Qu'avez-vous pensé de ce premier «One planet summit»?
La situation politique étant complexe en Allemagne, il a manqué une réponse européenne mais ce sommet montre qu'il y a une prise de conscience universelle de la gravité du dérèglement climatique. Même aux États-Unis, ou 38 Etats sur 50 ont voté pour rester dans l'accord de Paris, Trump est minoritaire. Quand on voit 300000 personnes obligées de quitter leur domicile en Californie à cause des incendies de forêts – en décembre! –, on ne peut plus nier la réalité.
N'y avait-il pas un paradoxe à voir le Qatar ou les Émirats Arabes Unis autour de la table, alors qu'ils comptent parmi les pays les plus producteurs d'énergies fossiles?
Ils se rendent compte eux aussi de l'urgence climatique et savent, par exemple, que les sécheresses dramatiques qui ont poussé des millions de personnes à migrer, sont une des causes de la guerre en Syrie... Pour éviter le chaos climatique, il faut financer un chantier colossal qui nous permettra de diviser par 4 nos émissions de CO, d'ici 2050. Nicolas Hulot a préfacé notre livre et soutient notre démarche. Notre objectif est que l'Europe fasse la preuve «grandeur nature» que l'on peut vivre très bien en consommant moins d'énergie et en utilisant des énergies plus propres. Si nous montrons que c'est possible et que c'est même la source d'une prospérité nouvelle, le Japon, la Chine puis les USA suivront. On a un an pour gagner la bataille des idées: notre objectif est que, lors de la prochaine conférence sur le climat, en décembre 2018 en Pologne, notre appel ait rassemblé 2 ou 3 millions de signataires au moins. Sous l'autorité de Miguel Moratinos, ancien ministre espagnol, un groupe va rédiger le futur traité. Les chefs d'État n'auront plus aucune excse pour ne pas le mettre en oeuvre avant 2020.
PROPOS RECUEILLIS PAR K. M. kmichel@nicematin.fr
Pour éviter le chaos de Jean Jouzel et Pierre Larrouturou. Edtions Odile Jacob. 22€