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Source: lesechos.fr Veronique Le Billon

 

Six questions sur le virage d'EDF vers le solaire

Finalement, il y a du soleil en France. Alors qu'EDF concentrait ses investissements dans les énergies vertes dans l'éolien et à l'international, Jean-Bernard Lévy a annoncé ce lundi, à la veille de la rencontre « One Planet Summit », un « plan solaire » pour développer et construire 30 gigawatts (GW) de nouvelles capacités de production dans l'Hexagone entre 2020 et 2035. « L'heure est venue de participer à un changement d'échelle majeur », a jugé le PDG d'EDF. Et « le solaire est là où le potentiel est le plus important ». Passage en revue des questions soulevées par ce virage.

1-Ces annonces sont-elles ambitieuses ?

A fin septembre, la France comptait 7,7 GW de puissance photovoltaïque raccordée, selon les chiffres de l'administration. Et le développement est relativement lent : 484 mégawatts (soit 0,48 GW) ont été raccordés au réseau électrique sur les neuf premiers mois de l'année. La programmation pluriannuelle de l'énergie prévoit 18,2 à 20,2 GW d'installations photovoltaïques à l'horizon 2023. « On va le manquer d'une bonne poignée de gigawatts », a déjà anticipé Antoine Cahuzac, le patron de la filiale d'énergies vertes du groupe, EDF EN.

Avec 1.000 à 1.400 heures d'ensoleillement par an selon les régions en France, la production solaire reste faible (8,3 térawattheures, soit 1,6 % de la production totale d'électricité). Ajouter 30 GW de capacités solaires augmenterait aujourd'hui la production globale de 5 à 7 %, faisant la part du solaire à 8 % de l'électricité produite en France. Pour comparer, le solaire représente déjà 6,2 % de la production en Allemagne et 7,8 % en Italie.

EDF, qui vise en priorité la construction de grandes fermes solaires au sol (supérieures à 100 MW), n'exploite aujourd'hui que 200 MW de panneaux solaires en France, un marché qu'il avait délaissé. Il prévoit donc une montée en puissance progressive, mais massive : 1,5 GW par an sur la période 2020-2025, puis 2 GW par an les cinq années suivantes et 2,5 GW les cinq exercices suivants.

2-Ce plan est-il purement politique ?

« Ce plan est une réponse à la communication du Premier ministre », a expliqué le PDG d'EDF. Début novembre, Edouard Philippe a demandé à Nicolas Hulot de préparer au premier trimestre 2018 un plan de simplification des projets d'énergie verte, pour « accroître notre ambition au meilleur coût pour la collectivité ». Surtout, le ministre de la Transition écologique et solidaire a officiellement acté le report de l'objectif inscrit dans la loi de réduire la part du nucléaire de 75 % à 50 % de la production d'électricité à l'horizon 2025, essuyant les critiques de ses soutiens écologistes. Détenu à 83,4 % par l'Etat, EDF se devait donc de donner des gages. Certains y voient aussi une marque d'allégeance de Jean-Bernard Lévy, alors que son mandat sera remis en jeu à l'assemblée générale clôturant les comptes 2018, soit au printemps 2019.

3-EDF en a-t-il les moyens financiers ?

Il y a un mois, EDF a révisé à la baisse sa prévision d'excédent brut d'exploitation (Ebitda) (entre 14,6 et 15,3 milliards d'euros pour 2018), notamment en raison des arrêts de réacteurs nucléaires. Surtout, EDF a indiqué qu'il n'était pas en mesure d'assurer l'objectif longtemps martelé d'un cash-flow libre positif après versement du dividende en 2018 . C'est l'une des faiblesses structurelles du groupe, qui continue ainsi à sortir chaque année plus d'argent qu'il n'en fait entrer dans ses caisses.

Or le plan présenté lundi suppose un effort global d'investissement de 25 milliards d'euros. « Une part importante viendra de partenaires et d'investisseurs. C'est un modèle que nous utilisons déjà et qui fonctionne bien », a assuré Jean-Bernard Lévy. Selon Antoine Cahuzac, le directeur exécutif groupe d'EDF chargé des renouvelables, ces projets peuvent se boucler avec 20 % en fonds propres, le reste étant financé en levant de la dette. Mais EDF a déjà un lourd plan d'investissement. Et, malgré une augmentation de 4 milliards d'euros et un plan de cession bien avancé de 10 milliards d'euros, la dette nette d'EDF dépasse encore 30 milliards d'euros.

Selon nos informations, ce plan solaire n'a pas encore été présenté en conseil d'administration. Un comité stratégique du conseil s'est réuni la semaine dernière, qui portait sur la période 2018-2021. Dans les énergies renouvelables, l'objectif affiché a été de faire passer les mises en service brutes de capacités éoliennes et solaires en France de 1,8 gigawatt cette année à 2,8 GW en 2021. « Aucun des chiffres donnés ce matin n'a été porté à la connaissance du conseil d'administration », indique aux « Echos » un administrateur. Un conseil doit se tenir ce jeudi.

4-Des réacteurs nucléaires devront-ils être fermés ?

« Il n'est pas question de toucher un cheveu au grand carénage [le programme de maintenance lourde des centrales nucléaires engagé pour prolonger leur durée d'exploitation, NDLR] », une « opération extrêmement rentable », a expliqué Jean-Bernard Lévy. « Il faudra fermer des centrales, réagit pourtant un acteur du solaire. Parce qu'EDF ne sera pas le seul à faire du solaire, et il faudra bien écouler cette production. » La prochaine programmation pluriannuelle de l'énergie, qui fixera les orientations publiques pour la période 2024-2028, sera présentée fin 2018.

 Nous allons demander que des appels d'offres pour des grandes fermes solaires soient lancés, sinon cela ne peut pas se faire. 

5-L'annonce d'EDF peut-elle réellement se concrétiser ?

Le plan solaire aura comme préalable le lancement d'appels d'offres par le gouvernement, a insisté le groupe. « Nous allons demander que des appels d'offres pour des grandes fermes solaires soient lancés, sinon cela ne peut pas se faire », a mis en garde Jean-Bernard Lévy, renvoyant ainsi habilement l'Etat à ses responsabilités. Lundi, Nicolas Hulot a opportunément annoncé une première pierre pour son « green new deal », en portant de 1,45 GW à 2,45 GW par an le volume des appels d'offres solaires au sol et sur bâtiments.

L'annonce d'EDF est aussi une demande de simplification des procédures. « Le solaire occupe beaucoup de place, c'est un problème en France, où on ne peut pas déforester ni utiliser les terrains agricoles », expliquait aux « Echos » mi-2016 Jean-Bernard Lévy. EDF puisera en priorité dans ses réserves foncières (sans préciser leur étendue), mais elles seront insuffisantes : il faut 25 à 30.000 hectares (environ 40.000 terrains de football) pour construire les capacités annoncées par EDF. Le secrétaire d'Etat à l'énergie, Sébastien Lecornu, vient de lancer un groupe de travail sur le solaire.

6-Combien cela va-t-il coûter au consommateur ?

Les coûts du solaire baissent rapidement et la CSPE, la taxe qui finançait les énergies vertes en pesant sur les factures d'électricité, est désormais aussi assise sur d'autres énergies (gaz, carburants...). « Le développement de l'énergie solaire s'est accompagné d'une baisse substantielle du niveau de soutien de l'Etat », rappelle Nicolas Hulot : 63,90 euros par mégawattheure, soit 9 % de moins en quatre mois. « Pour les plus gros projets au sol, le prix tombe même à 54 euros/MWh », pointe Nicolas Hulot. Les prix de marché évoluent autour de 40 euros/MWh. La Commission de régulation de l'énergie aiguise davantage ses flèches vers les projets éoliens en mer .