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Source Décodex lemonde.fr

 

« Macron, président des riches » ? Le vrai du faux de la charge de Jean-Luc Mélenchon

 

Le fondateur de La France insoumise s’est livré, lundi sur son blog, à une critique détaillée de la politique économique du gouvernement, mêlant vraies critiques et exagérations.

LE MONDE | 15.09.2017 à 14h40 • Mis à jour le 15.09.2017 à 16h45 | Par Adrien Sénécat

Emmanuel Macron, « le président des riches ». C’est le titre d’un billet de blog de Jean-Luc Mélenchon, publié lundi 11 septembre, dans lequel il se livre à une vaste critique de la politique économique du chef de l’Etat. Selon le député de La France insoumise, les « cadeaux » faits aux plus riches donnent « le vertige », tandis que les bas salaires ne profiteront que de gains « très réduits ». Et si certains exemples sont erronés, d’autres sont entièrement fondés. Nous avons fait le tri.

Une présentation trompeuse de la réforme de l’imposition du capital

CE QUE DIT JEAN-LUC MÉLENCHON

Emmanuel Macron a confirmé dans une interview au Point, à la fin d’août, sa promesse de campagne d’introduire un prélèvement forfaitaire unique (PFU) de 30 % sur l’ensemble des revenus du capital (à l’exception des livrets défiscalisés comme le Livret A, le Livret jeune et le Livret de développement durable ou LDD), là où il existait une multitude de régimes jusqu’ici. Une réforme injuste, selon le fondateur de La France insoumise, car elle aboutirait à ce que tous les ménages paient un impôt au même taux, y compris les plus modestes, sur les revenus du capital :

« Quel que soit le montant du revenu qu’un foyer tire de ses rentes, d’intérêts, de loyers, de dividendes ou de plus-values, [le revenu du capital] sera imposé à 30 %. Seulement. C’est, au bénéfice de la caste, la fin du principe de progressivité de l’impôt. »

POURQUOI C’EST PLUS COMPLIQUÉ

A lire Jean-Luc Mélenchon, tous les contribuables paieront donc leurs impôts sur le capital au même taux, qu’ils soient sans revenus ou milliardaires. En réalité, ce prélèvement ne devrait s’appliquer que sur option : les contribuables continueront d’avoir la possibilité, s’ils y ont intérêt, d’intégrer leurs revenus d’épargne à l’impôt sur le revenu, précise le programme présidentiel d’Emmanuel Macron. Dès lors, les ménages non imposables ne s’acquitteront que des prélèvements sociaux, inférieurs au taux de 30 %.

Il s’agit donc bien d’un sérieux coup de rabot sur la proportionnalité de l’imposition du capital, mais pas de sa disparition complète. Néanmoins, bien qu’il n’y aura pas de « perdants » dans cette réforme, les grands gagnants seront par définition les plus aisés, puisque ce sont eux qui verront leur taux d’imposition du capital baisser le plus fortement.

Alors qu’Emmanuel Macron disait pendant la campagne que sa réforme de la fiscalité du capital (transformation de l’impôt sur la fortune, l’ISF, comprise) serait « neutre » pour les finances publiques, le gouvernement estime désormais le coût de cette réforme à 1,5 milliard d’euros. L’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) l’évaluait quant à elle en juillet à 4 milliards d’euros.

La réforme de l’ISF rapportera bien des dizaines de milliers d’euros aux plus fortunés

CE QU’IL DIT

« Les 0,1 % les plus riches de la population française ont en moyenne un portefeuille financier qui atteint 14 millions d’euros. Pour eux, la suppression de l’ISF sur cette partie de leur capital sera l’équivalent d’une réduction d’impôt annuelle de 170 000 euros. »

POURQUOI C’EST PLUTÔT VRAI

Jean-Luc Mélenchon reprend ici des données comprises dans un chiffrage de l’OFCE des mesures économiques d’Emmanuel Macron, qui a été publié en juillet. L’organisme, qui se base sur les données du World Wealth & Income Database, reprend effectivement l’estimation selon laquelle les 0,1 % de la population française disposent d’un portefeuille mobilier de l’ordre de 14,3 millions d’euros et d’un portefeuille immobilier de 2,5 millions d’euros.

Or, le gouvernement va, conformément à la promesse de campagne du président, transformer l’ISF pour qu’il ne touche plus que les biens immobiliers. Un foyer qui possède un patrimoine immobilier de 2,5 millions d’euros et un patrimoine mobilier de 14,3 millions ne paiera donc plus que 10 900 euros d’ISF, au lieu de 200 190 euros, soit 190 000 euros de moins environ, soit une baisse d’ISF pour les 0,1 % de ménages les plus aisés encore un peu plus élevée que ce qu’avançait Jean-Luc Mélenchon.

Les données du World Wealth & Income Database sont imparfaites, comme le reconnaît d’ailleurs l’OFCE dans son analyse. Mais en l’absence de données plus précises (le ministre de l’économie refuse de les publier à date), elle donne une idée des conséquences de la réforme de l’ISF. Le gouvernement lui-même reconnaît en creux cette situation, puisqu’il chiffre à 4 milliards le manque à gagner dû à la réforme, alors que les recettes étaient de 5,2 milliards en 2014.

Il faut par ailleurs préciser que M. Mélenchon fait un raccourci lorsqu’il parle de patrimoine « financier » pour évoquer le patrimoine mobilier : outre les placements financiers et les liquidités (espèces, comptes courants, etc.), le patrimoine mobilier comprend les meubles, véhicules, etc.

Lire le décryptage :   Que change la réforme de l’ISF d’Emmanuel Macron ?

Les recettes de l’Etat diminueront bien de 5,5 à 8 milliards

CE QU’IL DIT

« Le montant de ces cadeaux [les baisses d’impositions du capital] donne le vertige ! Quand on fait le total, c’est encore plus impressionnant. Il y en a pour environ 7 milliards d’euros par an ! »

POURQUOI C’EST PLUTÔT VRAI

Le gouvernement lui-même estime que la transformation de l’ISF va engendrer une baisse des recettes de l’ordre de 4 milliards d’euros par an. Si l’on y ajoute les 1,5 milliard prévus dans le cadre du prélèvement forfaitaire unique, on arrive à un total de 5,5 milliards d’euros. L’OFCE, quant à elle, chiffre la seconde mesure à un coût global de 4 milliards d’euros, un chiffre « exagéré et fantaisiste », a rétorqué le ministre de l’économie et des finances, Bruno Le Maire, dans une interview aux Echos le 11 septembre.

Si l’on prend d’un côté le chiffrage gouvernemental et de l’autre celui de l’OFCE, on aboutit à une fourchette d’un coût de l’ordre de 5,5 à 8 milliards d’euros dans le cadre de ces deux réformes liées à l’imposition du capital. Ce qui est bien similaire aux « 7 milliards » avancés par Jean-Luc Mélenchon.

Les petits salaires augmenteront très peu au début de 2018

CE QU’IL DIT

Evoquant la hausse du salaire net promise par le gouvernement sur la fiche de paie au début de l’année 2018, Jean-Luc Mélenchon prévient qu’elle sera réduite :

« La baisse des cotisations sera étalée sur l’ensemble de l’année prochaine mais la hausse de la CSG [contribution sociale généralisée] se produira entièrement à partir du 1er janvier. Bilan pour un smic : une hausse de 5 euros. Juste la somme correspondant à la baisse des APL. »

POURQUOI C’EST PLUTÔT VRAI

Emmanuel Macron s’est engagé, dans son programme présidentiel, à supprimer « 3,15 points » de cotisations salariales maladie et chômage pour les salariés du secteur privé. Un gain de pouvoir d’achat en partie grevé par une hausse de la CSG (prélèvement qui finance la Sécurité sociale, lire nos explications) de 1,7 point pour les salariés, mais aussi pour les retraités (sauf les plus modestes). Finalement, on arrive avec ce système à une baisse de 1,4 point des cotisations sur le salaire brut, ce qui représente « 500 euros net supplémentaires par an » pour un salarié qui gagne « 2 200 euros net par mois », vantait le site de campagne du candidat d’En marche !.

Cette mesure verra bien le jour, mais en deux temps, a depuis précisé le gouvernement. Le ministre des comptes publics, Gérald Darmanin, a assuré à Nice Matin, à la fin du mois d’août, que la mesure serait entièrement appliquée à l’automne 2018, mais que seuls les « deux tiers » de la baisse des cotisations seraient effectifs au 1er janvier 2018 (alors que la CSG, elle, augmentera de 1,7 point dès cette date). Suivant ces explications, on retient donc une baisse de 2,10 points des cotisations, compensée par une hausse de 1,7 point de la CSG, soit une baisse nette de 0,4 point de cotisations.

Concrètement, un salarié au smic (1 480,27 euros brut mensuels) y gagnera environ 5,9 euros par mois sur sa fiche de paie au 1er janvier 2018 (1480,27 euros multipliés par 0,004). Jean-Luc Mélenchon a donc raison quand il affirme que la hausse du salaire net au début de 2018 sera très limitée pour les bas salaires.

Cette augmentation sera néanmoins plus consistante à partir de l’automne 2017 : un salarié au smic connaîtra alors une nouvelle hausse de son salaire net de 22 euros par mois environ (1 480,27 euros multipliés par 0,015). Soit une progression de 28 euros par mois environ entre la fin de 2017 et la fin de 2018. A terme, cela représentera donc bien environ 335 euros par an pour un salarié au smic et 500 euros par an pour un salarié à 2 200 euros net par mois. 80 % des foyers bénéficieront par ailleurs à partir de 2018 d’une exonération partielle, puis totale de la taxe d’habitation.

Calculette :   Serez-vous exonéré de la taxe d’habitation en 2020 ?

Le salaire payé par l’employeur ne sera pas « baissé »

CE QU’IL DIT

« Au passage, ce n’est plus le capital qui paye les cotisations sociales qui sont pourtant une part du salaire réel. Le “salaire brut”, c’est du salaire ! Dorénavant il sera payé par les contribuables qui devront compenser à l’euro près l’exonération de cotisations sociales décidées par Macron. Autrement dit : le salaire payé par l’employeur sera baissé et l’impôt sur le contribuable salarié sera augmenté pour payer cette baisse. »

POURQUOI C’EST TROMPEUR

Tout à sa démonstration, Jean-Luc Mélenchon s’emballe quelque peu ici. Le leader de La France insoumise a raison sur un point : le jeu de transferts de cotisations d’Emmanuel Macron fait bel et bien des perdants parmi les contribuables, à savoir les 60 % de retraités les plus aisés qui paieront la hausse de la CSG. Il est également juste de souligner que les cotisations salariales ne sont pas seulement un coût : elles financent le système social français, et donc des droits.

Il est en revanche trompeur de laisser entendre que « le salaire payé par l’employeur sera baissé » dans cette affaire. En effet, la somme versée par ce dernier ne varie pas ici : la baisse des cotisations profitera aux salariés, même si, on l’a vu, elle sera modeste au début de l’année 2018 et qu’une large partie des retraités y perdra par ailleurs.

On pourrait rétorquer que « l’employeur » verra sa contribution sociale baisser à travers les baisses de taxation du capital (ISF et prélèvement forfaitaire unique). Mais ce serait un peu vite confondre les « employeurs » avec les « 10 % les plus riches », qui bénéficieront à 46 % des baisses d’impôts selon l’OFCE. Deux catégories socioprofessionnelles qui se recoupent partiellement, mais restent distinctes : on peut être un petit patron et ne pas figurer parmi les ménages les plus aisés de France, et inversement en faire partie sans être un patron.

 

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