JustPaste.it

Wœrth : " Macron fait preuve d'autoritarisme "

Le président de la commission des finances dénonce le manque d'" objectifs clairs " en matière budgétaire

 

agrandir la taille du texte
diminuer la taille du texte
imprimer cet article
Eric Wœrth, président (Les Républicains) de la commission des finances de l'Assemblée nationale, juge " très floue " la politique économique du gouvernement, avant le débat d'orientation budgétaire, le jeudi 20  juillet.

L'objectif du gouvernement de respecter la règle des 3  % de déficit est-il réalisable pour 2017 ?
Oui, à condition qu'il n'y ait pas de surprise d'ici à la fin de l'année. Or, nous ne sommes qu'au mois de juillet… Pour boucler le budget, le gouvernement fait de la régulation classique, en donnant des coups de rabot. Il a annulé des -crédits, mais en réalité, tant qu'il n'y aura pas de réformes structurelles, il ne fait que les transférer sur l'année d'après.

La défense et l'intérieur payent un lourd tribut…
L'essentiel de l'annulation des crédits porte en effet sur le régalien. Cela représente près de 47  % des annulations, soit 1,4  milliard d'euros entre la défense, l'intérieur et le ministère des affaires étrangères. Terrorisme, défense, international… Ce sont des thèmes sur lesquels le président a été très présent depuis le début de son mandat et pourtant, ce sont les premiers crédits qu'on casse. Il y a là clairement une incohérence entre l'image que le président veut donner sur iPhone et la politique menée dans les faits.

Le général de Villiers a donc eu raison de protester ?
Je ne lui donne pas tort. Sa réaction est à la hauteur de la surprise que représentent ces 850  millions d'euros d'annulation de crédit sur la défense. C'est une mauvaise manière faite à l'armée. Le président est certes chef des armées, mais doit-il morigéner son propre chef d'état-major à un moment si symbolique, à savoir le 13  juillet à l'hôtel de Brienne devant les industriels et les hauts responsables de l'armée, pour affirmer son autorité ? Je ne le crois pas, Emmanuel Macron ne fait pas preuve d'autorité mais d'autoritarisme.

Comment qualifiez-vous la volte-face de l'exécutif sur le calendrier des réformes fiscales ?
C'est une faute grave du couple exécutif. Ils sont supposés avoir écrit leurs deux discours de -concert. Et on s'aperçoit que le président change la chronologie de mise en œuvre des mesures à peine quelques jours après la prise de parole d'Edouard Philippe. Or, le calendrier est fondamental pour l'efficacité des réformes. Le président, qui était sur la ligne du premier ministre, semble avoir cédé à la pression car un certain nombre d'experts et de ses amis se sont émus de ce calendrier. C'est la démonstration d'une véritable faiblesse.

Réduction du déficit en dessous des 3  % et baisse des prélèvements obligatoires sont au menu pour 2018, l'équation est-elle tenable ?
Non. Ce n'est pas 20  milliards qu'il faut trouver mais 30. Le gouvernement est fâché avec les chiffres. Vingt milliards, cela permet uniquement de stabiliser la dépense. Or, il faut par ailleurs compenser les 11  milliards de baisse de la recette fiscale par d'autres économies. Sinon, il faut augmenter les impôts, ce qui n'a pas l'air d'être au menu. A moins que le gouvernement ne compte sur une reprise d'activité et une hausse de la croissance pour augmenter les recettes de l'Etat. Tout ceci -demeure très flou. Il n'y a pas de programme clair de réduction de la dépense. Sur la baisse prévue de 120 000 fonctionnaires, par exemple, le gouvernement ne précise pas qui sera touché, quand, -comment, à quel rythme…

La réforme des retraites, -prévue pour fin 2018, arrive-t-elle trop tard ?
Oui, car il faudrait que la ministre s'y mette tout de suite. Où sont les réformes de structure pour réaliser des économies ? Outre la masse salariale de la fonction publique, il faut penser aussi à l'assurance-maladie, les retraites… Le grand bloc social représente 60  % de la dépense. Avec la réforme de 2010, nous avons retardé l'âge de la retraite à 62 ans et personne ne conteste que cela a porté ses fruits. Il faut prolonger cette réforme.

Fin de la taxe d'habitation et effort à hauteur de 13  milliards d'euros : n'est-ce pas la double peine pour les collectivités locales ?
C'est un hold-up total sur les collectivités locales, qui deviennent tout d'un coup responsables du déficit et de l'endettement de l'Etat. Le ministre de l'intérieur et des collectivités locales, Gérard Collomb, assure que l'Etat ne va pas baisser leurs dotations, tout en leur demandant de faire 13  milliards d'euros de dépenses en moins… Le gouvernement est en train de gagner le championnat du monde de l'hypocrisie ! Comment peut-on demander à une collectivité de faire des économies sur son personnel, alors que c'est l'Etat qui a la main sur la fonction publique territoriale ?

Est-ce la méthode Macron qui pose problème ?
Le gouvernement dit ce qu'il veut faire avant de se concerter avec les collectivités. Cela ne s'appelle pas une concertation mais une information. C'est également le cas au Parlement où l'opposition n'a pas du tout été concertée sur la réforme du code du travail. L'exécutif met en scène sa concertation avec les syndicats, en convoquant les caméras, sans jamais consulter les élus de l'opposition.

Réforme de l'ISF, prélèvement forfaitaire unique de 30 % sur les revenus de l'épargne… C'est peu ou prou ce que vous prôniez. Sur le fond, vous approuvez les orientations fiscales de M. Macron ?
Oui. Toutes ces mesures étaient dans notre projet présidentiel, ainsi que la transformation du CICE - crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi - en baisse de cotisations sociales patronales et la réduction de l'impôt sur les sociétés. Ce qui me pose problème, c'est l'ordre dans lequel les mesures vont être mises en œuvre. Il y a beaucoup de contradictions dans la chronologie choisie par l'exécutif. Avant d'instaurer la suppression de la taxe d'habitation, il faudrait donner la priorité aux réformes de compétitivité, qui permettront aux entreprises d'investir davantage. C'est la mère de toutes les batailles.

Au final, le montant total des économies sur le quinquennat s'élève à 80  milliards, alors que M. Macron en avait promis 60  milliards lors de la campagne présidentielle…
C'est " Jupi terre à terre " : il se rend compte de la réalité et voit que son programme initial d'économies est insuffisant. Aujourd'hui, il promet un programme d'économies de 80  milliards mais demain, il sera obligé de le porter à 100  milliards s'il veut stabiliser notre niveau de dépense publique et passer en dessous des 3  % de déficit.

Quel regard portez-vous sur la présidence Macron ?
Emmanuel Macron présente une bonne image de la France mais c'est d'abord une présidence qui se met en scène. J'ai l'impression d'assister à un film, où l'acteur principal est en même temps le metteur en scène. Tout est fait en fonction de l'image et assez peu en fonction du son – on l'entend très peu en fait. Le président prend avant tout des postures, ce qui a commencé par sa longue randonnée autour du Louvre. Il essaie de se créer une stature présidentielle, notamment avec des échanges de poignée de main avec Trump, relativement ridicules… Ce n'est que de la com'. Reste à savoir s'il dispose de la capacité de résistance nécessaire pour mener des réformes impopulaires mais essentielles. Ou s'il considère que seuls comptent les actes de séduction.

Propos recueillis par Sarah Belouezzane, et Alexandre Lemarié