Congrès de Versailles : "Macron tente de resacraliser la fonction présidentielle"
Cet exercice inédit se veut inspiré du discours sur l’état de l’Union prononcé chaque année par le président américain devant la Chambre des représentants et le Sénat. Mais l'événement est loin de faire l'unanimité : des députés UDI mais aussi "Insoumis" ont déjà annoncé qu'ils boycotteront le discours du président de la République, raillant une pratique du pouvoir trop personnelle.
Ce Congrès affaiblit-il la figure du Premier ministre ? La pratique du pouvoir d'Emmanuel Macron marque-t-elle une rupture ? Entretien avec le constitutionnaliste Dominique Rousseau, professeur à l’université Paris-I Panthéon Sorbonne.
Macron réunit le Congrès à Versailles : combien ça va coûter ?
La convocation par Emmanuel Macron du Parlement en Congrès, à Versailles, est vivement critiquée par l'opposition, qui parle de "dérive monarchiste". Certains députés vont même boycotter l'événement. Ces critiques vous paraissent-elles justifiées ?
Je ne le pense pas. Et ce pour une raison simple : tous les présidents, sous la Ve République, se sont adressés aux parlementaires juste après leur élection pour fixer les grandes lignes de leur politique. En 1981 par exemple, François Mitterrand rappelle aux députés et aux sénateurs que les 110 propositions qui figurent dans son programme sont désormais la charte qui engage le gouvernement mais aussi le Parlement. En voulant fixer le cap de sa politique, Emmanuel Macron ne fait donc que s'inscrire dans la continuité de la plupart de ses prédécesseurs, sur le fond en tout cas.
Mais sur la forme, l'exercice est inédit ?
Sur la forme, évidemment, il est le premier à utiliser le Congrès pour énoncer, en tout début de quinquennat, les grandes lignes de sa politique. Mais si Charles de Gaulle, Valéry Giscard d'Estaing ou encore François Mitterrand ne l'ont pas fait, c'est tout simplement parce qu'ils n'en avaient pas le droit. Jusqu'en 2008 en effet, le chef de l'Etat ne pouvait s'adresser aux parlementaires que via un message écrit, qui était lu par les présidents de l'Assemblée et du Sénat. Depuis la révision constitutionnelle de 2008, le président a la possibilité de s'adresser directement, donc oralement, aux parlementaires, en convoquant un Congrès. Nicolas Sarkozy et François Hollande n'ont eu recours à cette ressource qu'à une seule reprise chacun, lors de circonstances exceptionnelles, mais Emmanuel Macron semble lui décidé, comme l'y autorise la Constitution, à l'utiliser plus régulièrement.
Les députés France insoumise vont boycotter le Congrès de Versailles
Ce Congrès ne risque-t-elle pas de contribuer encore un peu plus à un effacement du Premier ministre, alors que celui-ci doit s'adresser aux parlementaires le lendemain ?
En 2008, donner la possibilité au président de s'adresser directement aux parlementaires répondait surtout à un besoin de modernisation. Comment justifier, au XXIe siècle, qu'un président soit obligé de communiquer uniquement par message écrit ? Il faut savoir que par le passé, sous la IIe et une partie de la IIIe République, le président pouvait prendre la parole au Parlement. Son interdiction a été décidée à la fin du XIXe siècle parce qu'Adolphe Thiers, président de la République entre 1871 et 1873, était un orateur tellement remarquable qu'il arrivait à retourner les députés. On a donc voulu l'empêcher de parler pour lui faire perdre une partie de son influence... Et cette interdiction est restée ensuite.
Pour ce qui est de la répartition des tâches entre le président et le Premier ministre, Emmanuel Macron, là encore, ne fait pas autre chose que beaucoup de ses prédécesseurs. A chaque fois, le message écrit du chef de l'Etat était livré avant la déclaration de politique générale du Premier ministre. Devant le Congrès, on peut penser que le président va donner de grandes orientations, et le Premier ministre, lui, développera devant les parlementaires des projets et des propositions de lois plus concrètes. Dans la mesure où l'exécutif a en France deux têtes, il est normal que ce soit celui qui est directement issu du suffrage universel soit proéminent. Hors période de cohabitation, depuis toujours, le Premier ministre n'est que dans un rôle d'accompagnent de la politique décidée par le chef de l'Etat. Emmanuel Macron ne fait donc que s'inscrire dans la pratique des institutions telles que définit par la Ve République. Je ne vois pas de réelle rupture sur ce point.
Certes, mais sur la forme, réunir les parlementaires dans le faste de Versailles n'est-il pas un peu archaïque ?
Depuis son entrée en fonction, Emmanuel Macron tente de re-sacraliser la fonction présidentielle, de remettre de la solennité dans l'exercice du pouvoir. De ce point de vue là, il y a une vraie rupture avec ses deux derniers prédécesseurs, Nicolas Sarkozy et François Hollande, dont les quinquennats avaient pour le coup énormément manqué de solennité. On leur a d'ailleurs beaucoup reproché.
A peine publié, le portrait officiel de Macron déjà détourné sur le web
Je crois que cette solennité est bienvenue. La culture politique française, depuis 1958, est construite autour du chef de l'Etat. C'est un point de repère qui est important puisque toute société a besoin d'une institution qui dise ce qui est est. Le plus important, c'est qu'horizontalité et verticalité du pouvoir se conjuguent et s'équilibrent. Il faudra donc que cette pratique du pouvoir verticale d'Emmanuel Macron, voulue par les institutions de la Ve République, s'accompagne aussi de plus d'ouverture et de représentativité ailleurs, avec par exemple l'introduction d'une dose proportionnelle aux législatives, comme il s'y est engagé.
Propos recueillis par Sébastien Billard
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