Simone Veil, grande conscience française du XXe siècle | Reuters
PARIS (Reuters) - Simone Veil, décédée vendredi 30 juin 2017 à l'âge de 89 ans, laisse l'image d'une femme de cœur et de pouvoir façonnée par les tourments du XXe siècle qui la vit survivre aux camps nazis, voir naître l'Europe et légaliser l'avortement en France.
Rescapée de la Shoah devenue femme d'Etat à la fibre humaniste, présidente du Parlement européen et membre du Conseil constitutionnel puis de l'Académie française, elle a inspiré le respect de la classe politique, jusque chez ses adversaires.
Depuis le milieu des années 1990, elle ne se mêlait plus aux débats les plus brûlants et, même si elle ne faisait plus d'apparitions publiques depuis plusieurs années, elle figurait encore parmi les personnalités les plus populaires.
De cette dirigeante déterminée et réfractaire aux conventions de la vie politique, les Français gardent le souvenir d'une femme seule au milieu d'une assemblée d'hommes, dont certains manifestaient bruyamment leur hostilité.
C'était le 26 novembre 1974 au Palais-Bourbon. Elle défendait alors la loi légalisant l'avortement, surnommée depuis la loi Veil, promulguée en janvier 1975.
Un tournant dans la longue carrière politique de Simone Veil, née Simone Jacob dans une famille juive de Nice (Alpes-Maritimes) et rattrapée dès l'enfance par la montée de l'antisémitisme en Europe.
"Ta mère est juive. Tu brûleras en enfer", lui lance un jour une camarade de classe.
Au printemps 1944, elle a 16 ans et vit sous une identité d'emprunt. Mais les précautions prises et sa fausse carte d'identité ne suffisent pas : arrêtée par la Gestapo, elle est envoyée à Auschwitz-Birkenau, où elle reçoit le matricule 78.651, puis à Bergen-Belsen, en Allemagne.
Au retour des camps, elle a encore ses deux sœurs. Sa mère, son père et son frère sont morts en déportation.
LE VIRUS DE LA POLITIQUE
Orpheline, Simone Jacob rebâtit sa vie dans le Paris de l'après-guerre.
Quelques mois après son retour, elle intègre la faculté de droit et Sciences-Po, où elle rencontre à 19 ans son futur mari Antoine Veil, dont elle aura trois fils, et Georges Pompidou, alors professeur, qui deviendra son mentor en politique après une première carrière dans la magistrature.
Son époux, haut fonctionnaire tenté par la politique, penche vers le centre-droit. Elle se passionne pour Pierre Mendès-France et vote plusieurs fois à gauche, en attendant de voir émerger une troisième force, entre socialistes et gaullistes.
Une fois gagnée par le virus de la politique, Simone Veil se tourne vers la droite et oeuvre tout au long de sa carrière au rassemblement des familles centristes et gaullistes.
Elle entre en 1969 au cabinet du garde des Sceaux, René Pleven, puis devient l'année suivante secrétaire générale du Conseil supérieur de la magistrature, avec la bénédiction de Georges Pompidou, avant d'être propulsée dans l'entourage de Jacques Chirac, jeune Premier ministre.
Un soir de 1974, elle reçoit un appel du nouveau chef du gouvernement qui lui annonce sa nomination au ministère de la Santé. Elle y met alors en chantier la législation sur l'interruption volontaire de grossesse (IVG), qui suscite de violentes réactions dans l'opinion.
"Plus nous nous rapprochions de l'échéance du débat, et plus les attaques se faisaient virulentes. Plusieurs fois, en sortant de chez moi, j'ai vu des croix gammées sur les murs de l'immeuble. A quelques reprises, des personnes m'ont injuriée en pleine rue", écrit-elle dans ses mémoires publiés en 2007.
Après des débats longs et parfois âpres - "épouvantables, dit-elle - au Parlement, la loi est adoptée en décembre 1974 par 277 voix contre 192 à l'Assemblée nationale, 185 contre 88 au Sénat.
A cette époque, elle impose son style : tailleurs en tweed, chignon strict, verbe clair et caractère affirmé.
Ministre jusqu'en 1979, Simone Veil est ensuite la première femme à présider le Parlement européen élu au suffrage universel, jusqu'en 1982.
DISGRÂCE
Trahie par les gaullistes qui refusent de soutenir sa candidature pour un deuxième mandat, Simone Veil prend de la hauteur, se réfugie à la commission des affaires juridiques et des droits de l'homme de l'Assemblée de Strasbourg puis prend la présidence du groupe libéral de 1984 à 1989.
En 1989, Valéry Giscard d'Estaing s'empare du groupe parlementaire et renvoie la "mère Europe" dans les cordes.
La disgrâce dure mais Simone Veil s'installe dans un rôle "à la Mendès-France", conscience morale d'une droite qui tangue face à la montée de l'extrême droite, adversaire courtisée par les socialistes.
Tenté par une cohabitation avec la "première dame de la droite", François Mitterrand aurait songé un temps à l'appeler à Matignon. L'écart entre le RPR et l'UDF à l'Assemblée a définitivement compromis cette hypothèse.
Elle réintègre un gouvernement comme ministre d'Etat, des Affaires sociales, de la Santé et de la Ville de mars 1993 à mai 1995 dans l'équipe d'Edouard Balladur, avant d'entrer au Conseil constitutionnel (1998-2007).
Bien que centriste de coeur, Simone Veil soutient Nicolas Sarkozy contre François Bayrou, le candidat de l'UDF, lors de la présidentielle de 2007.
Par la suite, elle s'éloigne du chef de l'Etat après la proposition de ce dernier, qu'elle désapprouve, de faire "parrainer" de jeunes victimes de la Shoah par des élèves français.
En 2010, elle entre à l'Académie française, ultime consécration pour celle qui a incarné pendant près de cinquante ans un humanisme de droite.
Sur son épée d'Immortelle, elle fait graver son matricule tatoué à Auschwitz, la devise française et celle de l'Union européenne - "Unie dans la diversité" -, résumant son itinéraire et ses engagements successifs.
Source: fr.reuters.com (Edité par Yves Clarisse)© Thomson Reuters 2017 Tous droits réservés.