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IPhone, 10 ans déjà... mais voilà pourquoi nous ne savons pas encore vraiment vivre avec

 

Atlantico : Quels sont les domaines dans lesquels nous avons réussi à nous adapter et ceux ou ce n'est pas encore le cas ? Quels sont les conséquences de cette "révolution" ?

 

Catherine Lejealle : Les 10 ans du smartphone sont l’occasion de regarder en arrière et faire un bilan de la révolution que cet objet a entraîné dans nos vies. Il a impacté toutes les sphères de notre vie : privée, intime, professionnelle… On peut dire qu’il a changé notre rapport au temps, à l’espace et à l’information. Autant dire notre rapport au monde au sens philosophique de Dasein !

Rapport au temps en créant de l’urgence, de l’immédiateté, le sentiment de tout avoir à portée de main à de la demande mais aussi une densification du temps. On fait plusieurs choses à la fois, avec le multitasking, on zappe… Rapport à l’espace avec l’ubiquité en étant ici et ailleurs en même temps, dans les transports et en relation amoureuse par SMS… Quant à l’information, elle est partout et gratuitement disponible.

Nous ne pouvons pas nous adapter à une telle production d’informations : l’attention est devenue la ressource rare. Il se produit tous les jours autant d’informations que depuis le début de l’humanité jusqu’en 2003 ! Il s’agit de développer de nouvelles compétences : apprendre à être sélectif, à regarder la source d’information, à trier ce qui est important pour nous et ce qui est anecdotique…

Au travail, nous devons gérer des interruptions toutes les 5 minutes ! Autant dire que le cerveau n’est pas fait pour zapper d’un contexte à l’autre et qu’il s’agit d’apprendre à travaille en résistant aux sirènes du message entrant… pour soi et pour les autres… pour mieux répondre en travaillant en immersion ne serait-ce que 10 minutes ! Sinon notre quotidien est une fragmentation de taches qui conduit à une perte de sens et à une insatisfaction car on ne voit pas ce qu’on fait. De plus, on risque de ne gérer que les urgences et les priorités des autres ! 

Michaël Stora : Votre question montre qu'il s'agit autant de la façon dont l'Iphone s'est adapté à nous que de la façon dont nous nous sommes adapté à lui. L'Iphone a une particularité, à laquelle d'ailleurs Steve Jobs a toujours été attentif. Il a toujours en effet pensé que la machine et donc la dimension purement technologique et technique devait s'adapter à l'être humain et être au service de la facilité du design et de la facilité. L'ergonomie de l'Iphone est donc dédiée à l'intuitivité de son utilisation. A l'inverse d'autres téléphones – sans faire de comparaison de valeur – la prise en main quasi immédiate est la marque de fabrique d'Apple. Et ce même si l'environnement de certains de ses concurrents tel Android sont beaucoup plus ouverts que ceux de la marque à la pomme. L'Iphone est un monde très fermé et dirigé, entrainant des comportements quasi fétichistes à l'objet téléphone. Pensez par exemple aux queues impressionnantes lors des ventes des nouveaux modèles aux "Apple Store". 

Mais la grande nouveauté de ce smartphone fut de ne pas avoir de vocation à être que "utile" du point de vue de la réalité. Les fonctions pratiques (téléphone, GPS, recherche d'information par exemple pour trouver un lieu ou un produit…) côtoient les fonctions "inutiles" à commencer par les réseaux sociaux. Le smartphone a entrainé en cela un rapport de consultation permanente de ces réseaux pour voir si ceux-ci sont renouvelés ou s'ils ont eu des interactions (like, commentaire etc.), ce qui en soi n'a pas d'utilité concrète et réelle. C'est là où se situe son grand succès, et aussi ce qui en fait pour certains un "doudou-sans fil".

N'avons-nous pas développé une forme d'addiction à l'immédiat ? Ne peut-on pas y voir une forme d'obstacle à notre monde, ou même à la démocratie, celle-ci reposant sur une forme d’acceptation d'une complexité aujourd'hui refusée ?

Catherine Lejealle : Justement, au travail comme dans la sphère privée, on est tenté de privilégier l’immédiat au détriment du long terme, de l’immersion alors que notre ontologie, notre personne est construite sur des bases long terme. Par ailleurs, cela peut conduire à zapper d’une information à une autre sans mettre en perspective, sans prendre de recul. Les vacances sont un moment idéal pour apprendre à ralentir, à s’immerger dans un pavé de l’été… à se connecter à ses cinq sens, à profiter d’un apéro entre copains, d’un plongeon en mer… sans tout documenter en ligne à coup de Stories Snap ou instagram !

Michaël Stora :Dans quelle mesure peut-on affirmer que les smartphones constituent une révolution de notre temps d'attention ? N'avons-nous pas développé une forme d'addiction à l'immédiat ? Ne peut-on pas y voir une forme d'obstacle à notre monde, ou même à la démocratie, celle-ci reposant sur une forme d’acceptation d'une complexité aujourd'hui refusée ? 

Il y a un enjeu de maitrise évident dans le geste. L'Iphone nous répond au doigt et à l'œil. Et d'ailleurs avec Siri, la fonction vocale, il répond à notre voix, donc il nous obéit. À partir de là, l'Iphone devient une prolongation de beaucoup de nos affects. La question du temps est intéressante, car l'immédiateté est réelle en termes d'information, contractant le temps de manière spectaculaire là où certaines choses prenaient plus de temps auparavant. Mais là se situe aussi la complexité humaine : car si vous envoyez un SMS à votre amoureuse en disant "Je t'aime ma chérie tu me manques" et qu'elle ne vous répond pas rapidement alors que pour vous elle devrait être en capacité de le faire, l'humain reprend le dessus et développe des doutes et des frustrations.

Source: atlantico.fr