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A propos de Macron président: La Grange effondrée par Chantal Delsol

 

La disparition des patis politiques de gouvernement, mise en lumière par l'élection présidentielle, tient à l'incapacité d'abandonner, à gauche, l'appareil lénino-jacobin, et, à droite, au manque de courage d'agir, analyse la philosophe Chantal Delsol.


On se rappelle la grange effondrée, symbole dans la théorie des catastrophes de René Thom: la grange, en un instant et de façon inattendue,
s'effondre. On se demande pourquoi et pourquoi maintenant. C'est qu'un grand nombre d'éléments internes étaient entrés en déliquescence, silencieusement, jusqu'au moment où un souffle de vent, peut-être l'aile d'un papillon, suffit à tout renverser. On peut dire que les partis politiques en France étaient depuis longtemps dans une grande déliquescence. Bernanos disait que les institutions sont le contraire des hommes: elles pourrissent avant de mourir.


Les facteurs qui font aujourd'hui s'effondrer ensemble les vieux partis sont différents pour chacun. Pourtant, un problème commun, écrasant et jamais résolu, bloque tout le monde et finit par susciter un clash: la France a besoin d'abandonner le vieil appareil lénino-jacobin si elle veut survivre dans le monde et dans l'Europe. Et le problème du Parti socialiste est justement qu'il est encore "socialiste", adepte donc d'un système qui interdit l'initiative et appauvrit les sociétés jusqu'à les refouler dans le cercle de la misère — une France qui poursuivrait dans le socialisme ressemblerait bientôt à la Grèce, et finalement à l'Allemagne de l'Est dernière mouture. L'explosion du Parti socialiste (qui commence avec les frondeurs, lesquels gagnent la primaire) tient au fait qu'une partie des socialistes a compris qu'il leur fallait devenir sociaux-démocrates faute de mourir (c'est la loi El Khomri), et que l'autre partie veut à tout prix conserver le vieil appareil lénino-jacobin (c'est Hamon, c'est Mélenchon). Le débat est crucial, et insoluble, parce que l'idéologie socialiste est toujours de la partie.


Quand à la droite, elle n'a jamais eu de pensée organisée. Elle n'est soutenue que par deux craintes : la crainte d'être assimilée à l'extrême
droite, et la crainte de ne pas assez ressembler à la gauche — c'est-à-dire au progrès. N'ayant jamais été structurée, elle peut se défaire dans la minute. Une grande partie de la droite a parfaitement conscience que nous avons besoin de nous débarrasser de l'appareil lénino-jacobin. Mais si c'est la droite qui le demande, elle est vilipendée et soupçonnée de menées antisociales. Comme elle n'a pas beaucoup de courage (c'est un euphémisme), elle attend donc qu'un homme de gauche veuille le faire. C'est Macron. La vérité doit toujours passer par la bouche de la gauche, sinon ce n'est pas une vérité.


La droite avait réussi à trouver avec Fillon un candidat libéral-conservateur à la hauteur de ses espérances. Il est assez étonnant que Fillon, malgré les affaires, se soit hissé au score de 20 %, et il aurait probablement fait 25 % en situation normale. Son électorat était principalement celui qui souhaitait la fin de l'appareil lénino-jacobin — autrement dit ses électeurs étaient certainement davantage des libéraux que des conservateurs, lesquels sont très minoritaires. D'ailleurs, Fillon lui-même n'a soutenu ce courant que parce qu'il avait flairé un électorat derrière, et probablementsans aucune conviction personnelle : il suffit de voir la célérité avec laquelle, deux minutes après sa défaite, il a rejoint le camp d'en face, comme soulagé de quitter des électeurs encombrants et gênants.


L'un des éléments les plus croustillants de cette situation ,est la décision récente du Front national de se raccrocher à l'appareil lénino-jacobin, au moment où la question devient urgente de savoir comment et quand le quitter. Manière sans doute de récupérer nombre d'électeurs déçus par la social-démocratie naissante — ceux qui vont en partie chez Mélenchon. Si bien que beaucoup de salariés modestes, auxquels on a rabâché pendant soixante ans sur l'air des lampions (droite et gauche confondues) que si leur entreprise avait le moindre problème il était du devoir moral de l'État de la nationaliser, se sentent défendus aujourd'hui... par le Front national. Il n'empêche: ce choix fait par le parti d'extrême droite pourrait lui coûter son avenir. Il est tout à fait improbable, pour ne pas dire impossible, que la France aille encore vers de plus en plus de jacobinisme. On ne goûte pas avec délices au poison qui vous tue à petit feu.


Enfin, l'effondrement de l'édifice tient à l'occasion donnée aux Français de sortir de la gérontocratie qui nous mine, liée à la semi-corruption d'un système bien frelaté, arrangement de copains et de coquins, tous partis confondus. Chacun espère que le changement de tranche d'âge inclura un changement de comportement politique. Évidemment, ce n'est là pour l'instant qu'un espoir.


Si Emmanuel Macron réalise son programme sans changer d'avis tous les jours, comme ses prédécesseurs, cela signifiera deux choses. D'abord, que la France a pris le tournant pour se débarrasser avec fermeté du vieil appareil lénino-jacobin, et donc de sa gauche marxisante. Ensuite, que la droite, qui aurait dû évidemment être l'artisan de ce changement, n'en a pas été capable faute de caractère, et doit encore une fois laisser son adversaire faire ses propres réformes. •

Source: Valeurs Actuelles 25 mai 2017

 

Plus: le blog de Chantal Delsol