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Emmanuel Macron et Marine Le Pen se disputent les ouvriers de Whirlpool

 

REPORTAGE - Les deux finalistes de la présidentielle se sont rendus mercredi sur le site d'Amiens promis à la fermeture.

Envoyé spécial à Amiens

Rien ne se passe jamais comme prévu. Dans cette présidentielle inédite, les candidats, a fortiori quand ils sont favoris, sont bien placés pour le savoir. Alors qu'il avait l'intention de marquer un point, mercredi, en se rendant en terre frontiste, d'abord dans la Somme puis dans le Pas-de-Calais, Emmanuel Macron a été pris à son propre jeu. Comble du sort: ce soubresaut est intervenu à Amiens, sa ville natale. Tout a commencé en fin de matinée. Égratigné pour son excès de triomphalisme, soucieux de relancer sa campagne de second tour, le candidat d'En marche! était de retour sur le terrain. «Contrairement à Marine Le Pen qui ne prend pas de risques, Emmanuel Macron n'hésite pas à se rendre dans des endroits où on n'a pas voté pour lui, au risque de se faire chahuter», vantait son équipe. Dans la Somme, le FN devance Macron, avec 30 % des voix.

Arrivé en centre-ville, le convoi s'arrête à la chambre de commerce et d'industrie. C'est là que le jeune leader d'En marche! a rendez-vous avec des représentants syndicaux de l'usine Whirlpool. Le géant américain de l'électroménager, pourtant bénéficiaire, a annoncé en janvier la fermeture en 2018 de son usine d'Amiens, où 286 salariés fabriquent des sèche-linge, pour transférer la production en Pologne. Alors que la rencontre est sur le point de s'achever, un syndicaliste reçoit sur son téléphone un SMS de l'un de ses camarades l'informant que Marine Le  Pen vient d'arriver à l'usine Whirlpool, à quelques encablures. Surprise générale.

«Quand j'ai appris qu'Emmanuel Macron venait ici et qu'il n'entendait pas rencontrer les salariés, j'ai trouvé que c'était tellement une preuve de mépris à l'égard de ce que vivent les salariés de Whirlpool que j'ai décidé de sortir de mon comité stratégique et de venir vous voir»

Devant les grilles, Marine Le Pen savoure son coup de communication: «Je suis là au côté de salariés, sur le parking», explique-t-elle. Et d'enchaîner les selfies puis d'avaler un sandwich. L'accueil est bon. Sur Twitter, elle poste des photos avec des grévistes, tout sourire. Les reporters qui étaient sur place pour interroger les ouvriers sur la venue d'Emmanuel Macron appellent leurs rédactions. L'opération a été rondement menée.

À 150 kilomètres de Paris, le duel du second tour a changé de dramaturgie. «Quand j'ai appris qu'Emmanuel Macron venait ici et qu'il n'entendait pas rencontrer les salariés, qu'il n'entendait pas venir sur ce piquet de grève, mais qu'il allait à l'abri dans je ne sais quelle salle de la chambre de commerce pour rencontrer deux trois personnes triées sur le volet, j'ai trouvé que c'était tellement une preuve de mépris à l'égard de ce que vivent les salariés de Whirlpool que j'ai décidé de sortir de mon comité stratégique et de venir vous voir.»

Emmanuel Macron ne tarde pas à riposter: «Marine Le Pen est donc venue à Amiens parce que j'y venais, tacle-t-il lors d'une conférence de presse. Bienvenue à elle. Mais Mme Le Pen n'a pas compris comment fonctionnait le pays et nous n'avons définitivement pas la même ambition, ni le même projet.» Dans la foulée, il annonce qu'il se rendra sur place «avec l'intersyndicale». En fait, Emmanuel Macron avait pris la décision d'aller sur le site avant le coup d'éclat de sa rivale, comme en témoigne la vidéo de la rencontre avec les syndicats. Sauf que, dans ce duel à distance, sa venue devant l'usine est médiatiquement perçue comme une réaction. En sortant, Macron glisse: «C'est grossier, on ne vient pas exploiter la misère des gens.»

- Crédits photo : Thibault Camus/AP

Une heure plus tard, le voilà à son tour sur le parking de l'usine. L'accueil est hostile. Emmanuel Macron avance au milieu d'une nuée de caméras. Non loin brûlent des pneus. Un cercueil en carton trône dans l'allée. Le service d'ordre du candidat est sur les nerfs. La tension, à son comble. On entend retentir des «Marine présidente». «Macron, c'est l'Europe, c'est le patronat. Il a dit qu'on était illettrés», grince Jérôme, vingt ans de maison, vêtu d'une polaire siglée Whirlpool. Un syndicaliste, chasuble CGT sur le dos, marmonne: «Les candidats viennent récupérer des voix à cause des élections, je ne voterai ni pour l'un ni pour l'autre.» Qu'allait donc faire Emmanuel Macron dans ce traquenard? Convaincu de pouvoir convaincre ses détracteurs, le candidat d'En marche! cherche le contact. Le voilà qui se dirige en direction des lourdes grilles de l'établissement. Il entre et rejoint une cinquantaine d'ouvriers. La grille se referme, comme la trappe d'un piège. «La confiture, elle est bonne?», l'interpelle une ouvrière. Emmanuel Macron ne veut pas montrer l'image d'un homme qui recule. «Je ne suis pas venu faire de la démagogie. Je ne suis pas venu faire des selfies», tente-t-il. Ce qui n'empêche pas son équipe de campagne de retransmettre l'échange en direct sur le compte Facebook du candidat. La bataille des images fait rage.

«Ce pays est dans un état d'extrême fatigue. On doit recoller les fractures, le risque, on va le prendre ensemble»

L'ex-conseiller de François Hollande argumente, contre-argumente. «Ce pays est dans un état d'extrême fatigue. On doit recoller les fractures, le risque, on va le prendre ensemble .» Parfois, son verbe technocratique refait surface, quand il explique par exemple les vertus du crédit d'impôt emploi compétitivité (CICE) conçu pour «redonner des marges». La tension s'apaise. Pas les divergences. «Pourquoi être venu juste avant les élections?», s'insurge une ouvrière. «Je n'étais plus ministre, il y a une pratique républicaine. On ne critique pas les dossiers de son successeur pendant six mois.» Le dialogue de sourds se termine après une heure de palabres. «Macron est venu parce que Marine Le Pen était sur place tout à l'heure, c'est un opportuniste, estime Sandra, dont le mari travaille à l'usine. Il avait une attitude prétentieuse, nous regardait de haut. Il pense qu'il a gagné.» De son côté, Emmanuel Macron est rassuré. Il n'a pas reculé.

Cet article est publié dans l'édition du Figaro du 27/04/2017.